Taxation des crypto-actifs : « Les informations communiquées par les autorités fiscales iront bien au-delà de l'imposition des plus-values »

INTERVIEW. L'heure est à la réglementation pour les cryptomonnaies. De nouvelles normes sont mises en place par les institutions à tous les niveaux. Dernière en date, un accord entre les pays de l'OCDE et au-delà, pour communiquer, sur demande des autorités fiscales, les transactions des utilisateurs effectuées sur les plateformes d'échanges. Quelles en sont les conséquences ? Les réponses d'Alexandre Lourimi, avocat au sein du cabinet Orwl.
« Ces crypto-actifs peuvent être utilisés pour régler n'importe quel flux ».
« Ces crypto-actifs peuvent être utilisés pour régler n'importe quel flux ». (Crédits : Reuters)

2023 fût l'année de la reconnaissance des cryptomonnaies par les institutions, une consécration qui apporte son lot de nouvelles réglementations. Parmi les obligations qui vont s'imposer aux fournisseurs de cryptos (soit toute personne morale ou entreprise dont l'activité professionnelle consiste à fournir un ou plusieurs crypto-actifs), celle de devoir potentiellement transmettre toutes les données de leurs utilisateurs, dans le cadre de contrôles fiscaux.

Mi-octobre, l'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) a, en sus, élaboré une nouvelle norme internationale sur l'échange automatique d'informations entre les autorités fiscales. Signé par 48 Etats, dont la France, le « Cadre de déclaration des crypto-actifs » (CARF pour Crypto-assets reporting framework) a pour objectif de lutter contre l'évasion fiscale et la fraude via les cryptos. Cette application doit permettre « d'initier les échanges dès 2027, sous réserve de l'application des procédures législatives nationales », a précisé le communiqué de l'OCDE. Avec quelles conséquences pour les contribuables français et investisseurs ? Les réponses d'Alexandre Lourimi, avocat au sein du cabinet spécialisé Orwl.

LA TRIBUNE - Pourquoi la « transparence fiscale » sur la détention et la revente de crypto-actifs est-elle moins évidente que sur les produits financiers classiques ?

ALEXANDRE LOURIMI - À la différence des produits financiers, les crypto-actifs peuvent être transférés et détenus sans avoir recours à des intermédiaires financiers traditionnels. Le caractère décentralisé et pseudonyme des protocoles informatiques sur lesquels s'échangent les crypto-actifs constitue un obstacle majeur à l'accès à l'information. Le dispositif très complet et réaliste proposé par l'OCDE fait entrer les crypto-actifs dans le champ de vision des administrations fiscales. Quelque part, cette norme va aider à « dé-pseudonymiser » les blockchains publiques et les wallets.

Par rapport aux textes européens (dont MiCA voté cette année), qu'apporte de plus cet accord de transparence fiscale de l'OCDE?

À ce jour, l'immense majorité des transactions en crypto-actifs n'entrent pas dans le champ de la Norme Commune de Déclaration (NCD) et échappent aux dispositifs d'échange de renseignements en matière fiscale. Il s'agissait donc de corriger cela. Sur le même modèle que les dispositifs existants en matière financière (la norme Common reporting Standard de l'OCDE contre l'évasion fiscale et son équivalent européen la directive DAC), ce nouvel accord politique initié par l'OCDE vise à mettre en place un instrument juridique afin de permettre, dès 2027, l'échange automatique d'informations en matière de crypto-actifs entre Etats. Ce cadre propose de mettre à la charge des prestataires de services d'échange d'actifs numériques (PSCA) (plateformes d'échange, services financiers, etc.) une obligation de reporting annuelle de toutes les transactions réalisées par leurs utilisateurs auprès de leurs administrations de tutelle. Ensuite, il permet d'organiser un échange automatique d'informations entre les administrations fiscales des Etats signataires de la convention.

Dans le cadre du CARF, l'administration fiscale française se verra communiquer annuellement et automatiquement des renseignements liés aux crypto-actifs détenus par les contribuables français qu'elle pourra exploiter, notamment à l'aide d'algorithmes, afin de contrôler la cohérence de leurs déclarations.

Outre le MiCA, un cadre juridique quasi-identique est en cours d'adoption au niveau de l'UE (le DAC 8) avec une entrée en application prévue pour 2026. Sa mise en œuvre sera certainement plus harmonieuse mais sa portée plus limitée.

Cela veut-il dire que toutes les entreprises cryptos qui ont reçu un agrément dans un Etat signataire devront nécessairement collaborer avec les autorités fiscales ?

