Spatial : mais où est l'audace de la France 60 ans après la création du CNES ?

A l'occasion de ses vœux à la presse, le président du CNES Philippe Baptiste semble favorable à ce que l'Europe se lance dans les vols habités. Soit 30 ans après l'arrêt du programme Hermès.
Michel Cabirol
La France et l'Europe auront-elles l'audace d'avoir un accès autonome à la Lune ?
La France et l'Europe auront-elles l'audace d'avoir un accès autonome à la Lune ? (Crédits : ESA)

"De l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace !" Mais pourquoi la France en manque autant aujourd'hui dans sa politique spatiale. Alors que le CNES, porté sur les fonts baptismaux par le général de Gaulle, a fêté ses 60 ans en 2021, il est temps que la France retrouve une nouvelle grande ambition dans sa politique spatiale. Ce n'est qu'une question de volonté politique d'investir dans un milieu, qui est devenu au fil des 60 dernières années un enjeu stratégique crucial et géopolitique pour la France au niveau mondial tant au niveau militaire que civil. La France vit sur la rente de cet héritage audacieux et extraordinaire fruit des ambitions des années 60/70 symbolisé par le lanceur Diamant, le premier satellite (Asterix) et enfin, la construction du centre spatial guyanais puis d'Ariane 1 développé, conçu et lancé par le CNES en 1979. Un héritage que la France fait fructifier encore aujourd'hui.

"Nous avons commencé et nous continuerons", avait pourtant assuré le général de Gaulle à propos du CSG. Mais la stratégie de l'audace a été définitivement consommée en 1992 avec la fin du programme de la navette européenne Hermès, à l'exception peut-être de la mission Rosetta. L'élan stratégique de cette période faste a laissé la place au "business as usual" et aux petits comptables titulaires des budgets de l'espace alors que les Etats-Unis, la Chine, la Russie et bien d'autres ont toujours gardé cette vision de pionnier tout en conservant une politique de puissance spatiale. C'est comme cela que la France et l'Europe sont passées complètement à côté de la technologie du réutilisable par manque d'audace et d'ambition. Pourtant, une étude de la Commission européenne de 2019 révèle que plus de 10% de son PIB estimé à 14.500 milliards d'euros, dépend de l'espace. Diverses études récentes estiment que l'économie de l'espace pourrait représenter entre 1.000 et 3.000 milliards de dollars en 2040.

Spatial : la France en voie de déclassement ?

Certes, la France reste une nation qui compte dans le spatial, en "bricolant" des systèmes ou sous-systèmes spatiaux incroyables (lanceurs, observation, navigation, météo...) avec des budgets contraints. Elle a également su soutenir ses industriels, qui sont souvent des leaders mondiaux (Airbus, ArianeGroup, Thales) soutenus par un tissu équipementier de haut niveau (Hemeria, Safran, Saft, Sodern...). Mais ils doivent de plus en plus partager le développement des technologies spatiales en raison de la contrainte budgétaire liée à un manque de volonté politique, de la multiplication de partenariats internationaux (70 environ), qui intègrent il est vrai régulièrement des instruments français à bord de missions spatiales américaines, chinoises, indiennes, japonaises, et, enfin, du retour géographique imposé par l'Agence spatiale européenne (ESA). La mission Alpha de Thomas Pesquet à bord de la station spatiale internationale n'est pas autre chose. Cela reste également une mission individuelle...

"Nous sommes systématiquement en partenariat parce que nous voulons mutualiser les compétences et une partie des risques. Je ne ne mets pas comme priorité un satellite scientifique ou un satellite d'observation de la Terre qui soit développé à 100% français", s'est défendu le PDG du CNES, Philippe Baptiste, lors de la présentation de ses vœux à la presse. En revanche, ce qui peut se concevoir c'est que la France soit majoritaire dans un projet, a-t-il expliqué.

Résultat, la France est diluée au sein de l'ESA, bousculée par les nouveaux entrants, malmenée par l'ambition allemande, voire italienne (lanceur) et complètement larguée par les deux superpuissances spatiales (Etats-Unis et Chine). Ainsi, le budget spatial des Etats-Unis est pratiquement sept fois plus importants que celui de l'Europe. "C'est le moment de revisiter ces grandes options et ces grands choix politiques comme par exemple les questions qui tournent autour de l'exploration, a estimé Philippe Baptiste. Il faut savoir ce que l'Europe doit faire et si à un moment ou à un autre on doit réfléchir à des capacités plus fortes autour du vol habité et de l'exploration". L'autonomie d'un accès à la Lune et à Mars apparait effectivement comme un sujet stratégique à moyen et long terme pour l'Europe. Ou alors la France redevient enfin une des nations pionnières de l'espace et un des moteurs de l'Europe spatiale, ou alors elle continue de s'asseoir sur tous les strapontins possibles dans les coopérations internationales dont elle n'a pas le leadership.

