Qui prendra les manettes de la BCE à Super Mario ? Les 5 favoris

Mario Draghi quittera la tête de l'institution européenne le 31 octobre. Le choix de son successeur sera issu d'un subtil compromis entre les pays de la zone euro. Portraits des candidats pressentis.
Delphine Cuny
Mario Draghi, le président de la BCE, dont le mandat arrive à échéance le 31 octobre 2019.
Mario Draghi, le président de la BCE, dont le mandat arrive à échéance le 31 octobre 2019. (Crédits : BCE)

[Article publié dans l'édition hebdomadaire du 31 mai 2019 et mis à jour le 6/06 à 11h]

Deux Français, deux Finlandais et un Allemand. Ce pourrait être les ingrédients d'une plaisanterie à la sauce Erasmus. Il s'agit de la liste non officielle (et non exhaustive) des candidats pressentis à la succession de Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE). Derrière le choix crucial du ou de la futur(e) président(e) de la Commission européenne, qui fait déjà l'objet d'intenses tractations entre les chefs d'État et de gouvernement depuis les résultats des élections européennes de dimanche, cet autre poste à très hautes responsabilités devra en effet être pourvu dans la foulée. Qui aura la tâche délicate de prendre les manettes à « Super Mario », le « sauveur de l'euro » ? En juillet 2012, en pleine crise des dettes souveraines, il avait rassuré les investisseurs en trois mots, devenus formule magique, « whatever it takes », se disant prêt à faire « tout ce qu'il faudra » pour protéger la monnaie unique. La fin de la partie pour le « superbanquier » italien de 71 ans est prévue officiellement le 31 octobre 2019, date d'échéance de son mandat de huit ans non renouvelable.

Recherche expert dans le domaine monétaire ou bancaire

Bien que l'institution, créée en 1998, dans le prolongement de l'Institut monétaire européen, soit indépendante, le processus de nomination est en réalité hautement politique et intimement lié à la distribution des postes éminents au sein des institutions de l'UE. Il prévoit plusieurs étapes : les 19 États membres de la zone euro proposent des candidats, les ministres des Finances de la zone, réunis au sein de l'Eurogroupe, en débattent, puis le Conseil européen, composé des chefs d'État et de gouvernement, doit se mettre d'accord sur un candidat. Les eurodéputés sont ensuite consultés, tout comme le conseil des gouverneurs de la BCE, composé des membres du directoire de l'institution et des gouverneurs des 19 banques centrales nationales de la zone. Le Conseil européen pourra alors procéder à la nomination officielle du quatrième président de la BCE, vraisemblablement en juillet.

Le candidat est forcément un ressortissant d'un pays de la zone euro : la principale mission de la BCE consiste à « maintenir la stabilité des prix » dans la zone euro et à « préserver ainsi le pouvoir d'achat de la monnaie unique ». Il doit avoir une autorité et une expérience professionnelle reconnues dans le domaine monétaire ou bancaire. Dans les faits, chacun des trois présidents a été auparavant gouverneur de la Banque centrale de son pays. Au-delà des compétences, la nationalité est un critère déterminant car les présidences des institutions européennes sont négociées en essayant de respecter un subtil équilibre entre les pays. Le premier président, Wim Duisenberg, resté seulement cinq ans, était néerlandais, le deuxième, Jean-Claude Trichet, français, et le troisième, italien.

Un poste que n'a jamais obtenu l'Allemagne

L'Allemagne, première économie européenne, n'a jamais obtenu le poste hautement convoité à la tête de cette institution installée à Francfort, sa capitale financière, et créée sur le modèle de la Bundesbank. Mais elle ne pourra gagner sur tous les tableaux. Si le Bavarois Manfred Weber, chef de file du groupe du Parti populaire européen (PPE), soutenu par Angela Merkel, est nommé à la présidence de la Commission, la BCE échappera à son candidat, Jens Weidmann, l'actuel président de la BuBa, qui figure parmi les favoris. De même, si un Français, par exemple Michel Barnier, accède à la présidence à Bruxelles, les chances de nomination d'un Français (François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, ou Benoît Cœuré, membre du directoire de la BCE) à Francfort sont quasi nulles.

« Le bilan de Mario Draghi est très bon. Il a su montrer sa détermination dans les moments difficiles. Le choix de son successeur est important, la patte personnelle compte. Il faut quelqu'un de compétent. Le gouverneur de la Banque de France fait partie de ces personnes compétentes », confie un grand banquier français, laissant un temps de côté ses doléances sur les taux d'intérêt ultra bas, qui laminent la rentabilité du secteur.

