Le financement « par la foule » : un nouveau coup de pouce aux territoires

Le « crowdfunding » contribue à redynamiser les territoires. Exemple : Tudigo, qui propose aux PME, commerçants et artisans d'associer les habitants au maintien ou au développement d'un projet économique.
Juliette Raynal
(Crédits : DR)

La petite épicerie de Moustey dans les Landes, la biscuiterie Jeannette en Normandie (La Tribune n°283), la distillerie Moon Harbour à Bordeaux et la forge Auriou dans le Tarn ont un point commun. Toutes ont fait appel à Tudigo, une plateforme de financement participatif qui s'attache à associer les habitants des territoires au développement de l'économie locale. « Les projets que nous sélectionnons doivent obligatoirement avoir un impact positif sur le territoire. Ils doivent permettre de préserver ou de créer des emplois, de faire perdurer un savoir-faire, de revitaliser une localité ou de favoriser sa transition énergétique », explique Alice Lauriot dit Prévost, l'une des trois associées de Tudigo. Actuellement, sur la plateforme, les internautes peuvent soutenir la coopérative Villages Vivants. Basée dans la Drôme, elle propose de lutter contre la vacance commerciale dans les villages en rachetant et restaurant des locaux pour pouvoir ensuite les louer à des commerçants à un tarif progressif.

Créée à Paris en 2012 par Stéphane Vromman et Alexandre Laing, Tudigo (à l'époque « Bulb in Town ») s'est inscrite dès sa naissance à contre-courant des principaux acteurs du crowdfunding, littéralement le « financement par la foule ». « Ces plate-formes permettaient de soutenir des projets artistiques et culturels ou d'investir dans des startups. Mais il y avait un gros trou dans la raquette concernant les petites et moyennes entreprises, qui constituent 95 % de notre tissu économique et dont près d'un tiers sont sous capitalisées. En parallèle, l'idée était de permettre aux particuliers de donner du sens à leur épargne en la fléchant vers des projets de l'économie réelle et de proximité », expose Alice Lauriot dit Prévost. Aujourd'hui Tudigo propose aux contributeurs d'investir, de prêter ou de réaliser des dons, bien souvent en échange de produits locaux.

Une aide aux territoires

Pour se faire connaître auprès des PME, artisans et commerçants de proximité, encore peu enclins à se tourner vers le crowdfunding, Tudigo s'appuie sur 280 structures partenaires, comme les chambres de commerce et d'industrie ou encore les réseaux d'experts-comptables, qui tous jouent un rôle de prescripteurs. Le crowdfunding de proximité a aussi ses propres codes. La communication des projets se joue très peu sur les réseaux sociaux et davantage dans les boîtes aux lettres et sur les panneaux d'affichage des municipalités. Tudigo accepte aussi les paiements par chèque pour n'exclure aucun contributeur potentiel.

En 2018, l'entreprise parisienne a collecté 9 millions d'euros, contre 3 millions d'euros en 2017. Elle espère en recueillir 20 en 2019. La société est rentable, un cas relativement rare dans l'univers du crowdfunding. Ce tour de force est directement lié à cette logique partenariale et à l'ancrage territorial des projets soutenus : la mobilisation instantanée qu'ils génèrent assure le succès des collectes. « Sur Tudigo, les projets apportent automatiquement les épargnants », assure Alice Lauriot dit Prévost. Aujourd'hui, seule Tudigo a fait du financement de proximité sa spécialité mais d'autres plateformes, de par leur ancrage local ou leur spécialisation dans les énergies renouvelables, l'agriculture ou les projets à impact positif, permettent également de soutenir les territoires.

EN CHIFFRE

9 millions d'euros. Le montant collecté en 2018 par la palteforme Tudigo. Elle en espère 20 millions cette année.

Cinq exemples de crowfunding locaux

1- Des commerces de campagne multiservices
CHAMPDIEU, VERRIÈRES, LANCIÉ, BOISSET-SAINT-PRIEST, CHARENTAY, LURIECQ (AUVERGNE-RHÔNE-ALPES). 

