"Nous aimerions réaliser trois vols Ariane 6 en 2022, ce qui est ambitieux" (Stéphane Israël)

En dépit d'une année très compliquée (Covid-19, faillite de OneWeb et échec de Vega), Arianespace a réussi à surmonter toutes les difficultés en réalisant dix lancements sur trois pas de tir. Ce qui a généré un chiffre d'affaires de 1 milliard d'euros environ en 2020. En 2021, le PDG d'Arianespace Stéphane Israël, dont le nom est cité pour prendre la présidence du CNES, prévoit le retour en vol de Vega (d'ici à fin mars) et le premier vol de Vega C. Enfin, il reste confiant dans le calendrier du premier vol d'Ariane 6 au second trimestre de 2022.
Soyuz va donner de la robustesse à l'autonomie d'accès de l'Europe à l'espace pour ses missions institutionnelles. Il facilite la transition vers Vega C et Ariane 6, et c'est une excellente chose (Stéphane Israël)
"Soyuz va donner de la robustesse à l'autonomie d'accès de l'Europe à l'espace pour ses missions institutionnelles. Il facilite la transition vers Vega C et Ariane 6, et c'est une excellente chose" (Stéphane Israël) (Crédits : Arianespace)

LA TRIBUNE - Quel bilan tirez-vous de l'année 2020 dans un contexte compliqué en raison de la crise du Covid-19 ?
STÉPHANE ISRAËL, PDG D'ARIANESPACE - 
Effectivement, le contexte a été très compliqué avec une année 2020 marquée par un événement totalement inattendu la crise du Covid. Elle a entraîné l'arrêt des campagnes de lancement au Centre spatial guyanais pendant deux mois. Par ailleurs, notre client OneWeb a été placé en Chapter 11, le régime américain des faillites, avec pour conséquence une interruption brutale de l'activité à partir du mois de mars. Enfin, des projets de satellites, qui auraient pu nous permettre de lancer une quatrième Ariane 5 cette année, ont été retardés. Finalement, Arianespace a terminé l'année avec 10 lancements (cinq Soyuz, trois Ariane 5 et deux Vega). Soit un de plus qu'en 2019. On est dans la moyenne de ce qu'on fait depuis 2014 où on réalise à peu près 11 lancements par an, dans un contexte où il y a eu plusieurs mois d'activité gelée. C'est quand même très satisfaisant de terminer à dix lancements et nous le devons à l'implication de l'ensemble des équipes d'Arianespace, de ses partenaires industriels,ainsi que du CNES et de l'ESA.

Quel est votre analyse sur cette année si particulière ?
Je fais deux constats forts. C'est d'une part, pour Arianespace, la prédominance des lancements commerciaux sur les dix réalisés l'année dernière. En 2020, nous n'avons opéré que deux lancements strictement institutionnels : le satellite d'observation militaire CSO-2 sur Soyuz ainsi que les satellites Taranis (CNES) et Seosat-Ingenio (ESA) sur Vega, qui malheureusement a été un échec. Un troisième lancement, le Vega multiple avec 53 satellites a fait l'objet d'un soutien de la Commission européenne et de l'ESA tout en étant majoritairement commercial. Ce bilan n'a pas d'équivalent : la domination du commercial par rapport à l'institutionnel est vraiment une singularité d'Arianespace qui la distingue de ses concurrents. D'autre part, nous avons réalisé cette année des lancements très innovants qui montrent bien les évolutions de ce marché. Sur le segment géostationnaire (GTO), nous avons réalisé pour la première fois un lancement triple, avec le véhicule de service en orbite MV2. Nous avons lancé à trois reprises des satellites de la méga-constellation OneWeb. Enfin, nous avons, avec le Vega que je viens d'évoquer, réussi une mission qui comportait 53 charges utiles. Cette année est à la fois très représentative de notre exposition au segment commercial, des évolutions du marché et de notre capacité à y répondre par de nouveaux services.

