L'envolée du bitcoin, dont la valeur a été multipliée par dix depuis le début de l'année et par 30.000 depuis 2011, suscite de plus en plus d'intérêt et d'inquiétudes, et pas uniquement sur la planète finance. Après les mises en garde des banquiers, tels que Jamie Dimon, le patron de JP Morgan, raillé pour avoir qualifié la crypto-monnaie d'"arnaque", c'est au tour du Nobel d'économie Jean Tirole de tirer la sonnette d'alarme. L'économiste français a pris la plume dans le Financial Times. Dans sa tribune intitulée « Il y a de nombreuses raisons d'être prudent à propos de bitcoin », le président de la Toulouse School of Economics s'alarme de « l'engouement actuel pour les crypto-monnaies [qui] semble illimité » (le cours du bitcoin recule ce jeudi à 9.420 dollars) et des levées de fonds en monnaie virtuelle (Initial Coin Offerings ou ICO), non réglementées, qui ont représenté plus de 3,5 milliards de dollars à ce jour cette année.
« Sur la question de la durabilité, le bitcoin est une pure bulle, un actif sans valeur intrinsèque - son prix tombera à zéro si la confiance disparaît », met en garde l'économiste.
[Le cours du bitcoin le 30 novembre depuis un an. Crédits : Coindesk]
Le nouvel or ?
Le prix Nobel relève qu'il a existé de longues bulles à succès, durables, comme l'or, « dont la valeur excède largement le prix que l'on obtiendrait si elle était traitée comme matière première et utilisée à des fins industrielles ou décoratives. » Mais aussi le dollar, la livre et l'euro !
« Personne ne peut dire avec certitude que le bitcoin va s'effondrer. Cela pourrait devenir le nouvel or. Mais je ne parierais pas mes économies et je ne voudrais pas non plus que les banques réglementées parient sur sa valeur », écrit Jean Tirole.
Il s'interroge sur la valeur sociale du bitcoin et au-delà dans un monde où les banques centrales n'auraient plus de prise sur l'économie :
« Le bitcoin est peut-être un rêve libertaire, mais c'est un vrai casse-tête pour quiconque considère la politique publique comme un complément nécessaire aux économies de marché. Il est encore trop souvent utilisé pour l'évasion fiscale ou le blanchiment d'argent. Et comment les banques centrales mèneraient-elles des politiques contra-cycliques dans un monde de crypto-monnaies privées ? », demande-t-il.
Le phénomène des ICO n'est « pas plus rassurant » selon l'auteur de l'ouvrage Economie du bien commun car « il néglige les fondamentaux de la finance : l'utilisation d'intermédiaires fiables et bien capitalisés pour suivre les projets. »
Jean Tirole insiste : son scepticisme ne concerne « pas la blockchain, la technologie derrière le bitcoin. Cette technologie de registre distribué est une innovation bienvenue avec des applications utiles, y compris l'exécution rapide et automatique de contrats intelligents ». Mais il prévient les autorités publiques :
« Les avancées technologiques [...] ne devraient pas nous conduire à s'abstraire des fondamentaux économiques. Les gouvernements qui accordent encore une attention favorable au bitcoin et aux ICO seraient bien avisés de protéger leurs citoyens et leurs institutions financières contre des développements risqués et socialement nuisibles. »
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