Une ambition française au sein de l'Europe

On sent bien que Philippe Baptiste a envie de mettre les gaz pour lancer une politique spatiale française ambitieuse, notamment en matière de vol habité, mais il ne tient pas forcément le manche. "C'est une question éminemment politique, a-t-il justement rappelé. J'espère que cette question sera abordée lors du Space Summit de mi-février avec tous les États autour de la table. Cela répond à un sujet clé. Quelle est l'ambition de l'Europe pour le spatial ?" Car cette ambition du vol habité, notamment, est un moyen de développer des technologies, que la France et l'Europe ne peuvent pas développer autrement que par un programme aussi ambitieux et emblématique. puis, un programme de cette envergure serait un moyen de préparer des missions vers et sur la Lune, et plus loin vers Mars. La France doit avoir pour l'Europe cette ambition.

D'autant comme il l'a fait observer Philippe Baptiste, la France et l'Europe n'ont "pas d'impossibilités techniques" à développer un programme spatial aussi ambitieux. "Développer quelque chose d'autonome, nous savons faire. Voudrait-on le faire ? oui. Pas de problème", a-t-il expliqué. Le président du CNES est "absolument convaincu que si nous devions aller vers" un tel projet "nous le ferions "de manière extraordinairement différente par rapport à tout ce qui a été fait jusqu'à maintenant. Cela permettrait de redonner une ambition à l'Europe du spatial".

Cette question est dans les mains des politiques : l'Europe va-t-elle continuer à prendre des tickets pour monter à bord des lanceurs américains et russes ou bien développer une politique spatiale autonome dans les vols habités ? L'Europe a-t-elle une ambition politique que celle qui prévaut aujourd'hui ? Si c'est le cas, cela passe par de nouveaux budgets sans ralentir ce qui est fait aujourd'hui dans les domaines spatiaux d'excellence en Europe. Mais pour Philippe Baptiste, "il sera compliqué demain d'être un acteur majeur du spatial - je parle des industriels - si à un moment donné vous n'êtes pas dans ces projets, qui sont des projets, certes fous mais qui font rêver l'humanité entière autour de la Lune et de Mars".

Aval : une bataille déjà perdue ?

Avec la nomination de Philippe Baptiste, l'Élysée souhaitait amener la filière spatiale française vers de nouveaux horizons, essentiellement vers les activités aval, et plus précisément les fameuses applications développées à partir des plateformes spatiales. Mais un ancien rapport de la cour des comptes évoquait déjà en 2016 le monopole des GAFAM, notamment de Google, sur les données du programme d'observation européen, la constellation emblématique Copernicus. Ce programme spatial européen bénéficie plus aux géants internationaux du numérique qu'aux entreprises et PME européennes. la cour des Comptes soulignait qu'il serait "difficile de contrer les grands acteurs du numérique sur le terrain des mégadonnées". C'est toujours le cas...

Si les conditions d'accès aux données et informations de Copernicus sont analogues à celles de programmes similaires, comme le programme américain Landsat, "leur utilisation par les grands acteurs mondialisés du numérique pose question", avaient estimé les Sages de la rue Cambon. Pourquoi? "La capacité inégalée de ces grands acteurs à les traiter massivement et rapidement peut compromettre le développement d'applications par d'autres entreprises, notamment de petite taille et européennes", avait-ils expliqué.

Le spatial militaire, un effet boosteur ?

Nouveau théâtre de conflictualités et de menaces, l'espace a fait l'objet en France d'une stratégie militaire en 2019. La France doit être capable de mener des opérations spatiales militaires. Elle s'est d'ailleurs significativement renforcée. En quatre ans, trois flottes de huit satellites au total auront été déployées pour renforcer les moyens spatiaux militaires français. En 2022, CSO-3 (observation), Syracuse 4B (télécoms), et enfin CERES, (renseignement électromagnétiques), seront totalement déployées. En outre, le Commandement de l'Espace réitèrera l'exercice AsterX, dont l'objectif est de tester les capacités à protéger les satellites français en cas de menace. Cette année, 646 millions d'euros seront au total alloués pour accompagner la stratégie spatiale du ministère (85 millions pour les études spatiales, 31 millions pour l'achat de services, 530 millions de crédits de paiement du programme 146). 