C'est également le retour d'Arianespace en Russie ?
Oui, effectivement, 2020 est également l'année du retour d'Arianespace à Baïkonour, et de son arrivée à Vostochny. Si nous avons réalisé dix lancements en 2020, c'est parce que nous en avons effectué deux depuis Baïkonour, dont un en pleine crise du Covid, et un autre depuis Vostochny en décembre. En 2020, nous avons tiré pleinement parti de la flexibilité du lanceur russe Soyuz : deux lancements depuis la Guyane, en plus des trois lancements opérés depuis deux bases russes.

Où allez-vous atterrir en termes de chiffre d'affaires et sur le plan financier ?
Notre chiffre d'affaires devrait être stable par rapport à l'an dernier, autour de 1 milliard. Comme nous sommes une société consolidée, nous ne communiquons pas sur nos résultats financiers. En outre, nos comptes ne sont pas clos. Mais ce que je peux dire, c'est qu'au prix d'efforts importants sur nos coûts de fonctionnement et en dépit d'une activité très perturbée, nous nous sommes mobilisés pour préserver notre équilibre financier.

Si sur le plan opérationnel Arianespace s'en est plutôt bien sorti grâce à Soyuz notamment, on a l'impression qu'en termes de prises de commandes, l'année a été plus difficile. Est-ce le cas ?
Il est certain que des projets que nous attendions en 2020 ont été repoussés à 2021 et que par ailleurs, certaines opportunités, comme les satellites de la Bande C américaine, ne nous ont été que très partiellement ouvertes. Malgré ce contexte, nous avons concrétisé la signature de trois satellites l'année dernière avec Eutelsat dans le cadre du « multi-launch agreement » de cinq lancements sur lequel on s'était mis d'accord en 2018. Nous avons aussi obtenu le lancement d'un quatrième satellite Eutelsat (Eutelsat 10B) à bord d'une Ariane 5. Nous sommes en outre parvenus à un accord avec Intelsat pour le lancement de trois satellites, deux ensemble en stack (position haute, ndlr) sur Ariane 5 et un à bord d'Ariane 6. Qu'Intelsat, qui opère la plus grande flotte de satellites commerciaux, ait rejoint Ariane 6 est un signe très positif envoyé par le marché. Enfin, on a réaménagé des lancements avec Eumetsat, qui a réservé une position supplémentaire pour le satellite MTG I-2 sur Ariane 6. Il ne faut pas non plus oublier la réservation par la Commission européenne de quatre Ariane 62 pour la constellation Galileo. Ce n'est pas encore une commande ferme mais ce que l'on appelle un « booking fee », concrétisé par une première avance et l'annonce en a été faite par le Commissaire Thierry Breton lors de la « Space Conference » de janvier 2020 à Bruxelles. Nous attendons à présent la signature en deuxième partie d'année 2021 du contrat-cadre qui portera à la fois sur les lancements de Galileo et de Copernicus du cadre financier 2021-2027, dont font partie les quatre réservations pour Galileo. Le montant de ce contrat, souvent évoqué par Thierry Breton, est estimé à environ 1 milliard d'euros. Pour être exhaustif, il faut évoquer la renégociation du contrat OneWeb avec ses nouveaux actionnaires Bharti et le gouvernement britannique. Nous avons pu annoncer en septembre la confirmation de 16 lancements avec Soyuz au profit de ce client, ce qui est un excellent résultat.

