Combat spatial : la mobilité et l'autonomie des satellites militaires français seront cruciales

Au moment où la guerre en Ukraine ramène les pays européens aux fondamentaux des besoins militaires conventionnels (munitions, blindés, missiles antiaériens, avions de chasse) l’erreur à ne pas commettre serait de sacrifier les domaines nouveaux comme l’espace et le cyberespace. Au contraire. Selon le général Jean-Daniel Teste, compte tenu des dernières activités préoccupantes et suspectes détectées en orbite ces derniers mois, il faut absolument poursuivre l’effort initié depuis 2019 afin de garantir la sécurité de nos moyens spatiaux et l’intégrité des données et des services qu’ils dispensent au citoyen et aux forces. Par le général (Air 2S) Jean-Daniel Testé, président d'Aerospacelab SAS (France), ancien commandant interarmées de l’espace et membre titulaire de l'Académie de l'air et de l'espace.
« Si l'Union Européenne, l'OTAN et de nombreux pays en Europe ont enfin, maintenant, bien intégré le besoin de connaissance précise des activités spatiales à des fins de défense et de sécurité, parler de combat spatial reste encore très théorique voire un tabou pour la majorité d'entre eux. (Général - Air 2S - Jean-Daniel Testé)
« Si l'Union Européenne, l'OTAN et de nombreux pays en Europe ont enfin, maintenant, bien intégré le besoin de connaissance précise des activités spatiales à des fins de défense et de sécurité, parler de combat spatial reste encore très théorique voire un tabou pour la majorité d'entre eux. (Général - Air 2S - Jean-Daniel Testé) (Crédits : DR)

Le 24 janvier dernier, le général John Shaw, deputy commander of US Space Command dressait un constat particulièrement intéressant : « L'une des principales préoccupations est que les satellites de surveillance américains sont désavantagés en raison de leur manœuvrabilité limitée ». Il avait probablement en tête certains événements de 2021, 2022 et 2023, au cours desquels d'autres puissances spatiales certainement considérées comme rivales ont réalisé, en orbite, des démonstrations de réelle capacité d'attaque, de mobilité et d'évasive.

Il s'agit plus particulièrement des satellites expérimentaux chinois SJ 12-1, SJ12-2, SJ21, et SJ23 ou russes COSMOS 2542,2543, 2535 et 2536. Il est vrai que dans la suite logique des premiers signaux faibles perçus entre 2012 et 2017 (Luch Olymp, SY7, SJ7), les grandes puissances spatiales se sont maintenant dotées de moyens opérationnels d'action dans l'espace sur toutes les tranches d'orbite. La possession de ce genre de capacité leur permet de réaliser régulièrement des opérations spatiales inédites (cf interception des SJ12 par un GSSAP US, puis évasive et manœuvre des SJ12 ).

Un combat spatial qui se profile

Il va sans dire que les pays dotés de ce type de moyen vont acquérir très vite une expérience inestimable du combat spatial qui se profile. Ces opérations témoignent d'un haut niveau de maitrise des manœuvres dans l'espace et des technologies de pointe associées (la propulsion, le guidage et la navigation), même si plusieurs questions importantes restent sans réponse pour le moment :

  • Les opérations des uns ou des autres ont-elles été pilotées du sol ? Y a-t-il eu un homme dans la boucle ? Si oui , à quel moment et pour quelles décisions ?
  • Comment ont été élaborés les ordres qui ont permis la pertinence , l'efficacité opérationnelle et la sécurité des manœuvres vis-à-vis de l'environnement des objets spatiaux concernés ?

Beaucoup de travail en perspective pour nos services de renseignement afin de pouvoir bientôt évaluer correctement et précisément les menaces dans l'espace.

Le combat spatial reste un tabou

Si l'Union Européenne, l'OTAN et de nombreux pays en Europe ont enfin, maintenant, bien intégré le besoin de connaissance précise des activités spatiales à des fins de défense et de sécurité, parler de combat spatial reste encore très théorique voire un tabou pour la majorité d'entre eux. Aucun en tout cas ne semble vouloir prendre l'initiative de se doter de moyens d'action dans l'espace à court ou moyen terme. La France, probablement un peu plus consciente des enjeux, entraine ses personnels chaque année à travers des exercices comme ASTER X et a planifié l'acquisition de ses premiers moyens d'action (YODA, ARES) avant 2030.

Il n'y aura donc pas d'acquisition d'expérience opérationnelle concrète ni en France, ni ailleurs en UE, avant cette échéance. C'est autant de temps perdu pour gagner du savoir faire et de l'expérience car les exercices et la simulation, aussi réalistes qu'ils soient ne pourront pas remplacer le véritable contexte opérationnel, encore moins dans l'espace que dans les autres milieux. Cela peut être très pénalisant voire rédhibitoire car en toute objectivité, en complément des moyens de connaissance (surveillance et tracking), les prochains enjeux fondamentaux de la sécurité dans l'espace seront la mobilité, associée à une très grande agilité, et l'autonomie des systèmes spatiaux.

Développer des capacités d'intelligence embarquée

Pour acquérir ces capacités, il sera nécessaire de mobiliser nos compétences dans certains domaines technologiques clés appliqués à l'espace. Ainsi l'autonomie de nos futurs satellites militaires consistera à être capable, à bord, de : détecter une menace, analyser le risque, analyser l'environnement de manœuvre, calculer les paramètres d'une manœuvre d'évitement, enfin distribuer des ordres précis aux systèmes de navigation et de propulsion, le tout sans forcément de liaison avec une station de commande au sol.

Il conviendra donc de porter un effort majeur sur les capacités de calcul et d'intelligence embarquées. Ensuite donner de la mobilité à nos satellites pour qu'ils puissent éviter les attaques et contre-attaquer au besoin fera appel à des moyens de propulsion de nouvelle génération, aptes à délivrer d'importants incréments de vitesse (Delta V). Le travail dans ces domaines doit être engagé dès maintenant, en priorité car prendre encore plus de retard nous placera en situation de forte vulnérabilité face à des adversaires intrusifs et déjà mieux entrainés que nous. C'est pourquoi il est fortement souhaitable que les crédits supplémentaires accordés à l'Espace dans la prochaine LPM permettent de :

  • Poursuivre l'effort de développement des moyens de connaissance de l'activité spatiale,
  • Accélérer le rythme de formation et d'entrainement des personnels,
  • Rendre nos futurs systèmes spatiaux beaucoup plus mobiles, agiles et autonomes,
  • Accélérer l'acquisition de capacités d'action dans l'espace.

Au début 2023, Josep Borrell, le chef de la diplomatie de l'UE, a rappelé : « L'espace est devenu un enjeu crucial pour la sécurité de l'Europe. Protéger les satellites présents dans l'espace est primordial, car la plupart des infrastructures militaires ou civiles dépendent d'un système satellitaire ». Il s'agit donc maintenant de mettre les actions en face des mots et enfin d'anticiper les futurs enjeux de sécurité dans l'espace extra-atmosphérique.

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Commentaires 2
à écrit le 25/02/2023 à 17:32
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Une analyse lucide,claire et instructive.Toutefois,ce n'est pas parce que Mon General que le combat spatial est exclu à l'heure actuelle que l'espace est d'une certaine inutilité militaire ou très marginale ou que l'on ne pourrait parler spécifiqueme...

à écrit le 23/02/2023 à 14:14
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On peut être à court de munitions sans être à court d'idées . Au début de mon service militaire on faisait un exercice avec des balles à blanc et on a été vite à court et l'officier qui nous commandait nous a dit de faire "tac, tac, tac" !!!!

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