Plombé par une dette financière colossale de 4,9 milliards d'euros, Atos survivra-t-il à ce chaos qui l'entraîne dans un puits sans fonds ? Et si ce n'était pas le cas, qu'adviendrait-il ? Même si Atos joue le tout pour le tout en tentant de trouver d'ici au mois de juillet un plan de refinancement validé par ses créanciers financiers, Atos pourrait disparaître, tout comme Alcatel, qui faute d'avoir pris à temps le train de la 2G et la 3G, a disparu ou presque.
Car Atos, s'il a toutefois obtenu une bouffée d'oxygène avec un apport de liquidités sur le court terme à hauteur de 450 millions d'euros (300 millions venant des banques, 100 millions des investisseurs obligataires et 50 millions de l'État), est à la dérive depuis plusieurs années. In fine, l'avenir d'Atos, qui a besoin de 600 millions d'euros de cash sur 2024 et 2025 pour soutenir ses opérations, va dépendre des stratégies poursuivies par les créanciers, en tant que potentiels apporteurs de capital d'ici le 26 avril, et par les actionnaires actuels du groupe. Ils voteront en juillet sur les différentes solutions proposées par les créanciers du groupe.
Atos, un avenir incertain
Si la marque Atos disparaît, les activités du groupe numérique ne vont pas pour autant disparaître. Elles seraient vendues à la découpe, en trois ou quatre activités même si Onepoint, aidé par le fonds Butler Industries, souhaite conserver l'intégralité du groupe. Il est vrai que la double séquence avec Airbus pourrait avoir refroidi des investisseurs. Pourtant très intéressé, le géant de l'aéronautique a refusé l'obstacle par deux fois pour des raisons très différentes (achat de 30% d'Eviden, puis rachat des activités Big Data & Security-BDS). Par ailleurs, le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, malmené par une fronde parlementaire inédite, n'a pas franchi lui non plus le pas pour racheter les activités d'infogérance regroupées dans TechFoundations (5,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires).
Or, l'infogérance est une activité qui semble être vouée à une décroissance inéluctable au fil des années. « Ils auraient depuis longtemps dû se défaire de l'infogérance en la restructurant, puis la vendre à un groupe qui sait gérer cette activité », estime un industriel du secteur. En revanche, Eviden (hors BDS), que l'on peut considérer comme une SSII , peut voler de ses propres ailes dès lors que la structure bilantielle de cette activité est correcte. Par ailleurs, les activités cyber de BDS (entre 700 et 800 millions d'euros), qui ne sont pas souveraines, pourraient être potentiellement rachetées par des groupes comme Sopra Steria, Orange, Thales, voire même Airbus... Et les activités de défense d'Atos (autour de 200 millions d'euros) pourraient également être vendues à ces mêmes groupes. Enfin, les salariés de ces activités restent très attractifs actuellement au moment où la guerre des talents fait rage.
Seuls les supercalculateurs comptent
En revanche, l'État doit impérativement se préoccuper des activités de supercalculateurs et des services associés (environ 700 millions) et uniquement de cela. Une activité critique qui touche le cœur même de la souveraineté de la France. Car le programme Simulation (dissuasion nucléaire) s'appuie sur ces supercalculateurs que le CEA-DAM co-conçoit avec Atos. L'État français ne s'y est pas trompé en prenant sa part dans le projet de refinancement du groupe numérique, à travers l'octroi d'un prêt de 50 millions d'euros, sous réserve de l'accord des banques de financement du groupe.
Ce prêt, qui sera octroyé aux entités qui portent notamment les activités de calcul haute-performance, s'accompagnera de l'émission, au profit de l'État, d'une action de préférence (Bull SA) conférant un droit de regard renforcé de l'État sur ces actifs stratégiques sur le long terme. Il constitue ainsi une première étape dans la protection des activités stratégiques du groupe annoncée par le ministre de l'Économie Bruno Le Maire le 19 mars dernier. Y aura-t-il d'autres étapes ? En tout cas, d'ores et déjà, l'État disposera d'un « droit d'acquérir des activités souveraines sensibles en cas de franchissement par un tiers du seuil de 10% ou d'un multiple de 10% du capital ou des droits de vote d'Atos » - qui pourrait être exercé en cas de tentative de rachat de l'entreprise par un investisseur étranger, selon le ministère de l'Economie.
La vraie et seule question pour l'État doit être : où mettre à l'abri les supercalculateurs d'Atos (anciennement Bull) ? Car si cette activité disparaît, personne ne sait faire en Europe ces calculs haute-performances. Et la France en a absolument besoin pour la dissuasion nucléaire. « Elle a un siège permanent au Conseil de sécurité des Nations Unies parce qu'elle a la dissuasion. Elle a la dissuasion, entre autres parce qu 'elle a des calculateurs », rappelle-t-on à La Tribune.
Pour autant, cette activité est difficilement « recasable » dans un groupe. Car elle offre très peu de synergies. « Il faut absolument que cette activité soit dans des mains qui soient capables d'investir, qui s'occupent de conduire des programmes et qui soient capables de les faire fonctionner », explique-t-on à La Tribune. Et elle est critique pour l'État français mais pas pour un groupe privé, qui peut simplement la sécuriser. Et donc seul l'État peut financer une activité sous-critique en termes de charges. D'autant qu'il n'existe pas en Europe une préférence en matière d'achats de supercalculateurs. La preuve : le ministère de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation a acheté à l'américain Hewlett Packard Enterprise le supercalculateur Jean Zay acquis par l'intermédiaire de la société GENCI...
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