Dans le bilan 2020, il y a malheureusement le nouvel échec de Vega. Est-ce un problème de maturité pour Avio en tant que maître d'œuvre jusqu'au H0 (décollage) ? Fallait-il supprimer aussi vite le contrôle qualité, qui était réalisé par les équipes d'Arianespace ?
Le contrôle qualité d'Arianespace et son ingénierie lanceur n'ont jamais été supprimés, même s'ils s'inscrivent désormais dans le contexte du H0, c'est-à-dire le principe de la livraison du lanceur à Arianespace au moment de son décollage et non, comme auparavant, lors de son achèvement final en Guyane. La décision du H0 est une décision de l'ensemble de l'Europe spatiale, qui a été prise à la fin de l'année 2014 au Conseil de Luxembourg de l'ESA dans le souci d'une plus grande efficacité. La communauté spatiale européenne a souhaité que nos maîtres d'œuvre ArianeGroup et Avio poursuivent jusqu'au bout les opérations industrielles dont ils ont la charge et, qu'ensuite, Arianespace prenne le contrôle du lanceur à H0. C'est d'ailleurs ce qu'Arianespace a toujours fait sur Soyuz, qu'elle a lancé à 54 reprises, dont 53 pleins succès et une orbite erronée. Cette décision a été mise en œuvre dès 2017 sur Vega, puis en 2018 sur Ariane 5. Les deux échecs Vega ne sont pas du tout liés au H0. Le premier échec est la conséquence d'une faiblesse de conception de la protection thermique du Zéphiro 23, le deuxième étage de Vega. Le deuxième échec est le résultat de lacunes identifiées au niveau des processus d'intégration, de contrôle et de réception du quatrième étage de Vega, l'Avum sous responsabilité d'Avio. Cela n'a rien à voir avec la mise en place du H0, car c'est à Avio, comme l'a souligné la commission d'enquête indépendante, qu'il revenait de corriger cette erreur avant la livraison à Arianespace du lanceur. Je tiens à souligner que Vega est encore un lanceur « jeune », qui n'a volé que 17 fois, avec 15 succès - ce qui est remarquable -, et malheureusement deux échecs. Ariane, et bien d'autres lanceurs, sont aussi passés par là avant Vega. Ce qu'il faut, c'est apprendre de ces deux échecs pour garantir un niveau de fiabilité maximale.

Que peut faire Arianespace pour encore fiabiliser ses lancements ?
Dans le contexte du H0, il revient à nos maîtres d'œuvre industriels de livrer à Arianespace des lanceurs aptes au vol. C'est à eux d'en démontrer l'aptitude au vol à Arianespace. Arianespace se fonde sur les informations qu'ils lui donnent, tout au long du processus de production et lors de nos revues d'aptitude au vol. Elle dispose aussi de droits d'audit. Dans le contexte du H0, ce qui est important, c'est que nous puissions faire bénéficier l'ensemble de nos trois lanceurs de nos meilleures pratiques, fondées sur plus de 40 ans d'expérience des vols Ariane. Nous devons donc nous assurer de la plus grande robustesse possible de nos systèmes de lancement dans des contextes différents et avec des maîtres d'œuvre différents : ArianeGroup pour Ariane, Avio pour Vega et Roscosmos pour Soyuz. Nous devons inscrire cette démarche dans la perspective de l'arrivée d'Ariane 6 et Vega C. S'il faut renforcer quelque peu l'expertise propre d'Arianespace, notamment dans l'ingénierie lanceur et l'audit des processus qualité de nos maîtres d'œuvre, nous le ferons.

Ces deux échecs ont-ils provoqué une défiance des clients vis-à-vis de Vega, comme on a pu le constater avec les Émirats Arabes Unis, qui ont choisi Soyuz même si le lanceur russe était plus cher ? Est-ce révélateur d'une tendance ou est-ce simplement un cas particulier ?
Non, il y a une exigence et certainement pas une défiance. Il y a exigence parce qu'après un échec qui fait partie de la vie des lanceurs et surtout des jeunes lanceurs, les clients sont légitimement très exigeants et se tournent vers Arianespace, qui est leur unique interface. Il y a donc une exigence envers Arianespace de restaurer toute la fiabilité du système Vega. C'est la raison pour laquelle nous co-présidons, avec l'ESA, le groupe de travail de mise en œuvre des actions demandées à Avio par la commission d'enquête independante. Et que nous veillerons que les meilleurs standards de production et de processus industriels y soient appliqués dans la durée.

