L'Europe désorbite les ambitions spatiales d'Emmanuel Macron

Vol habité, constellation et gestion du trafic spatial : trois dossiers clés qui seront au menu à Toulouse de la réunion informelle de la trentaine de ministres chargés de l'espace, qui font partie de l'Agence spatiale européenne (ESA).
Michel Cabirol
Toulouse ne devrait pas être le lieu de lancement du projet de vol habité trop emblématique, trop cher, trop français... trop tout pour des Européens frileux, qui se complaisent à s'asseoir sur des strapontins dans des navettes américaines ou russes.
Toulouse ne devrait pas être le lieu de lancement du projet de vol habité trop emblématique, trop cher, trop français... trop tout pour des Européens frileux, qui se complaisent à s'asseoir sur des strapontins dans des navettes américaines ou russes. (Crédits : National Aeronautics and Space Administration (Nasa))

Toulouse, capitale européenne de l'espace le temps d'un sommet. Pour impulser un nouveau souffle à la politique spatiale européenne en panne de vision stratégique et de conquête, Emmanuel Macron s'est invité à la réunion informelle des ministres chargés de l'Espace au sein de l'Agence spatiale européen (ESA) organisée dans le cadre de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE). Pour autant le président semble s'être résigné à une moindre ambition des Européens, notamment en matière de vol habité, qui aurait pu incarner ce rêve puissant de conquête spatiale pour l'Europe. L'Europe spatiale, un géant aux ambitions de puissance très limitées.

Mais faute de souffle, Emmanuel Macron accompagnera le lancement de la constellation européenne sécurisée, chère à Thierry Breton (6 milliards d'euros), et la nécessaire mise en place d'un système de gestion du trafic spatial (Space traffic management), qui pose toutefois un certain nombre de problèmes.

Vol habité, le mirage européen ?

A Toulouse, Emmanuel Macron aurait pu incarner le Kennedy européen de la conquête spatiale "Made in Europe". Mais le vol habité est un sujet, comme le rappelle l'Élysée, qui "se traite au niveau européen". Et "il n'y a pas de consensus clair, il n'y a pas encore de direction stratégique claire", précise la présidence. Pourtant les patrons de l'ESA, du CNES et d'ArianeGroup en avaient également rêvé. Ils avaient tous stimulé notre imaginaire sur la nécessité d'avoir une ambition dans le vol habité en passant des messages lors de leur conférence de presse de début d'année. Mais las, Toulouse ne devrait pas être le lieu de lancement de ce projet trop emblématique, trop cher, trop français... trop tout pour des Européens, qui se complaisent à s'asseoir sur des strapontins dans des navettes américaines ou russes. Tout au plus, les ministres en charge de l'espace pourraient valider du bout des lèvres la mise en place du "Task Force" chargée de réfléchir à cet OVNI européen. Ce qui manque singulièrement de souffle céleste.

"Les Européens, c'est vrai depuis des années, sont favorables au fait de faire de l'exploration. Ils ne sont pas dans un modèle totalement comparable à celui de la Chine ou des Etats-Unis, qui consiste à faire de l'exploration de manière assez autonome avec des grands objectifs politiques sur la Lune, sur Mars", souligne la présidence.

L'Europe va-t-elle encore une fois passer à côté de l'ambition légitime qu'elle devrait revêtir en mettant les attributs d'une Europe puissance ? Cela semble inéluctable. Le vol habité "fait partie des choses sur lesquelles il faut se poser des questions. La position des différents États membres est très variée, c'est aussi tout l'objet du débat qu'il y aura dans l'après-midi : il s'agit d'avoir une expression sur le sujet", explique-t-on à l'Élysée. Ce qui n'augure rien d'enthousiasmant. "Le président de la République donnera ses orientations" sur le sujet du vol habité. Le rêve du président va donc se fracasser contre le pragmatisme d'Européens frileux. Bref, en Europe, rien de nouveau.

