Conseil européen : le quitte ou double d'une défense "Made in Europe"

A Bruxelles, les pays européens vont dessiner les contours d'une véritable défense européenne lors de la réunion extraordinaire du Conseil européen du lundi 30 et mardi 31 mai à Bruxelles. Une défense "Made in Europe" ?
Michel Cabirol
Ce que vise la Commission dans ses propositions, c'est de trouver les incitatifs suffisants, notamment par des achats conjoints pour que la reconstitution de stocks se fasse vers des matériels produits en Europe, explique-t-on à l'Élysée.
"Ce que vise la Commission dans ses propositions, c'est de trouver les incitatifs suffisants, notamment par des achats conjoints pour que la reconstitution de stocks se fasse vers des matériels produits en Europe", explique-t-on à l'Élysée. (Crédits : skeeze / Pixabay / Creative Commons CC0.)

L'Europe va-t-elle transformer l'occasion en marquant un point victorieux au prochain Conseil européen ? De quoi parle-t-on ? Non pas de la finale de la Ligue des champions, qui s'est jouée samedi soir au Stade de France entre Liverpool et le Real Madrid, mais d'un des enjeux majeurs de la réunion extraordinaire du Conseil européen (lundi 30 et mardi 31 mai) à Bruxelles, la défense européenne. Les pays européens ont là l'occasion rêvée de renforcer la Base industrielle et technologique de défense (BITD) européenne, qui n'est aujourd'hui concentrée que dans quelques grands pays (Allemagne, Espagne, France, Italie...).

En dépit d'une légitimité contestée sur les questions de défense, la commission européenne entend aider les États membres "à investir ensemble, mieux et de manière européenne". Si Paris pousse cette stratégie, la partie est loin d'être gagnée, car de très nombreux pays européens achètent de préférence des systèmes d'armes, y compris plus chers, aux Etats-Unis pour bénéficier du fameux parapluie américain.

"Ce que vise la Commission dans ses propositions, c'est de trouver les incitatifs suffisants, notamment par des achats conjoints pour que la reconstitution de stocks se fasse vers des matériels produits en Europe, explique-t-on à l'Élysée. Autrement, je crois qu'on aura à la fois raté une occasion mais peut-être pris un risque de défaire certaines des avancées que nous avons opérées ces dernières années dans le renforcement de notre industrie de défense".

Défense : un déficit d'investissements de l'UE

Avec l'appui de l'Agence européenne de défense (AED), la Commission a présenté le 18 mai, une analyse sur les déficits d'investissements en matière de capacité de défense et sur les réponses à y apporter. Ainsi, entre 1999 et 2021, les dépenses combinées de l'Union européenne dans le domaine de la défense ont augmenté seulement de 20%, contre 66% pour les États-Unis, 292% pour la Russie et 592% pour la Chine. Cette analyse consternante traduit un manque de vision politique et stratégique des pays européens absolument incroyable.

"Notre base industrielle de défense n'est aujourd'hui plus adaptée, ni dimensionnée - en volume et cadence - au type de menaces de haute intensité auxquelles nous faisons face", avait pudiquement expliqué le 18 mai Thierry Breton.

"Le constat fait est assez saisissant quand on regarde les écarts de dépenses entre l'Union, les États-Unis, la Russie ou la Chine", confirme-t-on à l'Élysée. Pour autant, explique-t-on à la présidence de la République, "il ne s'agit pas de se lancer dans une course aux armements, mais en revanche ce que cela révèle, c'est un déficit d'investissement ces dernières années de la plupart des Européens dans leur capacité de défense". Ainsi, dans un premier temps, les pays, qui ont cédé des armements à l'Ukraine pour rééquilibrer le rapport de force avec la Russie, ont besoin de reconstituer leurs stocks. Des pays de l'est doivent également faire un effort pour remplacer leurs vieux équipements, qui datent pour certains de l'ère soviétique, "par des capacités européennes", estime-t-on à l'Élysée.

A l'Élysée, on confirme à la suite du constat de l'AED que l'Europe doit se renforcer dans le domaine des systèmes de défense antiaérienne et antimissile. Ainsi, la France ne dispose que de huit systèmes SAMP/T, baptisé Mamba doté de huit missiles. Ce qui est peu, trop peu. Face au SAMP/T, un programme en coopération entre la France et l'Italie, les Américains proposent quant à eux le Patriot, qui a déjà été acheté par sept pays européens (Allemagne, Espagne, Grèce, Pays-Bas, Pologne, Roumanie et Suède) alors qu'il est commercialement plus cher. Entre l'Europe et les Etats-Unis, la Suède avait par exemple choisi en 2017 le système Patriot malgré une offre européenne de très bonne qualité avec le système SAMP/T armé des missiles Aster et surtout moins chère de 30% à 40%.