Pour autant, les EAU ont choisi Soyuz in fine...
... C'est très intéressant parce que ce dossier montre comment Arianespace sait faire son travail avec ses clients. Après l'échec du vol Vega 15 pour Falcon Eye 1 en juillet 2019, le client émirati, formellement représenté par Airbus dans notre relation contractuelle, a souhaité avoir deux possibilités : soit remonter sur Vega, soit embarquer sur Soyuz. Nous avons eu un dialogue très suivi avec notre client pour lui offrir la solution qui correspondait le plus à son besoin, qui comportait notamment un souci de sécurisation du planning du second lancement à un moment où les causes de l'échec de VV15 n'étaient pas encore élucidées, faisant peser une forte incertitude sur la date de retour en vol de Vega. Au terme d'un dialogue très transparent, le client a donc manifesté une préférence pour Soyuz, option que nous lui avions ouverte dans un souci de flexibilité.

Cette décision a-t-elle été comprise par Avio ?
Oui d'autant plus qu'il y avait un fort encombrement du manifeste Vega après l'interruption des lancements liée à l'échec de VV15. La décision du client émirati et d'Airbus a rendu le programme de lancement des Vega suivants le vol VV15 plus réalisable. Nous avons finalement fait un choix qui était bon pour le client, mais qui était aussi bon pour le système Vega parce que cela a donné de l'air à son manifeste.

Le lancement sur Soyuz était néanmoins plus cher. Qui a pris en charge le surcoût ?
Je ne peux pas rentrer dans les détails contractuels avec nos clients. Cette solution est apparue comme la meilleure pour tous et chacun s'est dès lors efforcé de la rendre possible.

Le retour en vol de Vega est-il attendu pour la fin du mois de mars ?
Nous espérons un retour en vol d'ici la fin du mois de mars. Nous allons devoir beaucoup travailler pour tenir cette échéance. C'est la commission coprésidée par l'ESA et Arianespace qui décidera de la date précise de retour en vol, en fonction de l'avancement des actions correctrices préconisées par la Commission. Nous allons associer Airbus à cette démarche, car il est le premier client de Vega cette année avec les satellites Pléiade Neo. Utilisateur clef de Vega, Airbus est un client légitimement exigeant, dont les attentes nous aideront dans la fiabilisation durable du système Vega. On progresse toujours davantage en associant étroitement ses clients.

Vega C est-il toujours attendu fin 2021 ?
Vega C volera en 2021, selon un calendrier qui tiendra compte de l'échec du 17 novembre dernier et que nous préciserons avec l'ESA et Avio.

On a évoqué les échecs de Vega mais celui d'Ariane 5 en 2018 a provoqué de nouvelles contraintes dans la sauvegarde. Depuis deux ans, il n'y a jamais eu autant de reports. Est-ce que la sauvegarde est-elle aujourd'hui beaucoup trop dure ?
Avant même la déviation de trajectoire d'Ariane 5 en janvier 2018, nous connaissions des périodes de lancement plus contraintes du fait des vents en altitude et des risques de débris sur le territoire guyanais en cas d'échec en champ proche de la mission. Avec Vega et Soyuz, il y a plus de missions de lancements vers le Nord, générant plus de contraintes sauvegarde en champ propre que les lancements Ariane vers l'orbite géostationnaire orientés vers l'Est. Et comme nous faisons ces dernières années plus de lancements en orbite basse et moins vers l'orbite géostationnaire, cela augmente mécaniquement les risques de report. Toutefois, l'expérience que nous avons vécue avec Vega en juin dernier, durablement cloué au sol par des vents en altitude exceptionnels, n'est pas la norme. En outre, nous travaillons en parfaite harmonie avec le CNES pour nous fonder sur des modèles préservant à la fois la sécurité des populations, objectif incontournable, et la disponibilité de nos systèmes de lancement.

Pour la filière lanceur, quels coûts représentent ces reports ?
Certes, cela a un coût financier, ce n'est pas neutre. Mais il est normal qu'après une déviation de trajectoire, le CNES ait revalidé certaines règles relatives à la sauvegarde.