A la mise en place de ce règlement, toutes les entreprises (crypto ou non, agréées ou non) devront coopérer en cas de demande (seulement) de l'administration fiscale. Mais un reporting automatique et spontané des transactions de tous les utilisateurs sera néanmoins rendu obligatoire. Le cadre européen s'impose à tous les prestataires de service sur crypto-actifs ayant des clients dans l'UE, que ces derniers soient soumis à la licence MiCA ou non. Le CARF de l'OCDE a donc un champ d'application plus large que MiCA. Par exemple, un PSCA étranger qui aurait des clients en France sans viser le marché français, n'aurait pas l'obligation d'obtenir une licence MiCA mais serait soumis à l'obligation de reporting CARF.

Parmi ces 48 pays signataires*, certains appliquent une taxation nulle sur la vente de crypto-actifs. L'accord sert-il donc principalement les pays de l'UE pour les aider à mieux tracer les investisseurs qui profitent de ces fiscalités avantageuses ?

Pour que l'instrument soit efficace fiscalement, il faut d'abord compter parmi les signataires des pays dans lesquels de nombreux contribuables sont concernés (donc imposés) et, ensuite, des pays accueillant des PSCA. De manière générale, ces instruments internationaux ont vocation à être le plus larges possibles. Des petits Etats à fiscalité privilégiée sont souvent politiquement incités à coopérer dans le cadre de ce type d'instrument, notamment pour éviter d'être qualifiés, dans les autres pays, d'Etats non coopératifs (cette qualification entraîne, en France, l'application d'un certain nombre de régimes fiscaux visant à dissuader les contribuables de réaliser des flux avec ces Etats). Enfin, les informations communiquées vont donner aux autorités fiscales des renseignements qui vont bien au-delà de l'imposition des plus-values sur cryptos. Dans la mesure où ces actifs peuvent être utilisés pour régler n'importe quel flux, toutes les catégories d'impositions sont concernées (un salarié peut se faire payer son salaire en crypto sur une plateforme étrangère par exemple ; ou la vente d'un actif peut être payée en cryptos). Des Etats ne fiscalisant pas les plus-values cryptos pourraient donc tout de même recueillir des informations fiscalement pertinentes pour contrôler des flux imposables.

Quid des entreprises qui sont basées dans des pays non signataires de cet accord ? Cela va-t-il créer un effet d'aubaine ?

Il existera toujours des plateformes offshores à mon sens. Mais ce type d'instrument va participer, tout comme les instruments réglementaires (MiCA, TFR - Transfer of Funds), à mettre ces acteurs de plus en plus à l'écart. On le voit en matière financière, le champ de la coopération fiscale entre Etats ne cesse de s'élargir et le recours à des Etats non coopératifs est dissuadé via des instruments de droits locaux ( liste des paradis fiscaux UE par exemple). Les plateformes cryptos offshores se couperont par ailleurs des accès au secteur financier et ne pourront travailler qu'avec des entités financières également offshores.

L'utilisateur peut-il revendiquer son droit à protéger ses données ?

Non. Mais la plupart des PSCA n'auront pas à collecter beaucoup de données supplémentaires puisque ces données seront déjà connues (les coordonnées des utilisateurs sont déjà collectées dans le cadre des procédures KYC).

Ces dispositifs viennent-ils altérer le droit à la protection de la vie privée ?

Cela créé effectivement un risque supplémentaire de fuite de données, au vue des quantités échangées entre des plateformes et des administrations fiscales ou encore juridiques... Ensuite, avec cette norme, on met un nom derrière un wallet (portefeuille de cryptos). Le préjudice porté est encore plus important dans la mesure où, sur une blockchain publique, on peut retracer toutes les transactions qui ont été opérées par un utilisateur, sans limite de temps. L'analyse des flux transactionnels de ces blockchains permettent donc d'identifier plus largement les acteurs d'une fraude. Mais ceux qui commettent des fraudes trouveront toujours des moyens alternatifs de les commettre, tandis que le petit épargnant sera juste plus exposé. Au final, ce type de texte peut légitimer le recours à des blockchains 100% anonymes (Monero, Dash...) qui deviendraient alors des outils de protection de la vie privée.

Les pays signataires du CARF*

La liste des 48 pays engagés dans l'application de cette norme internationale compte de grandes puissances économiques comme les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, la France, le Royaume-Uni, le Brésil, le Canada et l'Afrique du Sud.

A cette liste s'ajoute aussi Chypre, Malte, ou encore les Îles Caïmans.

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Commentaire 1
à écrit le 06/12/2023 à 12:04
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Pendant qu'ils fructifient l'argent du crime dans leurs paradis fiscaux il préparent à ponctionner en masse les nouveaux riches où l'importance d'avoir un bon portefeuille de politiciens du monde entier dans la popoche, malgré la puissance financière...

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