Plus petit segment des lancements spatiaux, les micro et mini-lanceurs européens tentent de se faire une place dans une course déjà lancée entre Américains (Rocket Lab) et Chinois (Hyperbola-1, Jielong-1...). Avec des investissements de l'ordre de 100 à 150 millions d'euros, mais une demande insuffisante en Europe pour pérenniser ce segment de marché, elles doivent faire la preuve de leur compétitivité pour prendre une part du gâteau, alors que la demande croît si vite que les lanceurs traditionnels ne peuvent y répondre.
La solution ? « Nous devons développer un produit qui soit si compétitif qu'il sera convaincant pour les clients hors d'Europe », a répondu lors du Paris Air Forum organisé lundi par La Tribune Stefan Brieschenk, directeur des opérations chez RFA ONE, filiale du groupe allemand OHB System. Et pour y parvenir, elles explorent des pistes comme les lanceurs réutilisables ou la propulsion au méthane. « Être compétitif sera la clé », souligne également Adrià Argemi, co-fondateur de Pangea Aerospace, une start-up espagnole qui a choisi la voie du réutilisable pour réduire les coûts opérationnels.
Isar Aerospace, la course en tête
Isar Aerospace, basée en Allemagne, a choisi de s'appuyer sur des technologies plus traditionnelles afin d'assurer un niveau de fiabilité et de compétitivité pour être rentable, mais avec comme perspective à terme la réutilisation, explique son directeur des opérations, Josef Fleischmann au cours de la table-ronde intitulée "Quelle place pour les mini-lanceurs en Europe ?". La startup munichoise, qui vient de lever 57 millions d'euros supplémentaires, semble aujourd'hui faire la course en tête en Europe. Ce qui ne veut pas dire qu'elle le restera, elle devra démontrer la performance et la fiabilité de ses moteurs.
Après avoir signé un contrat d'exclusivité pour lancer à Andøya en Norvège et obtenu un contrat ferme pour un premier lancement de la part d'Airbus, Isar Aerospace a récemment convaincu le gouvernement allemand et le Centre aérospatial allemand (DLR) de le soutenir. Outre les 147 millions d'euros levés, la startup de Munich a obtenu 11 millions d'euros du ministère des Affaires économiques allemand.
Seuls un à deux mini-lanceurs viables
La quadrature du cercle, c'est la taille du marché, selon Jean-Marc Astorg, directeur des lanceurs au CNES. Il estime à dix lancements par an le segment des micro-lanceurs, de moins de 300 kg de charge utile. Celui des mini-satellites, d'environ une tonne, en plein boom et représente de 10 à 20 lancements par an en Europe, mais il est en grande partie capté par les lanceurs plus importants, comme Ariane ou Vega, selon lui. Il estime que sur les dix à quinze start-up, qui se sont lancées en Europe (Allemagne, Espagne, France, Royaume-Uni), une ou deux seulement seront élues.
Pour les soutenir, l'Agence spatiale européenne (ESA) a mis en place un programme, baptisé « Boost », qui vise à stimuler les initiatives commerciales de transport spatial. « Nous agissons en tant que partenaire » avec le savoir-faire et l'expertise, l'accès aux installations, explique Daniel Neuenschwander, son directeur du transport spatial. Bénéficier de l'appui de l'ESA facilite aussi les levées de fonds auprès d'acteurs privés, ajoute-t-il. Mais l'agence européenne impose aussi des conditions parfois difficiles, notamment que les acteurs fassent la démonstration de leur viabilité commerciale, contrairement à la NASA américaine.
Mini-lanceurs européens, des démonstrateurs ?
Pour les acteurs institutionnels, l'intérêt est de soutenir une filière, qui leur permet d'explorer des technologies qui pourront par la suite être adaptés à la prochaine famille de lanceur européens, poursuit Jean-Marc Astorg. « Il peut y avoir des technologies très intéressantes applicables aux gros lanceurs », comme la réutilisation, la propulsion au méthane ou des équipements spécifiques, comme des méthodes de production de réservoirs en acier inoxydable, explique-t-il. La classe des mini-lanceurs peut ainsi représenter « un moyen de préparer Ariane 7 ou une future famille de lanceurs européens », estime-t-il. En quelque sorte des démonstrateurs pour développer et concevoir une nouvelle famille de lanceurs européen.
Les micro-lanceurs peuvent de leur côté servir à développer des systèmes à un moindre coût, et offrir un marché de complément pour les acteurs de ce segment. Jean-Marc Astorg cite le système de sécurité autonome actuellement en cours de développement pour Ariane 6, qui pourrait être testé grâce à des micro-lanceurs. « Nous pourrions financer 10 lancements depuis Kourou » à cette fin, indique-t-il. Enfin, les petits lanceurs représentent une source de revenus complémentaires pour le site de lancement de Kourou, qui a la capacité de lancer sur toutes les orbites.
Les acteurs européens de ce segment y voient aussi l'opportunité de soutenir le savoir-faire et la compétence en Europe, alors que le financement des activités spatiales est cinq fois plus important aux Etats-Unis. « Je parle pour toute une génération d'ingénieurs européens, nous ne voulons pas être laissés pour compte », plaide Stefan Brieschenk.
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