« En France, un village sur deux n'a plus de commerce », déplore Virginie Hils, à la tête de Comptoir de campagne. Créée en 2015, cette entreprise de l'économie sociale et solidaire propose de lutter contre l'exode rural à travers un concept de commerce de proximité multiservice. « Aujourd'hui, il n'y a plus de marché dans un village pour une agence bancaire, un restaurant et une poste. L'idée est de regrouper tous ces services sous un même toit et de générer des activités rentables sur un territoire », explique la cheffe d'entreprise.Pour financer ce projet, Comptoir de campagne a levé un million d'euros, dont près de 300.000 auprès de 49 investisseurs particuliers via la plateforme de crowdfunding Lita, spécialisée dans les projets à impact positif.

« Nous faisons également appel au financement participatif pour chaque ouverture de boutique afin de financer les meubles froids. En échange de leurs dons, les futurs clients reçoivent des paniers gourmands ou des bons pour de futurs services », détaille Virginie Hils. En l'espace de cinq ans, Comptoir de campagne a permis l'ouverture de six boutiques dans le Beaujolais et le territoire de Faurez dans la Loire. Les clients peuvent y trouver des produits frais et d'épicerie, acheter des billets de train, du gaz ou accéder à des services postaux, de pressing et de cordonnerie. « Ces boutiques permettent de revitaliser les zones rurales, mais aussi de créer du lien social car chacune propose des espaces de restauration et accueille divers ateliers et événements. Elles soutiennent aussi la création d'emplois locaux en privilégiant les circuits courts et l'artisanat », souligne l'entrepreneuse.
https://fr.lita.co/fr/projects/600-comp-toir-de-campagne

2- La coopérative de Clermont-l'Hérault et ses 2000 producteurs d'olives
CLERMONT-L'HÉRAULT (OCCITANIE) Plateforme Miimosa.

« Nous sommes la deuxième coopérative oléicole la plus importante d'Occitanie. L'année dernière, notre activité a été très fragilisée par un vol massif d'huile d'olive, qui a représenté entre 30 et 40 % de notre production annuelle », raconte Sandrine Baldayrou, directrice de la coopérative et du magasin associé Oli d'Oc. Située à Clermont-l'Hérault, la structure emploie 17 salariés et fait travailler quelque 2000 producteurs. Elle produit chaque année 800 tonnes d'olives à huile et 80 tonnes d'olives de table. « Après le vol, nous sommes parvenus à pérenniser la rémunération de nos producteurs mais nous avons dû mettre de côté un important dossier d'investissement qui visait à améliorer notre productivité et à moderniser notre conditionnement », expose Sandrine Baldayrou.

La coopérative de Clermont-l'Hérault et ses 2000 producteurs d'olives

[La structure produit chaque année 800 tonnes d'olives à l'huile et 80 tonnes d'olives de table.]

Pour relancer ce projet, la coopérative a lancé il y a quelques jours une campagne de financement participatif sur la plateforme Miimosa, spécialisée dans l'agriculture et à l'alimentation. « C'est notre cabinet comptable qui nous a conseillé de nous lancer dans le crowdfunding », confie Sandrine Baldayrou. Finalisée le 11 mars dernier, la campagne a permis de collecter 8 665 euros auprès de 88 contributeurs. « Il y a eu un vrai engouement de la part de nos producteurs, fournisseurs et clients », se réjouit la directrice de la coopérative, bien décidée à pérenniser un savoir-faire vieux de cent ans.

https://www.miimosa.com/fr/projects/ soutenez-la-1ere-cooperative-oleicole-d-occitanie/description?l=fr

3 - Le savon de Marseille et son musée
MARSEILLE (PROVENCE-ALPES-CÔTE D'AZUR) Plateforme Provence Booster.

« Dans les années 50, on comptait une centaine de savonneries dans la région. Presque toutes ont disparu au fil des ans avec le développement des produits de synthèse. Aujourd'hui, nous ne sommes plus que quatre », raconte Guillaume Fiévet, le directeur général de la Savonnerie du Midi. Située dans les quartiers nord de Marseille, cette savonnerie a vu le jour en 1894. 125 ans plus tard, elle produit encore le savon de Marseille selon des méthodes traditionnelles : au chaudron, en utilisant uniquement des huiles végétales, sans parfum ni colorant. « Il y a deux ans, nous avons réalisé d'importants investissements pour rénover les bâtiments, l'appareil industriel et ouvrir un musée afin de faire de la pédagogie auprès des habitants et des touristes car l'appellation savon de Marseille n'est pas protégée » [et donc parfois utilisée à tort, ndlr], explique Guillaume Fiévet.

