Le ministère des Armées et son industrie de défense, notamment la filière optronique, sont passés tout près de la catastrophe industrielle avec le rachat de Photonis par Teledyne Technologies. Le groupe américain avait imaginé une véritable machine de guerre dans le domaine de l'optronique (infrarouge et intensification de lumière) en réunissant Photonis et Flir Systems, qui n'a jamais été un lot de consolation. Cette opération stratégique très bien pensée par Teledyne aurait cassé, entre autres, les reins de Lynred, la filiale à 50% de Safran et Thales, numéro deux mondial de la vision infrarouge.
Une stratégie que Teledyne a soigneusement caché à l'État français, qui n'a jamais été informé du projet de rachat de Flir par le groupe américain (8 milliards de dollars), selon nos informations. Tout en négociant avec l'État français sur Photonis, le groupe de Thousand Oaks (Californie) a mené en parallèle pendant des mois des discussions avec Flir dans la plus grande discrétion avec l'objectif de créer un géant d'envergure mondiale dans l'optronique... avec la contribution de la France. Pour autant, l'alliance Teledyne et Flir est déjà en soi un coup de massue industriel pour toutes les entreprises du secteur. Et ce d'autant plus que Flir désormais dans l'orbite de Teledyne va acquérir une puissance de feu financière supplémentaire. Pour preuve, le groupe californien est capable de négocier en parallèle deux opérations, l'une de 510 millions d'euros (Photonis) et l'autre de 8 milliards de dollars (Flir)
Un coup de chance
Si l'État français avait été informé de ce projet, il aurait eu encore plus de légitimité à s'opposer à la vente de Photonis à Teledyne. Et le feuilleton Photonis aurait rapidement pris fin. Car, selon nos informations, Bercy et le ministère des Armées ont rapidement écarté Flir dans le dossier Photonis, le groupe américain étant pourtant très intéressé par cette vente. Mais les deux ministères ont estimé que cette opération était beaucoup trop dangereuse pour les intérêts industriels de la France. Ils ont donc "découragé" Flir de poursuivre sur ce dossier avant même que Teledyne n'engage des négociations exclusives avec le propriétaire de Photonis, le fonds Ardian. C'est donc un vrai "coup de bol" pour le ministère des Armées, qui a beaucoup insisté face à Bercy, pour mettre un veto à l'opération Teledyne/Photonis.
"Ce projet a fait l'objet d'une demande au titre de la procédure des investissements étrangers en France, qui est sous le contrôle direct du ministre de l'Économie et des Finances, a expliqué mardi dernier lors de ses vœux à la presse Bruno Le Maire, ministre de l'Économie, interrogé par La Tribune. Cette entreprise Teledyne est bien connue en France. Elle est très favorablement connue dans notre pays, elle est implantée, elle fait partie des fournisseurs de l'État. Donc c'est une entreprise pour laquelle nous avons beaucoup de respect. Simplement le ministère des Armées, qui est le seul à en pouvoir juger, a estimé que pour des raisons de souveraineté et de sécurité nationale, il était préférable de bâtir une offre française pour Photonis. Approche évidemment que je partage totalement avec la ministre des Armées Florence Parly".
Au final, le rachat de Flir par Teledyne conforte encore plus le veto de l'Hôtel de Brienne même s'il ne l'a pas fait pour cette raison... Et l'insistance de Florence Parly, qui a préservé les enjeux de souveraineté portés par Photonis, est donc une bénédiction pour l'industrie française en général, et Lynred en particulier. "Photonis est vraiment une entreprise stratégique pour l'équipement de nos militaires, notamment pour les jumelles de vision nocturne et tous les équipements qui sont très spécifiques", a récemment expliqué la ministre des Armées lors d'une audition à l'Assemblée nationale. Et de conclure qu'il "fallait défendre cette entreprise et tout faire pour la conserver sous souveraineté nationale".
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