Cette erreur de trajectoire n'est-il pas également le résultat d'un problème de contrôle qualité?
Il s'agissait d'une erreur de paramétrage de ce que l'on appelle l'azimut plateforme qui contribue à la définition de la trajectoire du lanceur. Celle-ci a pu passer tous les filtres parce qu'il existait sur ce point particulier une faiblesse de ce processus de contrôle au sein d'ArianeGroup. Celle-ci a été pleinement corrigée. Nous en étions alors à 82 succès d'affilée et cela montre à quel point la fiabilité ultime de nos systèmes de lancement reste un combat de tous les jours. Là encore, après cette anomalie dont les conséquences ont heureusement été limitées, un travail très important a été fait pour renforcer les processus qualité au sein d'ArianeGroup et en pleine visibilité d'Arianespace.

Le H0 est-il finalement une bonne décision pour Arianespace ?
Cela fait trois ans et demi maintenant que le H0 Vega a été mis en place,trois  ans pour le H0 Ariane. Personne ne souhaite remettre en cause cette évolution. Dans ce nouveau contexte, et conformément à la fois aux protocoles Ariane et Vega et aux exigences de la Loi sur les opérations spatiales, Arianespace déclare l'aptitude au vol sur la base des informations qui lui sont fournies par ses maîtres d'œuvre lanceurs et en s'appuyant sur son expertise propre. Comme je viens de l'indiquer, si cela nécessite des renforts ciblés, nous le ferons, mais sans remettre en cause le H0 et sa logique de responsabilisation de l'industrie. Ce qui est certain, c'est qu'Arianespace n'est pas qu'une société de commercialisation. Elle a toujours eu des compétences d'ingénierie lanceur et naturellement c'est une mission qu'il faut préserver. Tout comme l'indépendance de sa direction technique centrale et de son ingénieur en chef. Les clefs de nos succès sont là.

Le premier vol d'Ariane 6 est prévu au deuxième trimestre 2022. Est-ce un calendrier parfaitement tenable ?
Comme cela a été annoncé lors du conseil de l'ESA d'octobre dernier, c'est le planning sur lequel l'ESA, le CNES et ArianeGroup ont convergé. Il y a naturellement des jalons importants à passer d'ici là (je pense par exemple à l'essai à feu de l'étage supérieur qui doit se tenir dans le centre du DLR à Lampoldshausen au second trimestre 2021, et, aux débuts des essais combinés sol-bord après la livraison de l'ensemble de lancement par le CNES au second semestre) mais c'est l'objectif partagé de tous les acteurs.

Quand allez-vous être sûr de façon irréversible de la période du premier vol d'Ariane 6 ?
Comme je viens de le dire, nous avons encore des grands jalons à franchir. Au fur et à mesure qu'ils seront franchis, la date du second trimestre 2022 s'affermira. C'est la logique de tous les grands programmes de développement.

Il y a eu quand même des rumeurs selon lesquelles le premier lancement pourrait dériver en 2023...
Il y a toujours des rumeurs, mais je ne suis pas là pour les commenter. Ce qui compte c'est que tous les partenaires se mobilisent pour tenir l'objectif du second trimestre 2022. Une fois encore, il y a des risques, personne ne les nie, c'est ce que l'on appelle dans notre langage des « hots topics » et des « chemins critiques », mais l'objectif est celui indiqué par l'ESA lors de son conseil d'octobre 2020.

Entre le premier tir et le deuxième d'Ariane 6, on évoque une période de six mois d'analyses des paramètres du premier vol...
Ce sera au minimum quatre mois, car il nous faudra analyser les paramètres du premier vol.

Pourquoi un tel délai ? Le deuxième lancement est-il plutôt attendu en 2023 ?
Une fois encore, il s'agit d'exploiter toutes les informations que nous allons récupérer du premier lancement. Si on tient le second trimestre 2022 pour ce lancement inaugural, un deuxième lancement est accessible la même année. Nous aimerions même en réaliser trois, ce qui est ambitieux.

