Comment Thales souhaite se réinventer à travers son nouveau plan stratégique

Dans un entretien accordé à La Tribune, le PDG de Thales Patrice Caine dévoile les quatre axes qui font partie du plan stratégique du groupe pour la période 2024/2030. Pour accompagner une croissance qui va être, selon lui, supérieure à la décennie passée, il compte changer le modèle de Thales pour être capable de livrer plus rapidement les commandes. Tout en respectant les critères ESG.
Michel Cabirol
« Je suis intimement convaincu que cet engagement en matière d’ESG va devenir un réel facteur différenciant pour Thales » (Patrice Caine, PDG de Thales).
« Je suis intimement convaincu que cet engagement en matière d’ESG va devenir un réel facteur différenciant pour Thales » (Patrice Caine, PDG de Thales). (Crédits : Martin Bureau / AFP)

Depuis sa prise de pouvoir en décembre 2014, Patrice Caine a su transformer avec succès Thales, une entreprise hyper stratégique pour la France, en un groupe moderne, capable de relever le défi de la révolution numérique. Un train technologique que Thales ne pouvait pas rater sous peine de devenir un joueur de deuxième zone. Au regard des nouvelles tendances mondiales (tensions internationales, montée des problématiques ESG et émergence d'une défiance vis-à-vis de la science), il considère que le groupe de technologies est à un nouveau tournant de son développement. Dans un entretien accordé à La Tribune, Patrice Caine explique quels sont les quatre axes du nouveau plan stratégique (2024/2030) de Thales, présenté en interne uniquement.

Ces quatre axes doivent permettre à Thales de rester à la fois performant sur le plan économique et vertueux : accélération de la croissance, nouveau modèle de production pour livrer beaucoup plus rapidement, renforcer le rôle de Thales comme entreprise apprenante (notamment face à la défiance des sciences) et imposer les critères ESG (Environnement, Social et Gouvernance) pour ne pas perdre l'acceptabilité sociale des nouvelles technologies. Si les deux premiers axes stratégiques restent classiques, les deux suivants sont pour le moins nouveaux à ce niveau stratégique d'un groupe de ce niveau dans le domaine aérospatial.

« Comment réconcilier tous ces enjeux stratégiques ? C'est notre travail au quotidien à nous tous et à l'équipe de direction que de réconcilier deux impératifs : croissance et limites des ressources naturelles de notre planète. Je ne me résous pas à me dire que finalement, pour s'en sortir, il n'y a que la théorie de la décroissance. Je crois au progrès, grâce à l'éducation, notamment dans les maths et les sciences, pour comprendre les technologies, en tirer le meilleur et offrir des perspectives d'avenir à nos jeunes », explique Patrice Caine à La Tribune.

1/ Une croissance durable et rentable

Depuis plus d'une décennie, Thales est sur une trajectoire de croissance inédite comme l'illustre les résultats annuels de 2022 où des records avaient été battus, dont le montant du carnet de commandes notamment. Et la croissance du groupe devrait durablement s'accélérer dans les prochaines années.

« Notre croissance doit être durable et rentable, ce qui constitue la base de toute entreprise économique, explique Patrice Caine. Mais ce qui sera différent à l'avenir, par rapport à la décennie passée, c'est notre rythme de croissance. Nous avons connu précédemment des taux de croissance de 2%, 3% ou 4%. Ces niveaux de croissance sont moins complexes à traiter que des croissances de 6%, 7% ou 8%. Pourquoi ? Pour atteindre 7% de croissance, par exemple, il ne suffit pas de doubler les capacités de production. Thales dispose de capacités de production mais aussi d'activités d'ingénierie. Pour nous, produire plus, c'est neuf fois sur dix synonyme de "plus d'ingénierie", et donc, plus de "cerveaux". Recruter et former de nouveaux talents est plus complexe que d'ouvrir une seconde ligne d'intégration de radars à Limours par exemple ».

A cet égard, Thales sera capable de produire 20 radars par an au lieu de 10 à Limours dès 2023. La capacité de production a été également augmenté sur le site de Hengelo (Pays-Bas)...

Cette croissance ne sera possible que si Thales parvient à recruter des ingénieurs, puis dans un deuxième temps à les former à ses métiers. Il sera d'ailleurs plus facile de faire monter à bord de Thales de nouveaux talents dans un groupe en croissance.

« Il faut recruter les meilleurs talents et Thales y arrive raisonnablement bien, confie Patrice Caine. Une fois recrutés, il faut compléter leurs savoirs académiques en les formant à nos métiers. Sortir d'une des meilleures écoles d'ingénieurs n'est malheureusement pas suffisant pour faire de vous immédiatement un bon radariste, sonariste ou architecte de satellite. Il faut compléter un savoir théorique avec la compétence relative au domaine d'application. Cette formation sur le domaine d'application ne se fait pas en un claquement de doigts. Il faut donc s'assurer que les jeunes ou moins jeunes qui nous rejoignent bénéficient d'un temps d'apprentissage suffisant afin de compléter leur savoir académique avec l'apprentissage lié au domaine d'application ».

2/ Livrer deux fois plus vite

« Notre deuxième enjeu stratégique consiste à revoir nos capacités de production, autant sur le plan matériel qu'immatériel. Gagner des contrats qui nous permettent de réaliser de la croissance entre 5% et 10 %, c'est remarquable. Après, il faut exécuter ces contrats. Une de nos priorités est donc de nous organiser différemment pour pouvoir servir nos clients presque deux fois plus vite qu'auparavant (quand la croissance annuelle de Thales était de 2%, 3%, ou 4 %) », explique Patrice Caine.

