Une levée record dans un marché en berne. Le fonds d'investissement CVC a annoncé avoir bouclé la levé du plus gros fonds d'opérations de capital-investissement appelées « rachat avec levier » (LBO) de l'histoire à 26 milliards d'euros. Une opération qui apparaît sensationnelle alors que tous les indicateurs du capital-investissement (ou private equity), l'investissement au capital dans des sociétés non cotées, sont au rouge. Selon un rapport de Pitchbook, les montants levés en capital-investissement entre mars 2022 et mars 2023, au niveau mondial, sont en baisse de près de 16% à 455 milliards de dollars.
« La valeur des transactions a continué de baisser au deuxième trimestre 2023 (...) Nous prévoyons que l'activité globale pour 2023 restera déprimé », ajoute Pitchbook dans un autre rapport sur l'état du capital-investissement européen au deuxième trimestre. Après des années particulièrement fastes de 2020 et 2021, les investisseurs se détournent de cette classe d'actifs qui a bénéficié à plein de deux décennies de baisse des taux.
Moins d'investisseurs et des opérations plus difficiles à financer
Jusqu'au printemps 2022, les investisseurs qui souhaitaient obtenir des rendements de plus de 2% devaient se tourner vers la Bourse, l'immobilier ou le capital-investissement. La remontée rapide des taux d'intérêt à partir de la mi-2022 a complètement bouleversé les priorités des investisseurs, de nouveau attiré par les marchés obligataires et de dettes privées, et pris de court les fonds de capital-investissement.
« Les gérants de fonds mettent, aujourd'hui, entre 12 et 18 mois pour convaincre les investisseurs d'apporter des liquidités contre 6 mois en 2021 car les institutionnels (assureurs, fonds de pension, fonds souverains...) qui investissent pour leur compte propre ou pour leurs épargnants sont devenus sur-alloués en private equity », explique Claire Roborel de Climens, Responsable des investissements non cotés et alternatifs chez BNP Paribas Wealth Management.
La chute des marchés actions a mécaniquement augmenté la part des fonds qui est investie dans le non-coté et valorisée généralement une fois par an. Du coup, beaucoup de gérants ne pouvaient investir à nouveau dans le non-coté, de crainte de ne plus respecter leurs règles d'allocation au sein du fonds.
La hausse des taux d'intérêt met aussi à mal le financement de certaines opérations de LBO. En Europe, les fonds de LBO ont levé l'équivalent de 60 milliards de dollars en 2022, selon le cabinet d'étude Preqin, soit un le montant le plus bas depuis 2016.
Et pour cause, dans ce type d'investissement, « la dette représente généralement entre 40 et 70% du montant investi, donc la hausse des taux d'intérêt, de 1% à 5% en moyenne, ralentit les opérations et a un impact négatif sur la rentabilité de ces investissements », explique Stéphane Kerlo, directeur général de la société de gestion NCI.
Enfin, à ces nouveaux obstacles, vient s'ajouter le problème de la baisse de valorisation des sociétés, ce qui rend difficile, voire impossible, toute nouvelle levée de fonds, sur la base des nouveaux multiples de valorisation. A moins d'accepter que les actionnaires actuels encaissent de substantielles moins-values. Dans la fintech par exemple des investisseurs ont déjà réduit sensiblement la valeur de leur participation.
« Comme dans l'immobilier, nous sommes dans une période d'ajustement du marché et les actionnaires d'entreprises non cotées ont encore les références de valorisation de 2021-2022 en tête. C'est donc compliqué de trouver une entente sur le prix entre vendeurs et acheteurs », détaille Thomas Trideau, directeur associé chez Arkea Capital.
Des investisseurs confiants sur la rentabilité future
Au total, les fonds de capital-investissement pourrait souffrir d'une baisse de performance, qui était, il est vrai, relativement élevée dans les années précédentes. Selon une étude de France Invest et EY, publiée en juillet, la performance nette des acteurs français était, fin 2022, de 14,2% par an sur dix ans, contre 10,4% par an pour l'indice CAC 40 (dividendes réinvestis).
« Nous nous attendons à voir les valorisations de certains portefeuilles baisser légèrement en lien avec l'ajustement de valorisation de certaines entreprises mais nous ne constatons pas beaucoup de variations pour le moment. Les fonds sont en effet traditionnellement engagés dans des entreprises pour une période de 4 à 6 ans et peuvent donc les garder en portefeuille quelques années en continuant de créer de la croissance et en attendant un meilleur prix de vente », justifie Claire Roborel de Climens.
A moyen terme, les financeurs de private equity sont plutôt optimistes. « Une période de crise peut permettre de déployer un fonds dans de bonnes conditions car les prix de vente des entreprises évoluent généralement à la baisse », argue même le directeur de NCI.
Une enquête mondiale, publiée par BlackRock en avril dernier, anticipe ainsi un prochain retour des investisseurs : « 72% des investisseurs institutionnels s'attendent à allouer une part plus importante de leurs investissements sur le private equity en 2023 », assure même Grégory Benhamou, responsable des actifs alternatifs pour BlackRock France, Belgique, Luxembourg. Un retour du printemps qui dépendra néanmoins grandement de la politique monétaire des banques centrales européenne et américaine.
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