Lancement d'une constellation européenne

Après Copernicus (observation de la Terre) et Galileo (navigation), l'Europe va se doter d'une constellation télécoms sécurisée. Thierry Breton l'avait rêvée, il l'a lancée. La commission a lancé mardi ce système stratégique qui garantira "un accès ininterrompu sur le long terme, dans le monde entier, à des services de télécommunications par satellite sécurisés d'un bon rapport-coût efficacité". Un programme de constellation à six milliards d'euros. La contribution de l'UE va s'élever entre 2022 et 2027 à 2,4 milliards d'euros. Le financement proviendra de différentes sources du secteur public (budget de l'Union, États membres, contributions de l'ESA) et d'investissements du secteur privé. Emmanuel Macron évoquera le sujet sur la façon dont la France se positionne par rapport à cette initiative très forte. Le développement de cette infrastructure apporterait une valeur ajoutée brute comprise entre 17 et 24 milliards d'euros.

Toute la question est de savoir si cette constellation ne va pas arriver trop en retard après OneWeb, Starlink (SpaceX) et Telesat ? Pour l'Élysée, "tout l'objet de ces projets de constellations, c'est d'arriver à voir comment on fait la même chose, et comment on se positionne non pas en suiveur pour refaire la même chose que ce qu'ont pu faire d'autres pays, mais comment on arrive à sauter une génération, à faire plus vite, peut-être également pour moins cher". L'Europe est déjà arrivée en retard sur certains projets comme Galileo, qui est arrivé près de 20 ans après le GPS et qui aujourd'hui est sur deux milliards de téléphones, souligne-t-on à l'Élysée. Contrairement à Galileo qui a été financé par l'Europe, la commission souhaite faire monter à bord de cette nouvelle constellation des investisseurs privés. La question de la rentabilité commerciale se posera pour ces derniers. Et Galileo n'est pas le meilleur exemple, l'offre de service étant gratuite.

Gestion du trafic spatial : l'Europe face au reste du monde

Pour la commission, "il est indispensable de sauvegarder la pérennité à long terme des activités spatiales en veillant à ce que l'espace demeure un environnement sûr, sécurisé et viable". Car l'encombrement croissant de l'espace menace la viabilité et la sûreté des infrastructures et des opérations spatiales. Ainsi plus de 1 million de débris d'une taille comprise entre 1 et 10 cm sont en orbite autour de la Terre et leur nombre continue d'augmenter. D'où la volonté de la commission européenne poussée par Thierry Breton de mettre en œuvre un système de gestion du trafic spatial dans le cadre d'une coopération internationale.

Pour autant, l'Europe va donc se doter de règles en espérant être suivie par le reste du monde. Cette initiative pourrait devenir un vrai risque pour la compétitivité de l'industrie spatiale européenne, notamment pour les constructeurs de satellites. "Se doter de règles de gestion des débris spatiaux, c'est plutôt une avancée, a estimé l'Élysée. Et être le pays ou l'ensemble de pays qui fixe les règles permet au contraire plutôt probablement de prendre une avance sur la façon dont les choses vont se dérouler". Un pari audacieux.

Michel Cabirol

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Commentaires 3
à écrit le 16/02/2022 à 22:00
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Concernant le vol habité, Il me semble bien que ce sont les allemands qui ont enterré la navette Hermès en arrêtant son financement en plein développement. Pourquoi aussi avoir confié aux italiens (TAS italie) le développement de l'avion spatial IXV...

à écrit le 16/02/2022 à 15:16
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Il y a longtemps qu’Emmanuel Macron n’avait pas trouvé un moyen de faire campagne sans s’être déclaré candidat et apparemment même les réunions informelles comme celle-ci lui conviennent à partir du moment où il peut faire son petit discours et expos...

à écrit le 16/02/2022 à 10:00
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"il n'y a pas encore de direction stratégique claire"" Ma foi voilà une phrase qui résume parfaitement l'UE ces 35 dernières années et ses échecs cumulés. Vite un frexit, je ne comprendrais jamais comment on peut se sentir bien momifié, immobile à sa...

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