Pas d’avenir sans les banques pour les startups de la Fintech ?

Les nouveaux entrants qui promettaient de faire sauter la banque se font racheter par les acteurs établis. Aveu d’échec dans un marché aux fortes barrières à l’entrée ? Ou hybridation révélatrice de la maturité atteinte par les uns et les autres ? Analyse.
Delphine Cuny
Il existe une multitude de startups mariant finance et technologies, dont les banques apparaissent souvent comme les acquéreurs naturels.

Plus besoin d'une banque, disaient-ils. De nouveaux entrants jouant sur l'image écornée du secteur par la crise financière pour attirer des clients à la recherche de tarifs moins chers et d'un service plus simple et réactif, avec leurs applications mobiles séduisantes. En février, Morning, la startup toulousaine qui voulait « réveiller la banque », s'adossait finalement à Banque Edel. Ce mardi, la Financière de paiements électroniques (FPE), à l'origine du Compte Nickel, le « compte sans banque » aux 540.000 clients inscrits dans les bureaux de tabac, annonce se vendre à BNP Paribas. L'été dernier, c'était la banque mobile allemande Fidor, l'une des plus prometteuses d'Europe, qui se faisait avaler par le groupe BPCE (organe central des Banques Populaires Caisses d'Epargne).

Le sort inévitable de ces acteurs qui viennent bousculer le secteur de la finance avec de la technologie (on les appelle les Fintech) est-il une acquisition par un groupe bancaire aux poches profondes ?

Partenariats pour "accélérer la disruption"

« Ce ne sont que quelques exemples rapportés à des centaines d'entreprises. Se faire racheter en général, et par une banque en particulier, n'est pas le destin inéluctable des Fintech », objecte Alain Clot, le président de l'association France Fintech.

« Les banques accélèrent elles-mêmes leur disruption en faisant des partenariats avec les Fintech, mais elles ne sont pas les seules à faire des acquisitions : les télécoms et les distributeurs aussi, et demain les acteurs de la tech et du digital. »

Orange a en effet racheté 65% de Groupama Banque pour lancer Orange Bank (dont le lancement est prévu mi-mai). La Banque Edel qui a repris la néobanque Morning, est la filiale du géant de la grande distribution E. Leclerc ; elle va davantage développer les solutions technologiques en BtoB, sous marque blanche de la startup dont le fondateur, Eric Charpentier, à la com' très provoc', a été débarqué, faute de s'être entendu avec la Maif, son précédent actionnaire de contrôle.

Un Uber ou un Ryanair de la banque ?

Le modèle de « néobanque », généralement un service simplifié de compte avec une carte pour le grand public, sans agence et 100% mobile, nécessite d'importants moyens, en coûts d'acquisition de clients, même si les frais de structure sont faibles. La startup britannique Atom Bank, qui dit s'inspirer de la compagnie low-cost Ryanair, a levé 160 millions d'euros, notamment auprès du géant bancaire espagnol BBVA. L'allemande N26 a levé plus de 50 millions de dollars auprès d'investisseurs prestigieux (Peter Thiel, Li Ka-shing) et se voit en « Uber de la banque ».

Mais il ne suffit pas de concevoir la plus belle interface du monde pour « ubériser » ce secteur très réglementé et aux fortes barrières à l'entrée.

Le cofondateur de Fidor avait expliqué qu'il s'était rendu compte que le métier est « très capitalistique » et qu'il faut des actionnaires solides. Fidor, comme Compte Nickel, avait une structure actionnariale très fragmentée et besoin de proposer une porte de sortie à ses investisseurs. C'est là qu'une banque établie peut apparaître comme un partenaire, qui comprend le métier et les contraintes. Et se montre moins pressé qu'un fonds de capital-risque, la Bourse restant une option un peu prématurée pour ces jeunes entreprises.

« L'indépendance, ce n'est que de la rhétorique si on ne peut utiliser son capital », avait déclaré le directeur générale de Fidor, Matthias Kröner.

