Les ambitions judicieuses de Saab en France (2/3)

Le groupe suédois souhaite étendre ses coopérations en France. Cinq axes ont été identifiés par Saab : antichar, surveillance aérienne, défense aérienne, drones de combat et maîtrise des fonds marins. Des axes de coopérations qui identifient à la fois certaines lacunes de l'industrie de défense française (surveillance aérienne et fonds marins) et dont certains complètent des points forts du portefeuille produits du groupe suédois (antichar, défense aérienne et drone de combat). Revue de détail.
Le camouflage, une des coopérations majeures de Saab en France
Le camouflage, une des coopérations majeures de Saab en France (Crédits : Saab)

Discrètement, Saab fait son nid en France. Le groupe de défense suédois, qui a ouvert un bureau à Paris en 2016, a renforcé à bas bruit depuis une petite dizaine d'années sa relation de confiance avec le ministère des Armées, les armées et les industriels de défense français. Cette relation, qui a commencé dans les années 1990 à la suite de contrats obtenus, pourrait prendre un peu plus d'ampleur avec la signature récente du partenariat stratégique renforcé dans le domaine de la défense entre Paris et Stockholm. « Les industries de défense sont au cœur de ce partenariat bilatéral », avait alors estimé Emmanuel Macron lors de sa visite d'État en Suède les 30 et 31 janvier. Pour l'heure, ces partenariats sont encore en gestation avec le risque de ne pas voir le jour.

« Depuis 2022, la France et la Suède se rapprochent dans de nombreux domaines de défense dans un contexte géostratégique dégradé et mouvant », assure le directeur de Saab France, Camille Pertusot.

C'est le cas dans le domaine de l'antichar. Lors de la visite du président français, elle a fait l'objet d'un accord - certes modeste - entre la France et la Suède. Le missilier MBDA et le groupe suédois Saab se sont vu attribuer un contrat par la Direction générale de l'armement (DGA) et par son équivalent suédois, le FMV (Försvarets Materielverk), en vue de développer de nouvelles fonctionnalités du missile Akeron MP, en particulier dans le domaine du tir au-delà de la vue directe. Une évolution demandée par la Suède.

Pour autant, Saab n'est pas vraiment démuni dans ce secteur. Il a même des « best sellers » dans son portefeuille produits dans le domaine des systèmes de combat terrestre au contact : le missile antichar « tire et oublie » NLAW, qui aurait détruit 30% à 40% de chars russes lors des combats selon les Ukrainiens, le canon portatif sans recul Carl-Gustaf (50 clients), le lance-roquettes portatif AT4 à usage unique (20 nations clientes, dont les Etats-Unis)... La France s'en est récemment convaincu en commandant en décembre 2022 plusieurs systèmes AT4.

GlobalEye, drones sous-marins...

Pour autant, Saab est dans les starting-blocks. Le groupe suédois a déjà identifié cinq domaines qui pourraient mettre en musique sa stratégie de renforcement de cette relation : antichar, surveillance aérienne, défense aérienne, drones de combat et maîtrise des fonds marins. Bien sûr, il s'agit avant tout pour Saab d'augmenter son chiffre d'affaires en France, que le groupe n'a pas souhaité révéler lors d'une rencontre fin janvier avec des journalistes français. Dans certains de ces domaines, la France a aujourd'hui de réelles lacunes industrielles, notamment dans la surveillance aérienne, et plus précisément dans les systèmes de détection et de commandement aéroporté, ainsi que la maîtrise des fonds marins. Soit après des choix opérationnels historiques par manque de budgets (fonds marins), soit en raison de séries d'exemplaires trop limitées pour lancer un programme économiquement viable (surveillance aérienne).

Saab possède dans son portefeuille des produits qui pourraient équiper les armées françaises. C'est le cas du GlobalEye, l'avion de mission le plus moderne en matière d'alerte et de contrôle aéroportés (AEW&C), qui défie Boeing en France et à l'OTAN (14 appareils) dans le cadre du programme AFSC (Future capacité de surveillance et de contrôle de l'Alliance). Commandé en 2022 par la Suède (deux exemplaires pour une livraison en 2027), il est déjà en service aux Émirats Arabes Unis, où l'armée de l'air française s'est rendue pour évaluer ce système d'arme qui équipe le jet Bombardier Global Express. La France, qui doit remplacer ses quatre AWACS après 2030, pourrait se laisser tenter dans le cadre du partenariat renforcé avec la Suède, par le système GlobalEye qui pourrait potentiellement équiper un Falcon 10X (Dassault Aviation).