Savon de Marseille

[L'appellation savon de Marseille n'est pas protégée]

Une campagne de crowdfunding a permis à l'entreprise de collecter 15000 euros pour finaliser les aménagements du musée. « Nous avons choisi la plateforme Provence Booster car c'est un acteur local. Tout le mobilier du musée a, par ailleurs, été réalisé par des personnes en réinsertion en partenariat avec la Cité des arts de la rue, qui travaille avec différentes associations afin de recréer du lien social sur ce territoire », précise le dirigeant. Le musée a ouvert ses portes en décembre dernier. La savonnerie, elle, a réalisé un chiffre d'affaires de 7 millions d'euros en 2018, a produit environ 800 tonnes de savon de Marseille et emploie 27 salariés dont la plupart sont issus des quartiers nord.

4 - Un barrage hydraulique au coeur de Carcassonne
CARCASSONNE (OCCITANIE) Plateforme Enerfip.

« En l'espace d'une semaine, la campagne, dont l'objectif était fixé à 100.000 euros, a permis de collecter 72.000 euros auprès des seuls habitants de Carcassonne », se réjouit Léo Lemordant, l'un des fondateurs de la plateforme Enerfip, spécialisée dans le financement des énergies renouvelables. 39 résidents de la cité médiévale ont, en effet, choisi de soutenir un projet de rénovation d'un barrage, situé en centre-ville, qui sera doté d'une centrale hydroélectrique pour assurer la durabilité du site d'un point de vue économique et écologique. La turbine doit permettre de produire 170.0000 kWh, soit l'équivalent de la consommation annuelle de 380 foyers.

Barrage hydraulique

[Le barrage sera doté d'une centrale hydroélectrique pour assurer la durabilité du site d'un point de vu économique et écologique.]

« Le projet vise aussi à assurer la continuité écologique de l'Aude en facilitant notamment la migration des anguilles, une espèce protégée », précise Léo Lemordant. Cet engouement auprès de la population locale s'explique par le travail d'information réalisé en amont par les acteurs publics, qui souhaitaient donner la possibilité aux habitants de devenir acteurs de ce site. « 50 personnes ont assisté à la réunion publique d'information », témoigne Léo Lemordant. Pour se distinguer des plateformes concurrentes, Enerfip assiste régulièrement aux réunions locales consacrées au financement des projets d'énergies renouvelables afin de faciliter leur acception.

5 - L'épicerie de Moustey ou le dernier commerce du village
MOUSTEY (NOUVELLE-AQUITAINE) Plateforme Tudigo. 

Moustey est un village de 650 habitants situé dans les Landes. La localité ne s'est pas transformée en dortoir grâce à la présence d'un unique commerce : une petite épicerie, ouverte tous les jours de 7 heures à 20 heures, qui fait aussi office d'annexe postale, de tabac, de point presse, de boulangerie et de relais colis. Mais, pendant deux ans, la propriétaire, proche de la retraite, ne trouve pas de repreneur. L'idée de voir le dernier commerce de son village fermer ses portes pousse Samira Hassouf à s'emparer du sujet. Native du village, elle décide de faire appel au financement participatif pour redynamiser et moderniser les lieux. Sur Tudigo, elle collecte 5.250 euros auprès de 102 contributeurs. Tous ont reçu un panier garni en contrepartie.

épicerie

Grâce à cette mobilisation, Samira Hassouf a pu obtenir pour le développement de son projet une aide supplémentaire, sous la forme d'un prêt à taux zéro. Les fonds collectés, eux, ont permis de financer une vitrine dédiée aux produits régionaux et locaux, la nouvelle propriétaire mettant un point d'honneur à travailler avec des artisans, des fermes et des commerçants de la Haute Landes et du pays mousteyais, pour soutenir l'économie des villages aux alentours.

Juliette Raynal

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