C'est un projet de rapport du Centre commun de recherche (JRC), le service scientifique et de production des connaissances de la Commission européenne, qui pourrait être à terme "mortel" pour une grande partie de l'industrie de l'armement européenne s'il était adopté en l'état. Un rapport sur l'instauration de nouveaux critères de label écologique de l'UE pour les produits financiers. Tel qu'il est proposé aujourd'hui, ce rapport pourrait laminer l'industrie de l'armement européenne, déjà déstabilisée par les politiques RSE (responsabilité sociétale des entreprises) de plus en plus dures des banques et des organismes financiers. Au-delà, il anéantirait la souveraineté des pays membre de l'UE et de l'Europe elle-même, qui pourtant l'appelle aujourd'hui de ses vœux.
Avec ce nouveau texte, les établissements financiers européens auraient à leur disposition de nouveaux arguments imparables pour exclure les entreprises de défense de leurs offres de financement afin de respecter ces fameux critères de label écologique de l'UE. D'autant que, d'une façon générale, les critères ESG (Environnement, Social, Gouvernance) s'imposent aujourd'hui notamment en Europe, comme des critères structurants d'évaluation des entreprises. C'est d'ailleurs l'objectif de ce nouveau label écologique dédié aux produits financiers, qui pèsera sur les banques européennes et dans lequel s'engouffreront les ONG, championnes de la bien-pensance. Ainsi, ce label "encouragera" les investissements dans les activités économiques durables.
Vers une exclusion du secteur défense
Ce rapport technique préconise d'exclure "les entreprises impliquées dans la production et/ou le commerce d'armes conventionnelles et de produits militaires pour le combat si elles tirent plus de 5% de leurs revenus de ces activités". Ce qui condamne l'ensemble du secteur défense à ne plus être financé par des banques européennes (180 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an et 460.000 emplois hautement qualifiés). Ce texte d'une hypocrisie incroyable est certes non contraignant mais pourrait confirmer une tendance, qui pèse de plus en plus fort sur l'industrie de la défense. En France, le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres (GICAT) a déjà alerté à l'automne le ministère des Armées et les parlementaires de la multiplication des refus des banques de financer des entreprises de défense, notamment des PME.
"Concernant les armes classiques, les pays ne sont pas exclus, compte tenu de la nécessité de mettre en place des politiques de défense et de soutien à la protection civile. Cependant, les entreprises impliquées dans la production et/ou le commerce d'armes conventionnelles et de produits militaires pour le combat seront exclues si elles tirent plus de 5% de leurs revenus de ces activités. La rigueur du seuil est définie conformément aux autres labels", explique le projet de rapport du JRC
Dans une précédente version, la rédaction du texte était beaucoup moins sévère pour la filière défense. Les entreprises, qui étaient concernées par cette exclusion, provenaient toutes "de la production ou du commerce d'armes controversées couvertes par les traités internationaux" : armes chimiques, armes biologiques, mines antipersonnels, armes à sous-munitions et armes nucléaires.
Profonde inquiétude
Alertées par le rapport de la Commission européenne, les entreprises de défense, qui ont désormais bien conscience de cette menace majeure, appellent les États à les soutenir en vue d'éviter leur exclusion de la taxonomie sur la finance durable de l'UE. Six fédérations d'industriels européens de la défense - BSDI (Belgique), AFDA (Finlande), CIDEF (France), BDSV (Allemagne), NIDV (Pays-Bas) et FSi (Norvège) - ont cosigné une lettre sur la thématique des critères RSE et du financement qu'ils ont remis auprès de leurs autorités nationale.
"Il s'agit d'une initiative conjointe de plusieurs associations nationales de l'industrie de la défense à travers l'Europe, animées par leur profonde inquiétude quant au fait que des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG) croissantes pourraient, par une application trompeuse largement pratiquée, exclure davantage nos industries des services financiers ou d'assurance", soulignent-elles
En France, cette lettre, dont La Tribune s'est procuré une copie, a été adressée par le CIDEF à la ministre des Armées Florence Parly au début du mois d'avril. "Nous exhortons les institutions européennes et les gouvernements nationaux à reconnaître qu'une telle interprétation de la finance durable aurait des effets négatifs sur l'industrie européenne de la défense, l'une des industries les plus réglementées", expliquent-elles.
"Cette industrie stratégique et notamment son accès aux marchés financiers et des assurances est fragilisée et même menacée depuis plusieurs années. Sous la pression des associations, des ONG et de quelques courants politiques, les institutions financières mettent en œuvre des lignes directrices internes limitant la coopération avec les entreprises de défense", écrivent les six fédérations d'industriels de la défense.
"Pas de durabilité sans sécurité"
"Il n'y a pas de durabilité sans sécurité", affirment-elles. Car, selon les six fédérations, les entreprises, qui fabriquent "des produits vitaux pour la sécurité commune des États membres de l'Europe et de l'Union dans son ensemble sont un élément indispensable d'une société durable, garantissant la paix et des institutions fortes". Et de rappeler que l'un des rôles essentiels de la défense est "de protéger la démocratie et les libertés dans un environnement mondial très instable (même en marge de l'Europe)".
Le secteur de la défense contribue en outre à la mise en œuvre des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, en particulier l'ODD 16 «Paix, justice et institutions fortes». Une interprétation défavorable de l'ESG en matière de défense limiterait clairement l'atteinte de ces objectifs. La question est de savoir aujourd'hui que va peser dans cette guerre de lobbying de haute intensité en coulisse l'industrie de la défense et de la sécurité, qui est pourtant un pilier essentiel de la sécurité commune et de l'autonomie stratégique de l'Europe ?
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