C'était le dernier obstacle à lever. En obtenant l'accord des Etats-Unis, l'Allemagne va pouvoir acheter des systèmes anti-missiles israéliens pour créer un « Bouclier du ciel européen » (European Sky Shield). Derrière cet embrouillamini, très révélateur de la géopolitique de l'armement, se cache un très lucratif contrat - le plus gros contrat d'armement jamais conclu par Israël selon Yoav Galant, ministre israélien de la Défense - et un nouveau coup porté à une Europe industrielle et politique de la défense.
Le contrat qui valait 3 milliards
Pour un montant estimé à 3,2 milliards d'euros, l'Allemagne va donc se doter de systèmes anti-missiles Arrow 3. Une lettre d'engagement va être prochainement signée entre des hauts responsables des ministères de la Défense israélien et allemand afin de formaliser cette commande. Une première tranche de financement de 550 millions d'euros sera alors versée par Berlin afin de lancer le travail. En prévision de ce précontrat, la commission budgétaire du Bundestag, la chambre des députés allemande, a déjà approuvé ce versement en juin dernier. Le contrat complet est lui attendu vers novembre 2023 en vue d'un début des livraisons en 2025.
L'Arrow 3 est décrit comme un « intercepteur exo-atmosphérique conçu pour intercepter des missiles balistiques hors de l'atmosphère » dans un communiqué du ministère israélien de la Défense. Produit par Israel Aerospace Industries (IAI), avec les autres grands industriels israéliens Elbit Systems et Rafael, l'Arrow 3 a été développé en coopération avec Boeing. D'où la nécessité d'obtenir l'aval de Washington, qui se réserve le droit de bloquer l'exportation de tout armement mettant en œuvre des composants américains.
Bouclier plus israélo-américain qu'européen
Déjà éprouvés opérationnellement en Israël, ces systèmes Arrow 3 constitueront ainsi la composante longue du projet de Bouclier du ciel européen, aux côtés des Patriot PAC-3 de fabrication américaine pour la moyenne portée et des IRIS-T allemands pour la courte portée. Lancé à l'initiative de l'Allemagne en octobre 2022, le projet de Bouclier du ciel européen réunit à ce jour 17 pays, dont le Royaume-Uni, dans le but de mutualiser leurs achats face à la menace croissante exercée par la Russie comme le rappelle Reuters.
« Israël vend un système qui va protéger les citoyens allemands », s'est félicité devant des journalistes Moshé Patel, le directeur de l'Organisation israélienne de défense antimissile, comme le rapporte l'AFP. Selon lui, « le gouvernement allemand veut que ce soit exactement le même système que nous utilisons » et achète donc la « structure complète » de l'Arrow 3 (système d'arme, missiles intercepteurs et système de détection radar). Il a ajouté que d'autres pays, principalement en Europe, sont intéressés par ce système.
Paris et Rome ne sont pas à la fête
La nouvelle ne sera pas pour réjouir certains partenaires européens de l'Allemagne, tout particulièrement la France et l'Italie. Les deux pays ont affiché leur mécontentement face à l'élimination de leur système SAMP/T Mamba, développé par Thales et MBDA, lors de la phase de présélection. L'AFP indique que Paris plaidait alors - sans succès - pour davantage de souveraineté européenne en la matière.
Ces choix ont mécontenté la France et l'Italie, dont le système SAMP/T Mamba a été écarté de la présélection, Paris plaidant - sans succès - pour davantage de souveraineté européenne en la matière, indique encore l'agence de presse.
En réponse au Bouclier du ciel européen, la France a notamment organisé une conférence sur la défense aérienne à Paris en juin, au cours de laquelle Emmanuel Macron a vertement critiqué le projet allemand : « Si on a une approche uniquement et d'abord par le capacitaire, on achète tout de suite massivement ce qui est en rayon, même si c'est inutile. Et c'est généralement acheter massivement non européen ». Il a ainsi prôné une approche d'abord stratégique qui « consiste à savoir quel est l'état des menaces, quelle est la réalité qu'on veut défendre et quelle est la stratégie qu'on veut poursuivre. Et ensuite, qu'est-ce que nous sommes en capacité, nous Européens, de produire ? Qu'est-ce que nous devons ensuite acheter ? »
Paris avait alors obtenu une maigre consolation avec la signature d'une lettre d'intention signée par cinq pays (Belgique, Chypre, Estonie, Hongrie et France) pour exprimer leur volonté commune d'acquérir d'abord 500 et jusqu'à 1.000 missiles sol-air très courte portée Mistral. « C'est un très bel exemple de coopération souveraine des Européens sur une gamme qui est tout à fait pertinente et qui n'était pas assez couverte », s'était tout de même félicité le président de la République.
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