[Retrouvez en fin d'article la réponse de LFI et les nouvelles précisions de La Tribune]
Lors d'une rencontre avec l'Association des journalistes de défense (AJD), Jean-Luc Mélenchon, candidat de La France insoumise (LFI) à l'élection présidentielle, a affirmé que les sous-marins étaient détectables grâce aux câbles sous-marins notamment. C'est "une question extraordinairement sérieuse", a-t-il noté. Interrogé par La Tribune pour savoir s'il était sûr de cette information, il a répondu que c'était "un point de vue informé" et que de toute façon "la question mérite d'être posée". Il a d'ailleurs regretté que cette question déjà posée n'ait pas trouvé d'écho au sein du ministère des Armées, ni au sein de la représentation nationale.
Cette bombe lancée par Jean-Luc Mélenchon est censée appuyer la proposition de LFI de renoncer à terme à l'arme nucléaire, qui est actuellement portée par les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins (SNLE) et les avions Rafale. Il ne croit pas non plus en l'efficacité des avions de combat face aux défenses adverses. Si Jean-Luc Mélenchon a annoncé renoncer à terme à l'arme nucléaire, il souhaite toutefois garder une dissuasion française, qui serait positionnée dans l'espace. Avec l'idée de développer des stratégies de dissuasion depuis l'espace capables de désorganiser un pays et le cœur de ses infrastructures sans qu'elles soient létales comme l'arme nucléaire. "Il faut repenser la guerre du XXIe siècle", a souligné le candidat à l'élection présidentielle.
Détectabilité des sous-marins ?
Comment les sous-marins seraient-ils détectables ? "Selon certains, l'immense réseau des câbles sous-marins qui traversent le monde pourrait constituer un excellent support à des moyens clandestins de détection des objets sous-marins", est-il écrit dans un document de travail de LFI sur le programme de défense nommé "Une France indépendante au service de la paix". "Nous devons lancer des évaluations", a expliqué Jean-Luc Mélenchon, qui, s'il était élu, ferait un audit de la défense français à travers un Livre blanc. "L'utilisation massive de drones pourrait aussi atteindre cet objectif", a également constaté ce document. Et le patron de LFI a d'ailleurs fait observer que la Chine avait dans son arsenal beaucoup de drones marins et sous-marins.
Si ce constat devait finalement tomber à l'eau, Jean-Luc Mélenchon a assuré que la fin de l'indétectabilité des sous-marins n'est qu'une question de temps. "Ce sera le cas à en 2030/2040", a-t-il estimé. Donc pas question de poursuivre le programme de SNLE 3G pour lesquels les investissements sont considérables. Car selon LFI, "nos sous-marins pourraient dans quelques années être repérable du fait de la production par leur système de propulsion nucléaire de certaines particules, les antineutrinos, que la science permet désormais d'identifier". Et de rappeler qu'"en 2015, une carte du monde de l'activité nucléaire déduite à partir de la présence d'antineutrinos a été largement diffusée".
"Même si les technologies peuvent évoluer, l'extrême faible interaction neutrino/matière fait qu'un détecteur opérationnel n'est pas envisageable à échelle humaine d'ici à 100 ans, sauf découverte scientifique et technologique inédite (et imprévisible)", estime un expert interrogé par La Tribune.
Pour LFI, c'est donc la fin de l'ère de l'arme nucléaire. Car devenue inefficace. D'autant que les boucliers anti-missiles rendent "l'idée d'une riposte nucléaire illusoire" et que les armes hypervéloces pourraient "être si rapides qu'il serait impossible de savoir de quel pays elles proviennent ni de décider de la riposte nucléaire".
Découragement stratégique
Jean-Luc Mélenchon a-t-il trop écouté certains pays, qui publient de nombreux documents sur la vulnérabilité supposée des porte-avions (aux missiles hypervéloces) ou des SNLE (qui seraient détectables), alors qu'en même temps, ces mêmes pays lancent des programmes de porte-avions et de SNLE. C'est notamment le cas de la Chine, qui pratique beaucoup la stratégie dits du découragement stratégique. Elle aura prochainement trois porte-avions, dont le dernier de la classe du "Ford" américain, et possède également une large flotte de SNLE.
