
Décidément, l'Allemagne n'est jamais rassasiée. Berlin, qui avait pourtant signé en octobre 2019 des accords avec Paris sur la répartition des taches et des leaderships sur le programme SCAF (Système de combat aérien du futur), veut plus, toujours plus. "Les Allemands jouent sur tous les registres pour obtenir des gains supplémentaires sur ce programme", explique-t-on à La Tribune. La chancelière allemande Angela Merkel a d'ailleurs clairement soutenu les revendications des industriels allemands, notamment d'Airbus, à l'issue vendredi du conseil franco-allemand de défense et de sécurité. Depuis plus d'un mois, la situation est explosive entre Airbus et Dassault Aviation, les deux chefs de file industriels du programme, alors que le contrat de la phase 1B du SCAF, qui vise la réalisation de démonstrateurs - un budget à plus de 6 milliards d'euros -, se négocie âprement dans un calendrier très resserré.
"On a un petit peu rouvert le sujet de la répartition et de la poursuite des travaux. (...) C'est un projet, qui est sous leadership français, mais il faut quand même que les partenaires allemands puissent être à un niveau satisfaisant face à leurs partenaires (français, ndlr). Et donc, on doit voir précisément les questions de propriété intellectuelle, de partage des tâches et du partage du leadership", a-t-elle expliqué.
Des propos sans équivoque qui remettent clairement en cause les acquis de la France, y compris son leadership sur le programme, selon certaines sources interrogées par La Tribune. Un des programmes les plus emblématiques de l'Europe de la défense. Si l'Allemagne est dans son rôle de vouloir grignoter de nouvelles tâches dans ce programme en coopération, c'est bien à la France de dire stop à Berlin et de se faire respecter pour ne pas brader in fine ses technologies et son savoir-faire, fruit de 60 ans d'investissements dans son outil de défense.
Inquiétude en France
"Sur les projets industriels (SCAF, MGCS - le char du futur -, Eurodrone, ndlr), nous devons et voulons avoir des résultats", a de son côté estimé vendredi Emmanuel Macron. Mais pas à n'importe quel prix. Le président français a jusqu'ici bien soutenu ses industriels, assure-t-on à La Tribune. Mais l'inquiétude est palpable dans la maison France face à la pression maximale des Allemands. "Les équipes françaises ne doivent pas aller trop loin dans les concessions pour ne pas remettre en cause le leadership français sur ce programme", estime-t-on.
"Ces deux projets (SCAF et MGCS, ndlr) doivent à mes yeux répondre à deux ambitions : la première, être à la hauteur de notre volonté géostratégique, la souveraineté européenne ; la deuxième, c'est faire des projets industriels crédibles, c'est-à-dire les faire le plus vite possible avec la plus grande efficacité pour nos industriels", a précisé le président français.
Les revendications allemandes
En dépit de la pression imposée par un calendrier extrêmement resserré avant les élections allemandes, Berlin a rouvert des chantiers pourtant clos depuis plusieurs mois. Les Allemands sont notamment revenus à la charge sur la propriété intellectuelle des technologies utilisées sur le SCAF. Si Paris et Berlin s'étaient accordés sur des principes (ce qui est développé en commun par les industriels franco-allemands pourra être utilisé sur d'autres projets), l'Allemagne veut plus. Elle a une lecture extensible de la propriété intellectuelle sur ce programme en y intégrant l'ensemble des technologies préexistantes et des technologies développées sur le plan national. L'objectif est que les industriels outre-Rhin s'en servent sur d'autres programmes. Ce qui n'est pas du tout admissible pour les industriels français.
Deux piliers ont également rouvert, l'un par les Espagnols, qui veulent mettre autant d'argent que ses deux partenaires, et l'autre par les Allemands : le moteur et l'avion. Paris et Berlin avaient trouvé en décembre 2019 un accord sur les moteurs du futur avion de combat européen NGF (New Generation Fighter), un des piliers du programme SCAF. L'arrivée de l'Espagne a rebattu les cartes. Mais cette discussion serait sur le point d'être à nouveau fermée, précise-t-on. Enfin, les Allemands ont bloqué en janvier le dossier NGF alors que Dassault Aviation avait remis une offre sans passer par une validation d'Airbus, qui est fournisseur de l'avionneur tricolore sur ce pilier. Ambiance... Surtout Dassault Aviation joue clairement la carte "best athlète", qui a été vendue par Paris pour lancer le SCAF avec l'Allemagne. Or, il semblerait que les Allemands préfèrent quant à eux jouer désormais la carte du retour géographique pour que son industrie monte en gamme dans l'aéronautique militaire.
Un accord dans 15 jours ?
"Nous sommes confiants que dans les quinze prochains jours nous pourrons marquer une nouvelle étape", a assuré Emmanuel Macron. La pression sur les industriels et sur l'administration (DGA) en France va être maximale pour conclure un accord. Mais aussi sur les deux ministres de la Défense Florence Parly et Annegret Kramp-Karrenbauer auxquelles il a été demandé "de créer très rapidement les conditions qui permettront de faire passer ce dossier devant le Bundestag, en particulier devant la commission des affaires budgétaires", a précisé Angela Merkel. Et d'affirmer que "nous avons beaucoup travaillé et il est très probable que nous arrivions à finaliser le projet dans les semaines à venir".
Puis une fois l'accord trouvé, Emmanuel Macron a ensuite "bon espoir que d'ici au printemps on puisse arriver aux validations administratives et politiques qui sont attendues pour tenir le calendrier et nos ambitions". Ce qui n'est pas gagné car le Bundestag voudra très certainement intervenir également. En quelque sorte, la double lame allemande... En outre, le temps presse en raison du calendrier parlementaire allemand très serré avant les élections fédérales de 2021 (Bundestagswahl 2021), qui se dérouleront le 26 septembre 2021, afin de renouveler les membres du Bundestag. Il ne reste plus que théoriquement deux dates libres, les 14 et 21 avril, pour examiner le projet SCAF au Bundestag. Dernière possibilité, raccrocher le débat sur le SCAF avec celui sur le MGCS, qui est prévu en juin. Un programme, qui a, selon Angela Merkel, "des problèmes similaires" à celui du SCAF. "D'ici à la fin du mois de février, nous espérons être tombés d'accord sur toutes les difficultés qui existent encore pour la phase suivante de ce projet", a-t-elle précisé. La coopération franco-allemande reste bien une course d'obstacles...
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