Pour les grands fonds marins, Saab a développé une expertise, qui pourrait intéresser encore plus la Marine nationale. Le groupe suédois travaille déjà avec elle dans le cadre du programme franco-britannique de lutte contre les mines maritimes (MMCM) en partenariat avec Thales. Il a conçu le système de détection et de déminage MuMNS (Multi-Shot Mine Neutralisation System) qui s'insère au sein de la famille des ROV Double Eagle (drones sous-marins téléopérés) développée pour identifier et éliminer les mines. Au-delà, pour faire face aux menaces qui pèsent sur les infrastructures sous-marines telles que les câbles de communication, les oléoducs et les gazoducs, et les câbles électriques, Saab propose le Sabertooth, disponible en ROV et AUV (autonome) capable de plonger jusqu'à 3.000 mètres de profondeur. Trop peu pour la Marine nationale qui souhaite une capacité opérationnelle pouvant plonger jusqu'à 6.000 mètres de profondeur. Saab travaille justement sur le programme eWROV, un drone qui sera entièrement électrique et capable d'aller jusqu'à 5.500 mètres de profondeur.

Neuron, radars Giraffe, solutions de camouflage...

Outre l'antichar, Saab participe à des partenariats comme celui sur le drone de combat Neuron sous leadership de Dassault Aviation. Pour le groupe suédois, la coopération avec l'avionneur tricolore s'est très bien passée, explique-t-on chez Saab, qui souhaite une nouvelle coopération avec la France. Aujourd'hui, plus de 90% des activités du groupe en France se font en coopération avec des industriels français à travers des partenariats pour l'innovation. Par ailleurs, il se fournit chez une centaine d'entreprises françaises, dont le leader européen des explosifs, propulseurs et combustibles militaires Eurenco. Les deux groupes ont signé en 2022 un contrat à long terme pour la fourniture d'ergols pour le canon Carl Gustaf. « Saab est un acteur reconnu de la base industrielle et technologique de défense française », confirme Camille Pertusot.

Le groupe suédois coopère dans deux domaines en France. C'est le cas du camouflage avec la PME Solarmtex, basée à Vierzon (Cher) et Issoudun (Indre) et spécialisée dans la conception et la fabrication de produits textiles spécifiques. Les deux entreprises ont signé un partenariat en septembre 2021 portant sur l'assemblage des systèmes de camouflage en France ainsi que la confection, le contrôle et le conditionnement de ces systèmes. Prochaine étape, le transfert de production à Vierzon et le développement des capacités de R&D Saab Barracuda en France.

Enfin, la Suède et la France souhaitent coopérer dans la défense aérienne, sept ans après la claque reçue en 2017 par Paris qui a proposé vainement à Stockholm de participer à la modernisation du système SAMP/T. Pourtant l'armée de l'air avait confié à Saab en 2001 le marché des systèmes Giraffe AMB et son shelter de commandement et contrôle. En 2020, le groupe suédois a gagné un marché avec la DGA pour la rénovation et la modernisation des systèmes mobiles de commandement et contrôle (C2) de l'armée de l'Air française, qui comprennent notamment le radar Giraffe AMB. Dans ce domaine, Saab coopère avec Hemeria, dont le siège social est à Toulouse, pour le maintien en condition opérationnelle du radar en partenariat avec l'armée de l'Air et la DMAé (Direction de la Maintenance aéronautique). Saab et Hemeria ont signé un partenariat en octobre 2022.

Par ailleurs l'Administration suédoise du Matériel des Armées (FMV) et Thales ont signé en juillet 2023 un contrat pour la fourniture et l'installation de radars SMART-L Multi Mission à longue portée, conçus pour la surveillance de l'espace aérien et la détection des missiles balistiques. Ces radars vont contribuer à maintenir la souveraineté de l'espace aérien suédois. La défense aérienne semble être l'une des pistes les plus prometteuses entre la France et la Suède en matière de coopérations.

Lire aussiLa guerre en Ukraine fait exploser le chiffre d'affaires et le carnet de commandes de Saab (1/3)

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Commentaires 2
à écrit le 14/02/2024 à 6:52
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Bonjour, un article qui définit des axes ne travail... Mais bon, ils n'est pas sple de percé dans un domaine bien particulier... Sans de longue, des développement de projets, et la fabrication de prototype.. Par exemple la lutte antichar, cel...

à écrit le 12/02/2024 à 7:57
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Très très bon article! Et qu’est-ce que ça pourrait nous faire gagner comme temps et comme argent! Je pense qu’on pourrait aussi leur apporter certains plus… au fil de l’installation de Thales, MBDA pu Dassault en Suède, la coopération va se renforce...

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