C'est là l'un des très gros défis de Thales pour les mois et les années à venir. Gagner des contrats est une chose, les exécuter en temps et en heure en est une autre. Clairement, Thales ne souhaite pas faire gonfler son carnet de commandes à l'infini en éprouvant des difficultés à l'écouler. D'où la volonté de Patrice Caine « de changer notre modèle si nous voulons aller deux fois plus vite que ce que nous étions capables de faire jusqu'à présent en matière d'exécution de nos programmes. Sans être une révolution, c'est une évolution progressive, profonde et passionnante de notre modèle d'ingénierie ».

Ce changement passe par une transformation de toute l'ingénierie de Thales. Ainsi, le groupe va « dans le domaine de l'ingénierie passer d'une logique de prestataires à celle de partenaires, explique Patrice Caine. Thales proposera de plus en plus de lots à des sociétés d'ingénierie, qui devront les développer sous leur responsabilité. Le groupe va mettre en place cette approche de manière plus systématique. Ce n'est pas inné pour un groupe de tech. Un chef de service d'un département d'ingénierie va devoir structurer le développement de son activité en lots, en fixant les spécifications de chaque lot en contrepartie d'un engagement forfaitaire de la société d'ingénierie. Cela demande un effort supplémentaire par rapport au fait de demander cinq ingénieurs de plus aux sociétés d'ingénierie ».

En outre, Thales va également développer ses centres d'ingénierie dans les pays où il existe des réservoirs d'ingénieurs disponibles.

« Nous avons des centres d'ingénierie partagés dans les pays, comme l'Inde ou la Roumanie, où il est plus facile de recruter des ingénieurs, éclaire le patron de Thales. Nous travaillons sur 200 projets d'ingénierie intégrés en Inde, avec à peu près 1.500 personnes qui fournissent toutes les entités du Groupe. Le recours à ces centres d'ingénierie en propre n'est pas faisable dans tous nos métiers, notamment la défense pour des raisons évidentes de souveraineté nationale. Nous avons commencé avec l'Inde, et poursuivi en Roumanie où nous avons environ 500 personnes. A l'horizon 2030, nous souhaitons renforcer cette stratégie en ayant - pourquoi pas - 4.000 personnes en Inde et 2.000 en Roumanie. Cela se fait en complément de nos activités basées en France qui doivent, elles aussi, répondre à une très forte demande de nos clients dans pratiquement tous nos métiers ».

Et cela marche déjà : le futur système de gestion de vol (FMS), que Thales développe pour le compte d'Airbus, est pratiquement développé à moitié en Inde.

3/ Thales, entreprise apprenante

C'est un axe stratégique qui risque de surprendre de la part d'un groupe comme Thales. Mais il fait partie des assurances profondes de Patrice Caine, éminemment convaincu des bienfaits du progrès et de la science sur le monde. D'autant que Thales a toute légitimité à s'exprimer sur ces questions de science, de technologies et de progrès technologiques.

« Thales c'est aussi une entreprise apprenante qui permet à l'ensemble de ses salariés, tout au long de leur parcours professionnel, de poursuivre leur formation. Au-delà, toutes les équipes de Thales ont un rôle à jouer pour partager leur passion pour les hautes technologies et la science qui apportent des réponses aux grands défis du monde. Il faut qu'on soit proactif. Avec la montée de la défiance vis-à-vis du progrès technique ou de l'apport technologique, à l'opposé des idées des Lumières, chacun de nous doit prendre également sa part et aller dans les écoles, les collèges et les lycées pour rendre contagieuse cette passion des maths, des sciences et de la technologie, particulièrement auprès des filles dès le collège. En France, il y a un débat sur le niveau des mathématiques. C'est un enjeu de société tout comme un enjeu économique ».

4/ L'ESG, nouvel axe stratégique

Patrice Caine n'a pas hésité une seule seconde à mettre les questions liées à l'ESG au même niveau que les priorités stratégiques comme la croissance, l'exécution des contrats ou encore l'entreprise apprenante. Pour le patron de Thales, il est clair qu'il « faut que nous arrivions à opérer entre un plancher, l'acceptabilité sociale, et ce plafond, les limites planétaires en matière de ressources naturelles. Nous voulons faire des progrès en matière d'environnement pour protéger notre planète ; chacun doit accepter de faire des efforts et de travailler différemment ». Mais pour Patrice Caine, cela va bien au-delà des questions environnementales :

« Avec la montée en puissance des questions liées à l'ESG, comment pouvons-nous encore mieux structurer notre contribution sociétale à la fois sur ce que nous faisons et la façon dont nous le faisons savoir ? Il y a dix ans, cette préoccupation n'existait pratiquement pas. Aujourd'hui, je mets cette priorité au même niveau que les autres (croissance, exécution des contrats, entreprise apprenante). Je suis intimement convaincu que cet engagement en matière d'ESG va devenir un réel facteur différenciant pour Thales. Il donne du sens au travail de toutes nos équipes et des talents que nous recrutons en leur disant : "dans nos laboratoires, vous pouvez entrevoir le futur et contribuer à bâtir un monde plus sûr et plus responsable". Si on ne prend pas à bras le corps ce sujet du sens de nos métiers, on perdra l'acceptabilité sociale des nouvelles technologies. Mettre dans un plan stratégique ces enjeux sociétaux, oui c'est nouveau ! ».

Michel Cabirol

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Commentaires 2
à écrit le 18/12/2023 à 20:06
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Le nouveau plan c'est faire travailler plus les employés réduire leurs vacances et delocaliser à l'étranger pour l'avoir vécu et le vivre encore au sein de ce groupe c'est monnaie courante.

à écrit le 18/12/2023 à 11:48
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Axe 1 : Encore plus de denier public Axe 2 : Encore plus de McKinsey Axe 3 : Encore plus de denier public Axe 4 : Encore plus de McKinsey

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