Le difficile choix du successeur

Un compromis pourrait être trouvé autour d'une nationalité peu clivante, un plus petit pays de la zone euro en termes économiques. La Finlande, à la note de crédit élevée (AA+) et à la réputation de conservatisme monétaire, aligne deux candidats : l'actuel gouverneur de la Banque centrale, Olli Rehn, et son prédécesseur, Erkki Liikanen, tous deux ex-commissaires européens. D'autres noms circulent pour le poste : le Néerlandais Klaas Knot (52 ans), gouverneur de la Banque centrale des Pays-Bas, l'Allemande Claudia Buch (53 ans), vice-présidente de la Bundesbank, qui a l'avantage d'être une femme, dans cet aréopage très masculin, l'Espagnol Pablo Hernandez de Cos (48 ans). Longtemps cité, l'Irlandais Philip Lane vient d'être nommé économiste en chef de la BCE. Quant à Christine Lagarde, régulièrement mentionnée pour la présidence de la BCE et même celle de la Commission, elle avait catégoriquement écarté de ne pas aller au bout de son mandat de directrice générale du FMI, qui court jusqu'à l'été 2021.

La nomination pourrait entraîner aussi un jeu de chaises musicales au sein du directoire de la BCE : si l'Allemagne a la présidence, Sabine Lautenschläger devra démissionner. Si la France ne l'emporte pas, elle voudra garder un siège après le départ de Benoît Coeuré en décembre. Des noms circulent, dont ceux de Sylvie Goulard, ex-eurodéputée et actuelle seconde sous-gouverneure et de Laurence Boone, cheffe économiste à l'OCDE et ex-conseillère à l'Élysée de François Hollande.

Mieux payé qu'à la Fed

Le job ne sera pas de tout repos. Le prochain président de la BCE devra négocier la sortie de la politique monétaire accommodante (quantitative easing ou QE), en évitant de déstabiliser les marchés financiers : le programme d'achats de dettes souveraines et privées, qui a atteint 80 milliards d'euros par mois en 2016-17, s'est arrêté en décembre dernier, et les taux resteront inchangés « au moins jusqu'à l'été 2019 ». C'est aussi l'un des postes les mieux payés des institutions de l'UE. La rémunération de Mario Draghi s'est élevée à 401.400 euros en 2018, quasi le double de celle du président de la FED américaine (203.500 dollars pour 2019).

Le débat sur le profil du président pourrait aussi relancer celui sur le champ du mandat de la BCE, au-delà de la lutte contre l'inflation (contenue sous les 2 %), et de la supervision bancaire dont elle est chargée depuis 2013. Le premier objectif de la FED, bien plus large, consiste à « conduire la politique monétaire du pays en promouvant le plein emploi, la stabilité des prix et des taux d'intérêt modérés à long terme pour l'économie américaine. »

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LES 5 GRANDS FAVORIS

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Benoît Cœuré

50 ans, membre du directoire de la BCE

Ce haut fonctionnaire français, polytechnicien, diplômé de l'Ensae et licencié en japonais, a fait une grande partie de sa carrière à la direction du Trésor, avant de rejoindre la BCE en 2012. Il est considéré comme le bras droit de Mario Draghi et l'un des architectes de la politique monétaire accommodante ou « non conventionnelle ». Très respecté dans les milieux économiques et financiers, fin connaisseur de la bureaucratie européenne, il serait le candidat idéal pour assurer la continuité de cette politique sans bousculer les marchés.

Mais son mandat au directoire s'achève en décembre et n'est pas renouvelable. Cette disposition l'empêche-t-elle d'être nommé pour un mandat à un autre poste, en l'occurrence la présidence ? Il y a un « vide juridique » et « tout est possible », confie une source bien informée. Il a lui-même indiqué vouloir « continuer à travailler pour l'Europe ».