Au-delà, la France travaille sur le programme ARES (Action et REsilience Spatiales), qui a pour objet de renforcer les capacités nationales dans le domaine de la surveillance, de la protection des satellites militaires et du commandement et du contrôle (centre de commandement et de contrôle des opérations spatiales, C2 spatial). Les moyens de surveillance (détection et caractérisation d'objets en orbite) seront renforcés depuis le sol, tels que radars (successeur GRAVES) ou télescopes, et depuis l'espace. En matière de protection, la France souhaite lancer des programmes de protection intrinsèques aux satellites (caméras...) avec la logique de développer une gamme d'outils génériques que les programmes spatiaux pourront intégrer, et des moyens de protection extrinsèques depuis le sol ou l'espace qui assureront des missions de surveillance et intégreront une capacité de défense active.

Le projet phare du ministère des Armées est Yoda (Yeux en orbite pour un démonstrateur agile), deux nano-satellites, qui vont être lancés à l'horizon 2024 en orbite géostationnaire à 36.000 km d'altitude pour valider le concept de patrouilleur-guetteur. Ils seront proches des satellites français pour les sécuriser et les protéger et seront capables de détecter des satellites butineurs par exemple à 36.000 km. Ces nano-satellites disposeront d'effecteurs pour aveugler les optiques des intrus, par exemple. En attendant peut-être un avion spatial développé par Dassault Aviation...

Michel Cabirol

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Commentaires 13
à écrit le 13/01/2022 à 19:03
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Le seul peuple au monde qui a écrit dans sa constitution le principe de précaution ne peut pas être audacieux. Ce peuple a l'aversion aux risques à tel point qu'il préfère mettre son épargne de 464 Milliards d'Euros sur un livret qui ne rapporte rien...

à écrit le 13/01/2022 à 16:58
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Quand vous empruntez 100 Milliards par an uniquement pour régler les dépenses courantes et ce depuis 40 ans,votre unique ambition est d'hypothéquer égoïstement l'avenir de vos descendants parce que vous voulez vivre quoi qu'il en coûte au-dessus de v...

à écrit le 13/01/2022 à 13:27
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Vous imaginez Nanar Arnault ou autre milliardaire investir dans le spatial. Trop risqué, Heureusement que la France peut s'appuyer maintenant sur l'Euro pour malgré tout disposer de quelques subsides.

à écrit le 13/01/2022 à 11:34
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Il faut pouvoir investir beaucoup d'argent. Entre les dépenses sociales, chèques énergie, chèques inflation (des dizaine de milliards à chaque fois) et l'industrie spatiale, il faut choisir...

à écrit le 13/01/2022 à 10:45
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Sur les comptes en banque des paradis fiscaux de ses mégas riches.

à écrit le 13/01/2022 à 10:23
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Nous n’avons plus les moyens,tout simplement.D’autres priorités sont arrivées. L’urgence à court et moyen terme,c’est l’énergie collective,individuelle,décarbonee……donc investir en masse dans l’hydrogéne ,le nucléaire ,l’alternatif et de ne plus êtr...

à écrit le 13/01/2022 à 9:57
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Depuis que nous dépendant de l'UE de Bruxelles dans nos décision, nous ne sommes pas optimiste sur notre avenir et nous laissons courir "pour voir"!

à écrit le 13/01/2022 à 9:36
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L'espace coûte trop cher par rapport aux besoins utiles et nécessaires sur Terre.

à écrit le 13/01/2022 à 9:21
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60 ans après, l'audace de la France est en panne dans tous les domaines, en France nous n'inventons plus que des musées... Pourquoi?

à écrit le 13/01/2022 à 8:52
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Il y a bien longtemps que l'audace de la France a disparu dans nombre de domaines. Tant que nos dirigeants auront des visions à court terme il en sera ainsi

le 13/01/2022 à 10:58
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Leur vision s'arrête à leurs propres intérêts, pas à celle de la nation donc leur vision est nécessairement très très courte...

le 13/01/2022 à 11:38
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Votez pour des gens qui ont une vision de l'avenir, pas pour des enarques ou autres X. Du temps du General, les personnels venaient de la vie civile.

le 14/01/2022 à 16:05
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Les Français ont les dirigeants qu'ils élisent... Si vous regrettez la société que vos dirigeants vous apportent, arrêtez de voter pour ces mêmes dirigeants. Il n'y a probablement jamais eu autant de candidat qu'en 2022.

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