Mini-lanceur : « MaiaSpace est un acteur crédible avec seulement 14 mois d'existence » (Yohann Leroy)

Dans une interview accordée à La Tribune, le président exécutif de MaiaSpace Yohann Leroy fait le bilan industriel et commercial des quatorze premiers mois de sa société. Le futur lanceur Maia intéresse déjà le marché. « Nous avons émis à ce jour des offres vers plus de dix clients potentiels, qui sont aujourd'hui en discussion », précise Yohann Leroy.
« On est un acteur crédible avec seulement nos quatorze mois d'existence par rapport à d'autres sociétés créées avant nous, car notre positionnement, à la frontière entre acteurs existants et nouveaux acteurs du spatial, nous permet de combiner le meilleur des deux mondes » (Yohann Leroy, président exécutif de MaiaSpace)
« On est un acteur crédible avec seulement nos quatorze mois d'existence par rapport à d'autres sociétés créées avant nous, car notre positionnement, à la frontière entre acteurs existants et nouveaux acteurs du spatial, nous permet de combiner le meilleur des deux mondes » (Yohann Leroy, président exécutif de MaiaSpace) (Crédits : MaiaSpace)

MaiaSpace a fêté sa première année d'existence. C'est donc l'occasion de faire un premier bilan. Où en est le projet Maia ?
Effectivement, le projet a formellement démarré en avril 2022 avec l'idée de développer et de concevoir un mini-lanceur en trois ans et demi. Notre objectif est et demeure de réaliser notre premier vol orbital avant la fin de l'année 2025. Le projet avance rapidement. Je peux vous donner deux illustrations. Au mois de juillet, MaiaSpace emploiera 100 salariés. Nous aurions pu faire croître nos effectifs à un rythme beaucoup plus rapide mais notre objectif est de croître avec des profils de qualité en cherchant la complémentarité en termes d'expertise et d'expérience. Je souhaite recruter au bon rythme pour que la dynamique du projet reste la plus positive possible. En un an, nous avons été en capacité de construire une équipe cœur, qui correspond en tous points à celle dont ce projet avait besoin, ce qui me rend encore plus confiant que je ne l'étais il y a un an dans notre capacité à tenir cet objectif de fin 2025.

Mais avez-vous pu avancer sur le projet en lui-même ?
C'est ma deuxième illustration. Nous pouvons mettre à notre actif des réalisations matérielles concrètes. En moins d'un an, nous avons été capables de concevoir et d'assembler à Vernon un premier prototype à échelle 1 du deuxième étage de notre lanceur. Il va être transféré en zone d'essai la semaine prochaine avec notamment une opération de remplissage cryogénique à l'été. Cet été, nous allons réaliser d'autres tests sur le mini-troisième étage du  lanceur. Par ailleurs, les équipes de MaiaSpace mènent en parallèle toute une série de tests sur la plateforme hardware de l'avionique que nous sommes en train de développer. Très clairement, nous ne sommes pas du tout une société « Powerpoint ». Nous avons été créés pour développer un lanceur compétitif en un minimum de temps et nous sommes d'ailleurs convaincus que la meilleure façon d'y arriver est de fabriquer le hardware du lanceur, puis de le tester très rapidement. C'est la meilleure façon d'apprendre.

Et où en êtes-vous de l'utilisation du moteur-fusée Prometheus ?
C'est effectivement un élément important de Maia, qui va être propulsé par quatre moteurs Prometheus. Mais c'est ArianeGroup qui le développe dans le cadre d'un programme ESA. MaiaSpace en est le premier client, mais n'est qu'un client d'ArianeGroup. Je suis convaincu qu'être un client de Prometheus est la bonne stratégie, car cela nous évite d'avoir à réinventer la roue. Nous avons souhaité pouvoir nous appuyer sur les groupes qui ont  l'expertise européenne existante en matière de développement de moteurs-fusées. Ceux qui ont l'expertise en la matière, c'est ArianeGroup. Développer un moteur fusée prend du temps même quand on fait cela depuis 50 ans. Nous avons donc fait ce choix parce que le développement de Prometheus lancé en 2015 était déjà bien avancé. Actuellement, le moteur est en phase de tests. Nous aurons les résultats dans quelques semaines et je suis très confiant.

Avez-vous gagné en crédibilité en un an seulement ?
On est un acteur crédible avec seulement nos quatorze mois d'existence par rapport à d'autres sociétés créées avant nous, car notre positionnement, à la frontière entre acteurs existants et nouveaux acteurs du spatial, nous permet de combiner le meilleur des deux mondes. Il est même possible que d'ici à quelques semaines, nous prenions de l'avance par rapport à certains de nos concurrents. On pourra alors se prévaloir de disposer d'un moteur quand d'autres acteurs, qui affichent plusieurs années d'existence et se sont lancés dans un développement à partir de 0, commencent à se rendre compte que ce n'est pas si simple.