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Benoît Coeuré BCE

[Benoît Cœuré. Crédit : BCE]

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Erkki Liikanen

68 ans, ex-gouverneur de la Banque de Finlande

Ce vétéran finlandais de la politique et de l'Europe est perçu comme l'un des favoris pour le poste. Il coche de nombreuses cases. Diplômé en sciences politiques, élu député à 22 ans sous la bannière socialedémocrate, il a été ministre des Finances de son pays, commissaire européen de 1995 à 2004, puis gouverneur de la banque de Finlande pendant quatorze ans, jusqu'en juillet 2018. À Bruxelles, dont il connaît bien le jargon et les pratiques, Erkki Liikanen fut chargé du budget, du personnel et de l'administration dans la Commission Santer puis des entreprises et de la société de l'information sous Prodi. En 2012, la Commission lui avait confié la présidence du groupe d'experts de haut niveau chargés de réfléchir aux réformes structurelles du secteur bancaire. Son point faible est son âge : il aurait 77 ans en fin de mandat.

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Erkki Liikanen Banque de Finlande

[Erkki Liikanen. Crédit : Reuters]

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Olli Rehn

57 ans, gouverneur de la Banque de Finlande

Le successeur d'Erkki Liikanen à la tête de la banque centrale finlandaise fait lui aussi figure d'excellent candidat. Plus jeune, ce docteur en économie politique de l'université d'Oxford, fan de foot, de rock et de jazz, a une solide expérience des institutions européennes. Parlant anglais, français, suédois, et un peu allemand, il a été commissaire à l'Élargissement de 2004 à 2009 puis aux Affaires économiques et monétaires de 2010 à 2014, pendant la crise de la dette souveraine. C'est un partisan de l'austérité, de la discipline fiscale et des réformes structurelles dans les États membres en difficultés. Élu député européen en 2014, il a renoncé à ce mandat après son élection à la Diète finlandaise (parti du centre). Ministre des Affaires économiques en 2015-2016, il a rejoint le conseil de la Banque de Finlande en octobre 2016.

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Olli Rehn Banque Finlande

[Olli Rehn. Crédit : Banque de Finlande]

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François Villeroy de Galhau

60 ans, gouverneur de la Banque de France

« Un banquier central parlant allemand » : c'est ainsi que la presse anglo-saxonne décrit ce haut fonctionnaire, descendant de la riche famille industrielle lorraine ayant fondé l'entreprise de céramique Villeroy & Boch. Ce polytechnicien et énarque a occupé divers postes au Trésor avant de devenir directeur de cabinet de DSK puis de Christian Sautter à Bercy. Passé dans le privé en 2003, il est PDG de Cetelem puis responsable de la banque de détail en France de BNP Paribas, dont il est nommé directeur général délégué du groupe. Cet intime de Jean-Pierre Jouyet est nommé en septembre 2015 gouverneur de la Banque de France après un bref retour dans le public.

Soutien de la politique de taux bas de la BCE et de l'achèvement de l'union bancaire, il défend aussi les intérêts des banques européennes face à la concurrence américaine.

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François Villeroy de Galhau Banque de France

[François Villeroy de Galhau. Crédit : Banque de France]

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Jens Weidmann

51 ans, président de la Bundesbank

Ex-conseiller économique d'Angela Merkel et plus jeune président de la banque centrale allemande à sa nomination, à 42 ans, en 2011, Jens Weidemann serait l'un des grands favoris. Cet économiste de formation, qui a étudié à Aix-en-Provence et à Paris et parle parfaitement le français, a toutefois de nombreux détracteurs.

Ce « faucon » sur le plan monétaire est le seul membre du conseil des gouverneurs de la BCE à avoir voté contre le programme de rachat de dettes de Mario Draghi à l'été 2012 ! Il prône une réduction de la taille du bilan de la BCE et procéderait sans doute à une remontée des taux anticipée. Si sa personnalité cristallise les oppositions, l'Allemagne pourrait proposer un autre candidat, la vice-présidente de la Buba, Claudia Buch, ou Klaus Regling (69 ans), un des architectes de l'euro, qui préside le Mécanisme européen de stabilité (MES) depuis 2012.

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Jens Weidmann Bundesbank

[Jens Weidemann. Crédit : Bundesbank]

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Processus de nomination du directoire de la BCE

BCE nomination directoire Conseil européen

[Cliquer ici pour agrandir. Crédit : Conseil européen]

Delphine Cuny

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Commentaires 2
à écrit le 06/06/2019 à 10:28
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Je suggere lemere. Evidemment c'est du 2nd degre.

à écrit le 06/06/2019 à 8:49
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Quelle tendance oligarchique européenne aura la main sur les caisses publiques européennes ? C'est vraiment très important pour eux, pensez bien que l'on en est certain parce que c'est cette cupidité qui est en train d'éradiquer l'humanité du moi...

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