Comment bien recruter en période de Covid-19  ?

ENTREPRISE & COVID-19. La crise, et les consignes sanitaires qui lui sont associées, ont chamboulé les processus de recrutement qui s'opèrent désormais en partie à distance. Dans ce contexte, candidats comme recruteurs doivent faire preuve d'adaptation. Pierre Cannet, PDG de Blue Search Conseil, un cabinet de recrutement spécialisé dans les nouvelles technologies et Flore Ozanne, dirigeante du cabinet de recrutement Eclore, consultante et coach auprès de dirigeants et managers, donnent leurs conseils pour gérer au mieux cette situation inédite.
Puisque les entretiens à distance durent en général moins longtemps que leurs équivalents physiques, faites preuve de synthèse, conseille Pierre Cannet (à dr.), PDG du cabinet de recrutement Blue Search Conseil. (à g. Flore Ozanne)
Puisque les entretiens à distance durent en général moins longtemps que leurs équivalents physiques, faites preuve de synthèse, conseille Pierre Cannet (à dr.), PDG du cabinet de recrutement Blue Search Conseil. (à g. Flore Ozanne) (Crédits : DR)

Sous la pression des confinements successifs, le marché de l'emploi est en plein bouleversement. Tandis que 97 millions de nouveaux postes devraient être créés, et ce, principalement dans l'économie des soins, les industries technologiques de la quatrième révolution industrielle (telle l'intelligence artificielle), et dans les domaines de la création de contenu, d'après l'étude "The Future of Jobs", d'autres devraient réduire le nombre de postes à pourvoir.

Logiquement, ceux qui revoient à la baisse leurs projets ou renoncent à recruter sont les secteurs les plus affectés par la réduction d'activité, comme l'hébergement-restauration ou certains secteurs industriels. Dans l'hébergement-restauration, 61% des employeurs recruteurs déclarent renoncer (41%) ou diminuer leurs projets de recrutement (20%), selon une étude de Pôle emploi menée en septembre.

À l'inverse, d'autres secteurs identifiés par La Tribune vont chercher la perle rare pour être à la pointe de la relance. Au premier rang de ces emplois, ceux créés par l'accélération de la digitalisation et des nouveaux besoins des consommateurs. Le point avec deux experts du recrutement.

Lire aussi : Quels sont les secteurs qui recrutent en pleine crise du Covid-19 ?

LA TRIBUNE - En quoi la manière de recruter a-t-elle changé en période de Covid-19 ?

PIERRE CANNET - Elle a changé de façon fondamentale. Avant la crise du Covid-19, les recrutements à distance étaient l'exception et les entretiens en face-à-face la règle. Aujourd'hui, la situation s'est totalement inversée.

Le premier bouleversement est d'abord technique. Il est important pour les candidats, comme pour les recruteurs, de maîtriser les outils qui permettent la tenue d'entretiens à distance (Zoom, Teams, etc.). D'autre part, ce n'est pas parce que l'entretien se fait par visio qu'il faut négliger sa tenue vestimentaire, de même que le décor qui apparaît à la caméra. Enfin, il faut faire preuve de synthèse. Globalement, les entretiens faits par visio durent moins longtemps. Il est donc important d'aller à l'essentiel.

On est privés d'un certain nombre d'impressions, pourtant essentielles dans la prise de décision. La poignée de main par exemple révèle des choses du candidat : son stress, son énergie... Il faut être particulièrement concentré lors d'un entretien à distance pour ne pas passer à côté de ces signaux faibles.

FLORE OZANNE - L'entretien de visu est une part majeure du processus de recrutement traditionnel. Depuis l'éclatement de la crise, il faut mettre en place d'autres manières d'évaluer les candidats.

Lors d'un entretien à distance, on perd toute la dimension informelle et non-verbale de la rencontre physique. Il faut donc être particulièrement attentif aux indices tels que la qualité de la présentation, la clarté des propos, le ton de la voix, la capacité à répondre précisément aux questions posées.

Quel type de contrat (CDD, CDI, freelance...) faut-il privilégier dans une période d'incertitudes et de manque de visibilité comme celle-ci ?

F.O. - On ne peut raisonner ainsi pour tous les postes, notamment ceux à forte responsabilité ou nécessitant un engagement "durable". Néanmoins, les contrats sont de plus en plus fragiles, avec l'incertitude économique qui touche tous les secteurs.

Un poste serait moins attractif s'il était d'emblée présenté comme précaire ; d'un autre côté, les candidats sont généralement plus disposés qu'avant à intégrer une organisation via un contrat freelance.