S'il est techniquement possible de mettre des sonars sur des câbles sous-marins, les SNLE et SNA français sont a priori conçus et entretenus, pour ne pas être détectés par d'autres sous-marins, qui remorquent de longues antennes spécifiquement développées pour la lutte anti-sous-marine. En outre, les câbles au fonds des océans posés à plusieurs kilomètres de la surface, sont confrontés à une atténuation encore plus grande du son qui viendrait d'un sous-marin, sans oublier le bruit de la mer, du trafic maritime, de la vie sous-marine... Sans compter que les océans sont vastes et les centaines de câbles déjà installés ne peuvent pas les quadriller.
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Droit de réponse de Bastien Lachaud, député de la Seine-Saint-Denis et membre de la commission de la défense nationale et des forces armées :
"Interroger la dissuasion nucléaire ne signifie pas y renoncer !
La tentative de Jean-Luc Mélenchon de mettre le sujet de la dissuasion nucléaire en débat suscite des malentendus. Quand a-t-on pour la dernière fois réellement discuté de ce sujet publiquement ? Il est pourtant au cœur des prérogatives du président de la République et mérite donc d'être abordé pendant la campagne. Dans la mesure où les investissements que nous y consacrons déjà et que nous pourrions y consacrer encore nous engageraient pour des décennies, il est indispensable de penser au-delà du statu quo.
En l'occurrence, Jean-Luc Mélenchon interpelle sur l'avenir de la dissuasion nucléaire. En l'état actuel des choses, nous ne souhaitons pas nous défaire unilatéralement de l'arme atomique. Cependant, Jean-Luc Mélenchon a raison de pointer un risque : nos sous-marins pourraient finir par être détectables à plus ou moins longue échéance. Il suggère un type de raisonnement qui permettrait de répondre à cette situation.
Il observe que les ruptures technologiques de ces dernières années sont nombreuses et rapides. Elles devraient se poursuivre. Permettront-elles encore en 2040 de se reposer sur la dissuasion nucléaire ? Ne faut-il pas penser un plan B ? Si oui, c'est maintenant !
Poser ces questions n'implique pas que la stratégie qui prévaut aujourd'hui est nulle et non avenue. Elle n'est juste pas intangible.
L'arme atomique est la plus puissante que nous connaissons. Elle est aussi chargée d'une puissance symbolique immense. Évoquer la possibilité qu'elle ne convienne plus un jour pour assurer la défense de la patrie suscite une forme de répulsion spontanée et fait croire à une forme de renoncement.
Force est de constater que c'est tout l'inverse dont il s'agit. Les Français doivent préparer l'avenir. Ils ont en la personne de Jean-Luc Mélenchon un dirigeant qui considère toutes les options et le leur dit avec franchise. Il conditionne tout changement de stratégie à un Livre blanc et à un débat parlementaire informé. Une telle approche tranche avec l'opacité qui prévaut depuis des années. Elle ébranle un certain conformisme. En tout cas, elle est la plus respectueuse des citoyens et elle a le mérite de ne pas les laisser s'endormir derrière ce qui pourrait finir par être une « ligne Maginot nucléaire".