Quelles sont les prochaines échéances importantes pour MaiaSpace ?
Sur le plan technique, nous avons une roadmap détaillée avec de nombreux jalons qui correspondent aux tests que l'on souhaite réaliser sur nos différents prototypes. Notre philosophie de développement est de réaliser trois itérations de chacun des sous-systèmes de notre lanceur avant d'arriver à celui du modèle qui volera. En 2024, nous avons prévu des essais à feu sur le deuxième étage et d'apprendre des essais qui seront réalisés par ArianeGroup sur le démonstrateur Themis (premier étage d'un lanceur réutilisable, ndlr) développé dans le cadre de l'ESA, et dont le design de notre premier étage sera dérivé. Des essais à feu et des tests supplémentaires seront réalisés sur les différents sous-systèmes du lanceur. Puis 2025 sera l'année du premier vol orbital, avant le début des opérations commerciales à partir de 2026.

La commercialisation du lanceur a-t-elle commencé ?
Elle a déjà commencé.

Avez-vous déjà des expressions d'intérêt sur le plan commercial ?
Les retours des premiers prospects sont très positifs. Plusieurs négociations sont à un stade avancé. J'espère que certaines d'entre elles vont se conclure dans les prochains mois. Je ne m'attendais pas pour être franc à ce que le retour du marché soit aussi positif que cela pour les deux versions proposées (réutilisable ou pas). Il confirme à la fois la pertinence du design de notre lanceur et les performances visées. Et la capacité d'emport répond à un vrai besoin du marché. Par ailleurs, nous avons pu constater à travers nos discussions que notre politique de prix était juste. Nos prix correspondent à la valeur qu'ils accordent au service de lancement dont ils ont besoin.

Quel sera la capacité d'emport ?
Nous en avons deux selon qu'on récupère ou non le premier étage. Lorsqu'on récupère le premier étage, la capacité d'emport pourra atteindre 500 kilos sur une orbite SSO (orbite polaire, ndlr). Et lorsqu'on ne récupère pas le premier étage, on peut monter jusqu'à 1,5 tonne de capacité d'emport sur cette orbite. Ce qui veut dire que si on lance Maia sur une orbite inclinée, la capacité d'emport pourra être substantiellement supérieure à 1,5 tonne. Ce sera le cas des lancements depuis la Guyane. Avec nos deux points de fonctionnement, notre business model a beaucoup de la résilience. Chacune des deux capacités d'emport correspond à un marché réel. Nous avons émis à ce jour des offres vers plus de dix clients potentiels, qui sont aujourd'hui en discussion.

Quels sont les profils de vos potentiels clients intéressés par vos services ? Est-ce des sociétés commerciales ou des institutionnels ?
A ce stade, nous discutons essentiellement à des clients commerciaux, qui sont, soit des sociétés traditionnelles dans le spatial, soit des sociétés beaucoup plus récentes. Nous avons vraiment ces deux catégories de clients qui sont intéressés par nos différents critères : service de lancement, fiabilité, prix... Nous intéressons des clients historiques, ils sont convaincus que notre lanceur affichera la meilleure fiabilité. Pour les sociétés du NewSpace, grâce à la réutilisation, nous sommes capables de viser des prix particulièrement compétitifs. Ces sociétés cherchent souvent des ruptures au niveau des prix pour pouvoir ouvrir de nouveaux marchés.

Quel est l'ordre de grandeur du prix du kilo lancé en orbite ? 
Nous ne communiquons pas sur nos prix. Mais notre objectif est de développer un lanceur proposant à terme des prix au kilo comparable aux lanceurs lourds. On constate souvent sur les prix pratiqués par les opérateurs de mini-lanceurs sont plus élevés que pour les lanceurs lourds, car ils disposent de moins bonnes économies d'échelle.

Qu'est-ce qui séduit vos potentiels clients ? La marque ArianeGroup derrière votre projet et/ou le projet MaiaSpace ?
Ce qui convainc tous les clients qui discutent avec nous, c'est l'approche qui est la nôtre. Nous cherchons à combiner le meilleur des deux mondes. Les clients lancent souvent des charges utiles qui sont coûteuses, ils ont donc besoin de fiabilité. Nous bénéficions d'un surcroît de crédibilité du fait de nos origines, de notre ADN et du support dont on bénéficie de la part d'ArianeGroup, de la réutilisation des technologies disponibles et éprouvées. Les clients sont également convaincus de notre volonté de privilégier la réactivité  et de profiter de notre très forte agilité que nous confère notre taille.

Allez-vous vendre vous-même vos lanceurs ?
Nous commercialisons effectivement nous-mêmes nos services de lancements. C'est constitutif de notre identité. La logique de fonctionnement, qui nous anime, est de répondre aux besoins des clients : nous ne pouvons pas répondre aux besoins des clients sans y être confrontés tous les jours. C'est essentiel qu'on se frotte au marché, y compris pour nos ingénieurs. C'est à cette condition que nous développerons un lanceur, qui répond aux besoins du marché.