P.C. - Il faut distinguer les populations : les entreprises hésitent beaucoup à recruter en CDI des non-cadres ou des juniors ; en revanche, sur les postes de cadres managers middle ou top, elles savent qu'elles ont besoin d'un talent dans leurs effectifs permanents et privilégient le CDI.

Il faut d'ailleurs noter que l'impératif de transformation e-commerce et omnicanale conduit de nombreuses entreprises du retail et de la grande consommation à recruter des cadres dirigeants capables de la mener à bien en leur proposant un poste au Codir.

Faut-il adapter la rémunération et les salaires, étant donné ce contexte d'incertitude ?

P.C. - La rémunération est avant tout indexée sur le rapport entre l'offre et la demande ; elle diminuera dans son ensemble si le marché de l'emploi se dégrade. Est-ce que la ventilation entre fixe et variable va se modifier en défaveur de la partie fixe ? En théorie, c'est envisageable pour les cadres commerciaux et ceux à la tête d'un centre de profit : or, ces talents sont assez rares sur le marché de l'emploi et vont plutôt souhaiter un fixe élevé pour se protéger des aléas de la conjoncture.

En définitive , il faut s'attendre à un plafonnement des rémunérations mais pas à une nouvelle ventilation entre fixe et variable.

F.O. - L'introduction d'une certaine souplesse dans les modalités, y compris dans la construction des rémunérations, fluidifierait selon moi le monde du travail. L'intégration d'une part variable est d'autant plus pertinente que le télétravail accentue l'évaluation sur les résultats plus que sur les moyens.

Faut-il aussi augmenter la période d'essai puisque les contacts "réels" sont plus rares ?

F.O. - Face à l'instabilité de notre monde et à la difficulté à se projeter, les périodes d'essai sont bien souvent renouvelées, et ce depuis un moment déjà. La loi du travail ne permet de les prolonger au-delà du cadre actuel, bien qu'évaluer soit plus difficile dans le cadre d'une intégration à distance.

P.C. - La période d'essai protège l'employeur mais aussi le salarié ; la renouveler est sans doute suffisant et je n'ai pas constaté de tendance à l'augmentation de sa durée.

En ce qui concerne les offres d'emploi, y a-t-il des choses, comme le nombre de jours permis en télétravail, qu'il est désormais impératif de mettre dans la description du poste ?

F.O. - Je ne pense pas qu'il faille forcément inscrire le télétravail dans l'offre. Ce sont d'abord le sens du poste et sa mission qui doivent être donnés. En revanche, côté candidats, les modalités pratiques sont désormais souvent évoquées très tôt dans le process, ce qui est assez nouveau. La souplesse des conditions salariales, la question du temps de travail et du trajet ont pris de l'importance.

Quelles sont les qualités à privilégier chez les candidats pour relever les défis à venir ?

P.C. - Je dirais l'autonomie et la résilience. Ces deux qualités me paraissent aujourd'hui essentielles, alors que les entreprises s'inscrivent dans un contexte économique difficile, qu'elles doivent faire preuve d'adaptation, et que la pratique du télétravail se massifie.

Est-ce que les « soft skills », les compétences comportementales, ont gagné en importance depuis l'éclatement de la crise sanitaire ?

F.O. - Certaines, oui. La capacité à coopérer à distance, à clarifier qui fait quoi, à s'auto-motiver et être engagé dans la mise en œuvre de sa mission, de même qu'à identifier les informations qui doivent être partagées... Toutes ces compétences ont gagné en importance.

Quel conseil donneriez-vous, compte tenu de ces contraintes nouvelles ?

F.O. - La période que nous vivons exige, de la part des employeurs, d'être plus efficaces encore qu'à l'accoutumée. Et une manière d'être plus efficace est d'identifier des critères « discriminants » lors du processus de recrutement. Cela peut être des choses très concrètes, comme le fait de déterminer un niveau de salaire par exemple. Globalement, les recruteurs doivent se poser la question suivante : « s'il y avait 3-4 critères à garder concernant tel profil, quels seraient-ils ? » Et privilégier, à ce sujet, des éléments de savoir-être plutôt que des compétences techniques.

Qu'est-ce qui va rester de cette crise dans la façon de recruter selon vous ?

F.O. - Côté recruteurs, plus de flexibilité dans les process. Côté candidats, plus d'attention au sens de ce pour quoi et pour qui on travaille. Globalement, plus d'attention à l'adaptabilité des modalités de travail de son employeur.

P.C. - Quand il y a une vague, il y a un ressac mais il n'est jamais à la hauteur de la vague. Autrement dit, je pense que l'on va s'orienter vers un modèle hybride : une partie des entretiens continueront de se faire à distance, tandis qu'une autre se fera en face-à-face.

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Propos recueillis par Ivan Capecchi

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