Des incitations financières

Pour convaincre les pays réticents à acheter des armes européennes, la Commission proposera un soutien financier. Elle souhaite mettre en place d'ici à l'été un instrument de soutien doté de 500 millions d'euros sur deux ans abondé par le budget de l'Union permettant des acquisitions conjointes urgentes de capacités de défense identifiées par une "task force", créée par la Commission et l'AED. Cette "task force" travaillera avec les États membres pour faciliter la coordination dans les achats de court terme, comme la reconstitution des stocks de munitions. En outre, les États pourraient bénéficier d'une exonération de la TVA pour les achats de matériel de défense intracommunautaire. Cette initiative européenne permettra peut-être de limiter les achats de matériels hors d'Europe. Car à l'Élysée, on constate déjà "une envolée des achats hors de l'Union, qui conduirait sur le plus long terme à accroître la dépendance à d'autres acteurs, notamment les États-Unis".

"Nous avons là, dans un contexte stratégique particulièrement difficile, avec des lacunes capacitaires qui étaient anciennes, mais aussi des besoins urgents de reconstitution d'un certain nombre de stocks, une réponse de la Commission et, nous l'espérons aussi, une réponse du Conseil européen en endossant ces propositions. C'est vraiment une étape très importante pour l'approfondissement de la politique européenne en matière d'industrie de défense. On va vraiment vers ce que nous souhaitions, c'est-à-dire la mise en commun des achats et l'ambition de développer des capacités conjointes", souligne-t-on à l'Élysée.

Sur le moyen et long terme, la Commission doit faire une proposition "très rapidement", explique-t-on à l'Élysée. La Commission envisage lors de la révision du cadre financier pluriannuel de renforcer les budgets du Fonds européen de la défense (FED) et la mobilité militaire grâce au mécanisme pour l'interconnexion en Europe. A l'Élysée, on estime qu'il existe la "possibilité aussi de trouver d'autres incitatifs financiers en complément du Fonds européen de défense, ou de recourir à la Banque européenne d'investissement". Le 18 mai, Thierry Breton avait été clair : "Ne nous y trompons pas, ce que nous proposons est potentiellement très structurant pour l'Europe de la défense. Il n'y a pas de temps à perdre pour le mettre en œuvre". La balle est clairement dans le camp du conseil européen.

Michel Cabirol

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Commentaires 10
à écrit le 30/05/2022 à 18:04
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Bonjour, La priorité des USA s'est la Chine et non nos petit problème européenne... D'ailleurs la seul défense valable est une défense qui dépends de nous a 100% , ils vos mieux compter sur ses soldats que sur les soldats d'un éventuel alliés .... ...

à écrit le 30/05/2022 à 9:27
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On essaye de lutter contre le soi-disant "nationalisme" en fabriquant un "super nationalisme" pour forcer l'adhésion des peuples!

à écrit le 30/05/2022 à 6:22
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Quitte. On ne crois plus aux promesses de Macron en ce domaine. Il n’obtient rien. La réalité est que l’Allemagne nous déteste et nous méprise. Il ne se passera jamais rien avec eux. Le courant ne passe pas. Notre défense commence à Strasbourg.

à écrit le 30/05/2022 à 0:39
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@Photo73, pour compléter votre analogie du parapluie : 1) on paie cher pour ce parapluie, ce n'est pas un cadeau 2) on est obligé de demander l'autorisation au vendeur pour pouvoir l'ouvrir

à écrit le 29/05/2022 à 19:14
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Bonjour, Certe nous devons favoriser les arceaux européenne, mais surtout envisager nous défendre seul... l'Union européenne dois envisager une organisation militaire entre les seul nation européenne...

à écrit le 29/05/2022 à 11:14
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Il n'y a que la France pour vouloir cette armée européenne, et encore pas les hauts gradés de notre armée qui n'ont aucun intérêt à mutualiser les postes et rentes de situation. Bref il faut tout changer pour que rien ne change !!!!

le 30/05/2022 à 8:05
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Je pense que les hauts gradés ont une vision moins mesquine de leur fonction, qui reste avant tout de défendre la France.

à écrit le 29/05/2022 à 10:48
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On cherche tout prétextes, même fabriqué de toute pièce, pour imposer une coalition d'Etats! Mais sans les peuples qui devront s'y plier!

à écrit le 29/05/2022 à 9:03
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L'Europe est un canard sans tête. Elle ne fait que s'aligner sur la position américaine, elle n'a aucune conscience propre, aucune personnalité propre. Elle renie sa culture pour suivre l'état profond de Davos : Les grandes villes européennes ont de ...

le 29/05/2022 à 10:48
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Quand on vous propose un parapluie, vous allez en fabriquer vous-même pour vous mettre à l'abri ? Folie (douce). :-) "ont de plus en plus une majorité maghrébine" majorité, dans quel sens ? % d'habitants ? % élections ? Vous avez des chiffres ou c'e...

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