Le rappel à l'ordre de Pékin sur le secteur pourtant en plein essor du numérique se poursuit. Et c'est à nouveau Alibaba, maison-mère d'Ant Group, opérateur du moyen de paiement le plus répandu au monde, Alipay, qui en fait les frais. La brutale annulation du projet d'introduction en Bourse d'Ant Group, en septembre 2020, avait en effet marqué le coup d'envoi de la reprise en main par le gouvernement et le Parti communiste de la Tech chinoise, qui avait jusqu'ici prospéré sans réel cadre juridique.
Après la mise à l'écart du légendaire Jack Ma, fondateur d'Alibaba, le paiement par le groupe d'une amende record de 2,2 milliards de dollars pour abus de position dominante et le coup de frein donné aux activités de crédit d'Ant Group, qui doit désormais respecter la régulation bancaire, Pékin semble décider à s'attaquer à la très (trop ?) populaire application de paiement, Alipay.
Les données personnelles en question
Il s'agirait, selon les informations du Financial Times, de démanteler l'application mobile en deux entités distinctes, l'une pour le paiement mobile, et l'autre pour le volet très lucratif du crédit. Mais le projet va encore plus loin. Car, dans le même temps, selon le projet, Ant Group sera contraint de céder les données personnelles de ses utilisateurs à une entreprise tierce, une sorte d'agence de notation de crédit, partiellement chapeautée par l'Etat chinois.
Des données sensibles par définition car il s'agit à la fois de données financières collectées pour l'obtention d'un crédit, mais aussi potentiellement de données privées sur les dépenses et les recettes des ménages. De quoi alimenter également les craintes d'un scoring social généralisé pour surveiller la population.
Cette question est d'autant plus sensible que la donnée reste au cœur des modèles de ces géants du paiement et du commerce électronique. C'est bien par l'analyse de cette donnée qu'Alibaba ou Tencent parviennent à pénétrer le moindre recoin de la vie des Chinois, le tout en temps réel.
Plusieurs sociétés, liées aux autorités, seraient ainsi déjà sur les rangs et Ant Group ne conserverait, au final, que 35% de son application mobile. Alibaba et Ant Group ne seraient de surcroit pas les seules fintechs visées et tous les yeux se tournent désormais vers Tencent (WeChat Pay), voire la banque-assurance Ping An.
Duopole dans les paiements
En quelques années, Alipay et son concurrent WeChat Pay (Tencent) sont devenus un duopole incontournable dans le quotidien des Chinois et ils sont parvenus à transformer radicalement les modes de consommation et de paiement des ménages. Avec à la clé, une quasi-disparition du cash, qui régnait pourtant en maître à l'orée des années 2000.
A la différence de WeChat Pay, Alipay a également nourri très tôt des ambitions internationales, en s'appuyant sur le tourisme de masse chinois pour exporter son modèle et sa technologie (QR Code). En 2016, Ant Group visait ainsi, en dix ans, 2 milliards de clients, dont 60% hors de Chine. La forte présence publicitaire d'Alipay lors de la coupe de l'Euro montre bien que le groupe s'intéresse également à l'Europe, malgré une présence encore infime. En 2020, Alipay revendiquait un milliard d'utilisateurs, pour une écrasante majorité en Chine.
Agrégation de services
Le succès de son application de paiement mobile s'explique par le fait qu'elle a su agréger un ensemble de services financiers, dont le crédit, tout en facilitant la gestion financière au quotidien à travers des différentes fonctions de coaching financier. Cette offre a rapidement séduit les revenus des plus modestes et les petites entreprises, des clientèles délaissées par les banques chinoises, dont les services sont par ailleurs à la fois onéreux, de mauvaise qualité et peu accessibles, notamment en zones rurales.
Et c'est bien ce modèle que souhaite remettre en question les autorités chinoises. Ce qui semble au passage contradictoire avec les nouveaux objectifs de l'Etat de réduction des inégalités, dans le cadre de son nouveau programme « Prospérité commune », tant Alipay avait réussi dans l'inclusion financière là où le système bancaire traditionnel avait échoué.
Mais peu importe. Au-delà des objectifs légitimes des autorités (restaurer la concurrence, mieux réguler la finance, protéger les données personnelles et les salariés précaires), l'Etat Chinois vise surtout les nouveaux comportements des ménages chinois, jugés trop occidentalisés. C'est bien une nouvelle révolution culturelle qu'engage le président chinois Xi Jinping, quitte à sacrifier les intérêts de la Tech chinoise.
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