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La Tribune précise :
Lors de cette rencontre avec l'Association des journalistes de défense (AJD), Jean-Luc Mélenchon a tenu plusieurs propos sur la "détectabilité" des sous-marins et sur la dissuasion nucléaire. Voici une série de verbatims du président de La France insoumise à partir d'un enregistrement réalisé lors de cette rencontre :
"La première des questions que nous nous posons c'est celle de l'efficacité de la dissuasion avec l'outil nucléaire. Cet outil est réparti entre des avions capables de transporter ces bombes et quatre sous-marins capables de les tirer depuis la profondeur de l'océan. Pour ce qui concerne les avions, on ne va pas trop s'étendre : j'essaie de peser mes mots parce que je ne voudrai pas donner à penser des choses qui ne sont pas, mais disons que cela paraît être un moyen moins certain, définitif que les sous-marins aujourd'hui. Les sous-marins ? Tout repose sur le fait qu'on ne soit pas capable de les détecter. C'est sur ce point qu'existent les plus grandes interrogations. (...) On s'est aperçu que la pose de très nombreux câbles dans les océans faisait en quelque sorte comme un système de lidar et quand passe un gros objet, les cordes se mettent à résonner et produire de la musique. Ce qui fait que les sous-marins même en eau très profonde pourraient finir par être décelables par ce moyen. Il est tout à fait possible qu'il le soit par des drones sous-marins, dont l'apparition est assez récente dans les technologies militaires, et enfin, et surtout et par-dessus tout, depuis l'espace. Depuis 2018 au moins un pays ne se cache pas d'essayer de le faire, la Chine, qui elle-même a une flotte sous-marine de drones extrêmement importante, qui lui permet de jouer un rôle que personne n'arrive à mesurer au juste aujourd'hui et dont on est absolument tous certains qu'elle a une réalité".
"Nous sommes pour que la France soit indépendante dans l'espace. Mais clairement cela met en cause la stratégie de la dissuasion nucléaire. Qu'on se comprenne bien, notre position est favorable au concept et la mise en œuvre d'une stratégie de dissuasion, dont le principe est : "il vous en coûtera plus cher de nous attaquer que de ne pas le faire". Et depuis l'espace, il nous semble qu'il est possible d'infliger à un adversaire à terre des dégâts d'une intensité, qui peut produire des résultats comparables à ce qu'on obtiendrait avec un ou des tirs nucléaires".
"La question que nous posons, comme objet de débat, c'est de savoir si notre intérêt n'est pas de transférer dans l'espace les moyens de la dissuasion. Je dis bien les moyens de la dissuasion. Ce qui ne veut pas dire les moyens de la dissuasion nucléaire. Personne ne parle de cela aujourd'hui mais de transférer dans l'espace le mécanisme général des moyens de la dissuasion. Si bien qu'une mauvaise chose en deviendrait une bonne, c'est qu'à partir de là le démantèlement des stocks d'engins nucléaires à terre est possible puisque de facto il ne sert plus à rien".
"Ce que nous remettons en cause c'est l'arme elle-même. Est-ce qu'elle est encore efficace ou pas ou est-ce qu'il n'est pas encore temps d'en changer ? Il est certain si le diagnostic posé que les sous-marins sont visibles, autant dire nous nous battons avec des arbalètes sur un terrain de tirs. C'est une question qui est extraordinairement sérieuse. Cela interpelle de voir qu'on ne peut pas en parler et que les choses se font sans qu'on en discute une seule seconde comme ce fameux état-major de l'espace".
Par ailleurs, La Tribune avait publié le 3 décembre dernier une interview de Jean-Luc Mélenchon où il évoquait également la dissuasion nucléaire :
Vous êtes pour une dissuasion spatiale et un désarmement nucléaire
"Il faut faire les deux. Si vous n'êtes pas une menace, en état de résister, vous n'êtes pas crédible. La situation comporte une possibilité technique nouvelle. Depuis l'espace on peut aussi tirer sur la terre. Il suffirait d'un tir sur la centrale de Nogent et il n'y aurait plus de France. Nous serions totalement désorganisés par le déménagement de 12 millions de personnes. Nous pouvons faire la même chose aux autres. Qui affronterions-nous ? Pas nos voisins. Rien ne dessine un conflit avec eux. Ceux en état de nous frapper, on les connaît : ceux qui ont la capacité de le faire depuis l'espace. On sait comment répliquer. Plus besoin de dissuasion nucléaire si on est capable de la pratiquer depuis l'espace".
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