Avez-vous décidé quel sera le client du premier vol d'Ariane 6 ?
Le premier vol a d'abord pour client l'ESA, avec l'objectif de qualifier le lanceur pour les missions suivantes, notamment la mission Galileo. Ce qui veut dire qu'on ne peut pas, par exemple, réaliser une mission GTO. On doit faire une mission en orbite basse. OneWeb avait été initialement choisi comme passager commercial. Mais comme cet opérateur a réduit quelque peu la voilure du nombre de satellites à lancer, il a donc renoncé à ce lancement, qui est à présent disponible. Ce qui veut dire que si on ne trouve pas d'autre opportunité sur le marché, notre premier objectif reste de qualifier le lanceur pour les missions suivantes. Et si nous n'avons pas renoncé à décrocher un client complémentaire sur ce premier lancement, il est trop tôt pour dire si ces discussions aboutiront favorablement ; mais elles existent.

Arianespace va-t-il rester un compétiteur performant par rapport à SpaceX et aux nouveaux entrants ?
Le modèle de SpaceX est très différent du nôtre : vols habités, volume important de contrats institutionnels payés au moins le double des prix proposés à l'export, et parfois bien davantage - chacun a à l'esprit le mirifique contrat avec l'US Air Force de l'été 2020, avec 14 lancements payés 2,5 milliards de dollars, soit 180 millions de dollars en moyenne par lancement et même 316 millions pour une première mission en 2022 - , verticalisation du secteur et très fortes cadences à travers sa propre constellation, sans même évoquer l'absence de retour géographique. Dans ce contexte, ArianeGroup, Arianespace et l'ESA doivent définir ensemble les conditions d'exploitation d'Ariane 6 en phase stabilisée. Nous devons préciser les conditions de ce qui est fondamentalement un partenariat public-privé pour préserver un modèle d'exploitation mixte (institutionnel et commercial), ouvert à l'opportunité de cadences plus élevées pour déployer des grandes constellations. Nous devons avoir les moyens de nous battre à armes plus égales avec notre compétiteur. Je pense en tous les cas qu'un schéma d'exploitation purement institutionnel ne fonctionnerait pas vu le nombre limité de lancements institutionnels en Europe. Et, en parallèle, nous préparons déjà la suite d'Ariane 6 avec le moteur bas coût réutilisable Prometheus et l'étage récupérable Thémis.

Comment Arianespace va-t-elle gérer la transition entre Ariane 5 et Ariane 6 d'autant que ce dernier lanceur a deux ans de retard et qu'il n'y a plus beaucoup d'Ariane 5 à vendre ?
Nous avons encore huit Ariane 5 à lancer et il reste effectivement très peu de places sur ces lanceurs. C'est plutôt une bonne nouvelle en soi que nous ayons presque saturé le carnet de commandes d'Ariane 5. On a sécurisé des lanceurs Ariane 5 pour la mission James Webb Space Telescope de la NASA et pour JUICE de l'ESA. Nous avons de la souplesse entre les manifestes d'Ariane 5 et d'Ariane 6 si des satellites aujourd'hui prévus sur Ariane 5 devaient être en retard.

Allez-vous renoncer à lancer des satellites en GTO ?
Nous avons la chance que cette transition se déroule dans un contexte où le marché géostationnaire a été très faible depuis plusieurs années. C'est un élément de chance mais c'est aussi un élément dont on a tenu compte pour réduire la voilure des dernières Ariane 5. Nous nous sommes rendu compte que, finalement, il y aurait peu d'opportunités de nouveaux lancements en GTO en 2021 et 2022. Cela a orienté notre choix de diminuer la taille du dernier lot d'Ariane 5 dans le contexte d'une compétition accrue et d'une baisse drastique des prix. D'autant que nous avons identifié que le back-up naturel, s'il y avait des retards d'Ariane 6, serait plutôt pour des missions non géostationnaires que Soyuz pouvait assurer. Notre version européanisée du Soyuz est un back-up pour les missions Galileo, comme on le verra cette année, ainsi que pour d'autres missions prévues sur Ariane 6 le cas échéant. Au final, le recalage du calendrier d'Ariane 6 ne nous handicape pas véritablement parce qu'il y a peu d'opportunités en GTO. C'est vrai qu'on renoncera peut-être à certaines opportunités commerciales en GTO en 2022 ou en 2023, mais ces renoncements seront limités.