Le site de production sera-t-il à Vernon ?
Très vraisemblablement. Nous avons d'ores et déjà sécurisé les installations qui vont nous permettre à la fois de fabriquer à court terme nos prototypes assemblés à Vernon sur le site d'ArianeGroup ainsi que nos premiers modèles de vol. C'est aussi à Vernon que nous réalisons nos essais en s'appuyant sur les installations d'essais disponibles. Enfin, il y a des travaux en cours pour sécuriser les surfaces supplémentaires dont nous allons avoir besoin pour accompagner la montée en cadence de Maia, qui est prévue à compter de 2026.

A quelle échéance comptez-vous atteindre votre production en régime de croisière ?
Nous visons progressivement un à deux tirs par mois au bout de quatre ou cinq ans. Notre courbe d'apprentissage nous permettra d'atteindre notre régime de croisière à la fin de la décennie. Si nous avions eu qu'un lanceur capable de lancer 500 kilos par mois, le nombre de tirs aurait été beaucoup plus faible. Soit cinq à dix tirs par an grand maximum. Nous deux versions nous permettent d'adresser un marché plus large et d'atteindre des cadences, qui nous permettent d'amortir plus facilement nos coûts de développement.

Quand allez-vous être à l'équilibre financier ?
Nous espérons atteindre la rentabilité avant d'être en régime de croisière. Avant la fin de la décennie, on sera en cash-flow positif et en cash-flow cumulé positif autour de la fin de la décennie ou au début de la décennie 2030. Il faut plusieurs années pour récupérer la mise initiale et pour commencer à gagner de l'argent.

Quelle est votre vision du marché des mini-lanceurs ? Combien de projets seront-ils viables financièrement en Europe et dans le monde ?
À terme, j'en vois au maximum deux, voire un, en Europe. Dans le monde, une poignée, soit entre quatre et cinq.

C'est chaud. Maia fera-t-il partie des cinq ?
Nous essayons de mettre toutes les chances de notre côté et, objectivement, je pense qu'on a les atouts pour y arriver. Pour survivre, il faut tenir les coûts et la meilleure façon de les tenir, c'est d'avoir un calendrier serré, parce que le temps, c'est de l'argent. Notre lanceur est conçu avec beaucoup de marges de performance, ce qui nous permettra d'absorber plus facilement les difficultés que nous rencontrerons pendant la phase de développement, sans impact sur le calendrier. Au-delà, nous avons des atouts très forts par rapport aux concurrents. Nous avons un business plan plus résilient parce que nous adressons deux marchés, nous nous appuyons sur des technologies d'avenir. Tout cela nous rend confiant. Nous développons également un lanceur qui sera, sur le plan environnemental, le plus sobre du marché. Si ce critère reste aujourd'hui de second ordre, je suis convaincu que ce sera un critère très important dans les années à venir au moment où notre lanceur sera disponible sur le marché. Cela nous conférera un avantage compétitif très fort.

En quelque sorte, votre lanceur aura plusieurs standards...
... Nous, nous sommes dans une logique de progrès continu. Elle va nous permettre, année après année, de monter potentiellement en performance. C'est un peu la logique en ce moment. On ne prend pas SpaceX pour modèle mais Falcon 9 a aujourd'hui une performance qui est bien supérieure à celle qu'il avait en début de vie. Nous sommes dans la même logique. S'il existe une appétence du marché pour une capacité d'emport plus grande, on sera capable de la fournir et de le faire au même coût, c'est-à-dire à un prix au kilo, qui baisse avec le temps.

Avez-vous travaillé sur un second pas de tir, autre que Kourou ?
Notre objectif est de lancer depuis la Guyane. Là aussi nous sommes dans une logique de ne pas forcément chercher à repartir d'une page blanche. Il y a des avantages significatifs à lancer en Guyane, en particulier pour les orbites inclinées. Pour autant, nous sommes en discussion avec un certain nombre d'autres acteurs, qui proposent des ports spatiaux et des bases de lancement. En tant que PDG, je me dois de m'assurer que nous n'avons jamais tous nos œufs dans le même panier. Et cela s'applique également pour les pas de tir. Nous avons l'ambition de lancer majoritairement depuis la Guyane mais nous n'excluons pas de lancer  ailleurs, si nous y sommes contraints, ou si nous avons une opportunité spécifique.

Comme Kiruna ou Andoya ?
Typiquement.

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Commentaires 3
à écrit le 16/06/2023 à 11:00
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Incroyable mais vrai aurait dit pierre Bellemare ! Le pdg d'ariane espace réclame la solidarité sans faille de l'europe pour ariane 6 ! La société dependra désormais du ministère de la santé (économique) et des solidarités... Point positif : l...

à écrit le 16/06/2023 à 10:08
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Dans un pays de tous les temps Vit la plus belle des abeilles Que l'on ait vu depuis longtemps S'envoler à travers le ciel Cette petite abeille porte le nom de Maia Petite oui mais espiègle Maia ! Qui n'a vraiment peur de rien Qui suit tou...

à écrit le 16/06/2023 à 9:38
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Quand est-ce qu'une réunion internationale (avec déjeuné bien entendu) s'intéresse à l'encombrement de l'espace par les sous produits et déchets, cela semble presque aussi chargé que les plastocs dans les océans. J'estime qu'il en va de notre respons...

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