Indépendance revendiquée, puis... relativisée

Cette indépendance, revendiquée haut et fort, puis relativisée, crée parfois une incompréhension chez les clients. Sur les réseaux sociaux, certains supporters de Compte Nickel se montraient déçus, ne comprenant pas ce qu'ils perçoivent comme un renoncement, une façon de vendre son âme. Un peu comme si Free se faisait racheter par SFR...

L'auteur libéral Gaspard Koenig, fan de la première heure, a réagi sur Twitter : "Quelle tristesse. J'ai ouvert un Compte Nickel pour échapper à BNP et voilà que le piège se referme... On n'échappe pas à l'oligopole."

D'autres startups de la Fintech se clament indépendantes tout en ayant des acteurs établis de la finance en direct ou via un fonds de corporate venture au capital... et ne supportent pas que la presse le rappelle.

« Ce n'est pas tant l'identité de l'actionnaire qui compte que la préservation de la capacité concurrentielle et du modèle disruptif », fait valoir Alain Clot, qui est également business angel, actionnaire et administrateur de la FPE.

Il donne l'exemple de la cagnotte en ligne Leetchi, rachetée par Crédit Mutuel Arkéa en septembre 2015 : « La fondatrice, Céline Lazorthes, a réussi à maintenir sa culture et sa liberté totale de développement. » Tout en pérennisant l'entreprise, sans devoir courir après le tour de table suivant.

Concurrents mais pas ennemis

Pourquoi ces mastodontes de plusieurs dizaines de milliards d'euros de produit net bancaire sont-ils prêts à dépenser plusieurs dizaines de millions (une cinquantaine pour Leetchi, une centaine pour Fidor selon nos informations, plus de 200 millions pour Compte Nickel selon une estimation non confirmée) pour croquer de jeunes pousses générant au mieux quelques millions d'euros de revenus ?

Les Cassandre les soupçonnent de vouloir tuer dans l'œuf ces challengers. Les banques affirment sans complexe qu'il s'agit pour elles d'une forme d'externalisation de la R&D et certaines relèvent que les montants ne sont pas très importants à leur échelle. Condamnées à innover face aux transformations des usages, de plus en plus numériques, et à la menace d'une désintermédiation par les géants du Net (GAFA), elles ont appris à regarder avec moins de mépris et davantage d'ouverture ces nouveaux acteurs inventant des services et des modèles qu'elles n'auraient jamais pu développer elles-mêmes. De plus en plus de startups de la Fintech deviennent fournisseurs de briques logicielles ou de services, à l'image de l'agrégateur de comptes Linxo, qui poursuit son développement sous sa marque propre et en marque blanche, ou bien "pivotent" du modèle BtoC au BtoB, comme Morning, et d'autres, dans les services financiers aux entreprises, qui veulent vendre sous licence leur technologie.

Cette hybridation est révélatrice de la maturité atteinte par les uns et les autres, qui se complètent sans se faire trop de mal, comme les banques en ligne, toutes filiales de grandes banques (ING, Boursorama/Société Générale, BforBank/Crédit Agricole, Fortuneo/Arkéa, etc.).

« Ce n'est pas la guerre entre banques et Fintech : nous sommes concurrents, mais pas ennemis », relève Alain Clot.

Delphine Cuny

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Commentaires 3
à écrit le 06/04/2017 à 15:39
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L'objectif de Compte-Nickel reste le même : permettre à nos clients de payer et d'être payé. Ce changement d'actionnariat ne change en rien notre offre ou nos valeurs : universalité, simplicité, utilité, transparence. Nos clients sont au coeur de nos...

à écrit le 05/04/2017 à 9:54
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Les "clients" de ces etablissements se retrouvent gros-jean. Ils faisaient confiance aux createurs de ces structures. Les naifs. Les innovateurs de ces business models pretendues concurencielles une fois solidement ancrees revendent a tres fort profi...

à écrit le 05/04/2017 à 9:30
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"L'auteur libéral Gaspard Koenig, fan de la première heure, a réagi sur Twitter : "Quelle tristesse. J'ai ouvert un Compte Nickel pour échapper à BNP et voilà que le piège se referme... On n'échappe pas à l'oligopole."" Merci beaucoup pour cet ar...

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