Mais Soyuz a également lancé en GTO depuis Kourou...
Oui, nous avions mis en 2017 deux petits satellites géostationnaires de 3,2 tonnes et 2,3 tonnes sur Soyuz (Hispasat 36W-1 et SES 15). Nous avions là aussi utilisé toute la souplesse de notre gamme, car le manifeste d'Ariane 5 était alors trop chargé. Depuis la Guyane, Soyuz peut faire du petit géostationnaire. Et effectivement, si à un moment donné c'était justifié de nouveau, pourquoi pas !

D'une façon générale, Soyuz revient au centre du jeu en Europe !
Soyuz va donner de la robustesse à l'autonomie d'accès de l'Europe à l'espace pour ses missions institutionnelles. Il facilite la transition vers Vega C et Ariane 6, et c'est une excellente chose.

Finalement, les Russes vont-ils rester à Kourou beaucoup plus longtemps que ce qui était prévu ? Avez-vous un accord avec les Russes pour livrer des Soyuz supplémentaires ?
Il n'y a pas de fin obligatoire ou programmée pour l'exploitation de Soyuz à Kourou. Il y a bien une logique à ce qu'Ariane 6 et Vega C lancent les missions institutionnelles de l'Europe : c'est une des raisons fondamentales qui a présidé au choix de ces deux lanceurs. Cette exigence est bien connue de nos partenaires russes, qui le comprennent très bien. Eux-mêmes privilégient leurs propres lanceurs pour leurs missions institutionnelles. Mais l'exemple de OneWeb nous montre que l'avenir prend des chemins qui n'étaient pas toujours ceux que nous imaginions, et qu'il y a des opportunités commerciales qui peuvent se manifester qui n'étaient pas prévues. L'une des très bonnes nouvelles de l'année 2020, c'est que nous avons consolidé le contrat OneWeb : nous avons pu renégocier dans le cadre de la reprise de la constellation 16 Soyuz supplémentaires. Et il en reste encore 15 à lancer puisqu'on en a réalisé un avec succès depuis Vostochny.

Mais après 2022 et 2023 ?
Est-ce qu'il y aura des opportunités commerciales pour Soyuz qui justifieront un maintien de l'exploitation du pas de tir ? Il est trop tôt pour le dire. L'avenir du pas de tir de Soyuz en Guyane dépendra fondamentalement des opportunités commerciales. On peut imaginer que les lancements de constellations peuvent avoir un besoin de redondance avec un lanceur supplémentaire. Ce pas de tir existe et il est disponible. La coopération avec l'agence spatiale Roscosmos et l'industrie russe est faite d'une très grande confiance et d'une très grande capacité à construire en commun. C'est quand même Arianespace qui a apporté la première mission commerciale au nouveau cosmodrome de Vostochny (OneWeb). Nous avons joué notre rôle de pionnier. En toute hypothèse, nous avons construit une très belle histoire ensemble et nous devons voir de quelle façon nous pouvons la poursuivre dans le contexte nouveau créé par Ariane 6 et Vega C.

Sur les micro-lanceurs, êtes-vous inquiet sur le fait que l'Allemagne veuille jouer peut-être une carte personnelle ? Si cela est avéré, cela manquerait de cohérence en Europe.
Il y a globalement aujourd'hui un intérêt plus fort pour les lanceurs en Allemagne qu'il n'y a pu en avoir par le passé. C'est d'abord une bonne nouvelle. L'Allemagne est un partenaire clé du programme Ariane depuis l'origine et sa part industrielle sera encore plus importante dans Ariane 6 que dans Ariane 5, puisqu'elle devrait atteindre 22%. Ensuite, l'Allemagne a accepté de participer à des financements supplémentaires du développement d'Ariane 6 dans le cadre du conseil de l'ESA de décembre 2020. Enfin, l'Allemagne a voté dès 2019 un texte au Bundestag affirmant qu'elle avait vocation à lancer ses satellites avec Ariane 6. L'Allemagne a donc, de façon incontestable, affiché un soutien à Ariane 6. Toute la question sur les micro-lanceurs, qui suscitent effectivement un intérêt fort en Allemagne, est de savoir comment ils pourraient compléter l'offre existante d'Arianespace et participer à une feuille de route cohérente pour l'avenir des lanceurs européens.

