La finance ne semble pas prête à relever le défi de la Blockchain

Selon une enquête réalisée par Deloitte et l’Efma, près des trois quarts des sociétés de services financiers de la zone Europe, Moyen-Orient, Afrique n’ont pas encore commencé à travailler sur la technologie qui sous-tend le Bitcoin, alors qu’elles admettent qu’elle révolutionnera leur métier au cours des cinq prochaines années.
Christine Lejoux
92% des dirigeants de sociétés financières interrogés par Deloitte et l'Efma admettent que la Blockchain aura des conséquences sur leur industrie, au cours des cinq prochaines années.

Ce sont ceux qui en parlent le plus qui en font le moins. Ce dicton pourrait s'appliquer au secteur de la finance, au sujet de la Blockchain. Ces derniers mois, nombre de banques ont en effet claironné que cette technologie de stockage et de transmission d'informations, qui sous-tend la monnaie virtuelle bitcoin, allait révolutionner l'industrie financière. De fait, grâce, entre autres à son fonctionnement automatisé, à l'instantanéité des transactions et à son caractère quasiment inviolable, la Blockchain pourrait permettre à l'ensemble des banques dans le monde d'économiser chaque année 15 milliards à 20 milliards de dollars, en infrastructures de paiement, de sécurité  et de conformité réglementaire, d'après une étude de la banque Santander.

Nombre d'établissements bancaires ont donc récemment annoncé, avec tambours et trompettes, le lancement de projets destinés à explorer le potentiel de la Blockchain pour leur activité, qu'il s'agisse de développer de nouveaux services ou de disposer de leviers supplémentaires pour réduire leurs coûts. Le cabinet d'audit Deloitte et l'Efma, une association chargée de promouvoir l'innovation dans la finance, ont voulu savoir ce que ces effets d'annonce recouvraient exactement, quelle était la perception véritable de la Blockchain par les acteurs de la finance ? Pour ce faire, le cabinet d'audit et l'Efma ont interrogé ni plus ni moins que les grands patrons de 3.000 banques, assureurs et autres sociétés de services financiers de la région Europe, Moyen-Orient, Afrique.

Le problème de l'absence de cadre réglementaire

Certes, d'après cette enquête, dont les résultats ont été publiés le 5 juillet, 92% des dirigeants interrogés admettent que la Blockchain aura des conséquences sur l'industrie financière, et ce, dans un futur proche, c'est-à-dire au cours des cinq prochaines années. Mais, paradoxalement, « la majorité des institutions financières interrogées ne semblent pas préparées à relever ce défi imminent », souligne Julien Maldonato, directeur chez Deloitte. À l'appui de ce constat, un chiffre : près des trois quarts (71%) des sondés n'ont pas encore commencé à travailler sur la Blockchain. Et aucun n'a mis en place un centre d'excellence dédié à la compréhension de cette technologie, alors que celle-ci est toute neuve et d'autant plus complexe qu'elle évolue quasiment chaque jour.

« Le sujet de la Blockchain est appréhendé par quelques personnes seulement, dans des groupes financiers qui emploient des dizaines de milliers de collaborateurs », déplore Julien Maldonato.

C'est le serpent qui se mord la queue, car, si les sociétés de services financiers sont encore si peu nombreuses à se colleter avec la problématique de la Blockchain, c'est parce qu'elles « ne la comprennent pas », décrypte le consultant. Et parce qu'une fois n'est pas coutume, le secteur financier s'inquiète de l'absence de cadre légal et réglementaire applicable, la Blockchain étant notamment caractérisée par l'auto-administration, en dehors de toute autorité centrale. Un environnement des plus inhabituels pour une industrie aussi réglementée que la finance, qui hésite donc à s'y aventurer. C'est là le frein majeur au développement de la Blockchain dans les services financiers, 49% des sociétés interrogées préférant attendre la mise en place d'une réglementation pour tâter de cette nouvelle technologie.

L'application de la Blockchain dans les transferts d'argent internationaux focalise l'attention

Pourtant, une quarantaine de banques venues des quatre coins du monde ont rejoint l'an dernier la startup américaine R3, afin d'explorer ensemble le potentiel de la Blockchain. En France, la Caisse des dépôts poursuit le même but, en s'efforçant de fédérer autour d'elles banquiers, assureurs et autres acteurs de la finance. D'accord, mais 17% seulement des entreprises interrogées participent activement à de telles initiatives. De plus, ces initiatives collectives sont l'exception, dans l'expérimentation de la Blockchain :

« Il y a une prudence vis-à-vis des collaborations, la plupart des banques mènent leurs projets chacune dans son coin, alors que la Blockchain est au contraire une technologie de partage », souligne Julien Maldonato.

Autre illustration de cette tendance à innover en solo, près des deux tiers (64%) des sondés estiment que ce sont les blockchains privées qui permettront l'adoption de cette technologie à grande échelle.

Pour Julien Madonato, ils font fausse route, car « le seul usage de la Blockchain qui a fait ses preuves aujourd'hui, c'est celui lié au Bitcoin, qui est un réseau public. »

De la même façon, les sociétés de services financiers sous-estiment le potentiel de la Blockchain pour leurs métiers, 60% d'entre elles considérant que son premier cas d'usage résidera dans les transferts internationaux de monnaie, alors que la Blockchain pourrait être utile dans des domaines aussi variés que la surveillance des échanges commerciaux, la gestion des garanties pour les assureurs, ou encore les émissions et transferts de titres. C'est dire si la concrétisation de la Blockchain en business pour l'industrie financière ne semble pas être pour demain.

Christine Lejoux

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