Quel est le positionnement d'Arianespace sur les micro-lanceurs ?
On sait que le business case des micro-lanceurs est extrêmement dépendant du marché institutionnel, notamment militaire. On le voit aux Etats-Unis : Electron est le seul micro-lanceur qui fonctionne et cela du fait de la volonté du DoD américain d'avoir un « Quick and Responsible Access to Space » avec des missions beaucoup mieux payées que celles du marché. Ce qui permet à Electron d'offrir également des capacités commerciales parce qu'il a un socle institutionnel. Notre analyse est qu'un micro-lanceur européen ne sera viable que s'il y a une volonté institutionnelle européenne, et singulièrement des ministères de la Défense, d'utiliser cette voie d'accès supplémentaire à l'espace.

Ces micro-lanceurs ne vont-ils pas entrer en concurrence avec votre nouveau système de lancement développé pour Vega, puis par Ariane 6 ?
Cela dépendra s'il y a des clients qui souhaitent avoir une disponibilité plus forte. Ils prendront alors un taxi, sans doute plus disponible qu'un bus, mais vraisemblablement aussi plus cher. J'ai noté que Rocket Factory Augsburg (RFA) et Isar Aerospace ont dit qu'ils réfléchissaient à deux possibilités pour leur base de lancement : soit un lancement depuis la Guyane, soit des lancements depuis la Norvège. Moi en tant qu'Arianespace, j'ai une préférence pour un lancement depuis la Guyane ! Ces micro-lanceurs ne sont pas développés dans un cadre de l'ESA, laquelle confie à Arianespace dans le cadre d'un traité international, la fameuse LED, l'exploitation des lanceurs développés sous son égide. Ce sera le choix de ces sociétés, si leurs projets vont à leur terme, de voir comment elles veulent travailler avec le Centre spatial guyanais et Arianespace. C'est leur liberté. Nous sommes évidemment disponibles pour participer à la commercialisation de ces micro-lanceurs s'ils le souhaitent, de façon cohérente avec notre offre.

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Commentaires 5
à écrit le 07/01/2021 à 19:18
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Hélas, cet interview donne dans l'autosatisfaction. Le bilan de Stéphane Israël à la tête d'Arianespace n'est pas bon. Les faits: - Arianespace perd de l'argent (n'en a jamais vraiment gagné d'ailleurs). 1Md d'€ de CA, ça ne veut rien dire: bénéfice...

à écrit le 07/01/2021 à 18:04
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Vive Ariane 5 et Ariane 6 une vraie reussite pour Ariane group et pour le spatial français et européen; Je me souviens du 4 juin 1996 et de l'echec du vol 501 : les ingénieurs n'en sont pas rester là et on trouver le problème de l'explosion de vol et...

à écrit le 07/01/2021 à 15:35
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Ambitieux, 3 vols d'Ariane 6 en 2022? Ariane 6 est dépassée techniquement par falcon9 qui a mis 21 satellites sur orbite l'an dernier, dont des humains. Ariane 6 n'a rien d'ambitieux. En lancer 3 en 2022 c'est avoir 10 ans de retard.

le 07/01/2021 à 19:23
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100% d'accord. Le bilan de Stéphane Israël à la tête d'Arianespace n'a rien de brillant. C'est l'exemple du capitalisme de copinage: Israel est un grand copain de Montebourg, qui l'a fait nommer lorsqu'il était ministre....

à écrit le 07/01/2021 à 11:22
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Ds cet autosatisfecit de circonstance, faudrait peut-être tempérer par la totale dépendance de la France au lanceur russe pour le lancement de charges aussi sensibles que des satellites espions derniers cris.

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