« Le climat se dérègle avec des pluviométries irrégulières. Nous le voyons en ce moment. Nous avons pris 30% de la pluviométrie d'une année en un mois et demi ! », se désole Anthony Oboussier, exploitant agricole dans la Drôme qui a repris l'affaire familiale en 2013. « Nous observons aussi des périodes de canicule, de plus en plus précoces, qui se succèdent. Ce qui a une réelle incidence sur la production de fruits. Cela a été le cas en 2022, année où les arbres ont eu des problèmes de croissance ce qui a eu un impact sur le calibre des fruits. Cette année, les fortes pluies ont provoqué le développement d'un champignon (la moniliose) qui est dévastateur pour les fruits à noyau provoquant leur pourriture », explique-t-il.
Même constat à près de 200 kilomètres plus au nord. « Nous constatons des périodes très longues sans pluie. Cette année, nous avons eu trois mois sans eau ! Nous observons aussi des périodes de dessèchements très rapides sur les cultures », témoigne Hélène Verriez, responsable technique au sein de la CAPL (Coopérative Agricole Provence-Languedoc) qui fédère 5.000 à 6.000 adhérents dans le Vaucluse, le Gard et les Bouches-du-Rhône, 60% étant spécialisés en viticulture.
Dans ce contexte, les producteurs doivent donc composer avec les éléments naturels et tentent de s'adapter en modifiant les dates de semis, en sélectionnant des variétés plus résistantes ou encore en se digitalisant. La deeptech nantaise Weenat s'est fixée pour mission de les y aider en, notamment, leur permettant de comprendre ce qui se passe dans leurs parcelles grâce à des capteurs, connectés à une application web et mobile, pour ainsi prendre des décisions quotidiennes (semi, récolte, irrigation).
Weenat propose ainsi des solutions qui permettent notamment de piloter une irrigation avec précision. Aujourd'hui, elle revendique 20.000 utilisateurs dans neuf pays européens (France, Portugal, Espagne, Allemagne, Italie, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, Suisse).
« Savoir ce qu'il se passe dans le sol est la plus grande difficulté des irrigants. Car si plusieurs solutions existent, aucune n'est parfaite. D'un côté, les capteurs sol sont très précis, mais fastidieux à déployer à grande échelle. De l'autre, les données satellites sont globales, mais manquent de précision. Résultat ? Ces technologies sont encore peu adoptées par les professionnels agricoles », explique Jérôme Le Roy, le président et fondateur de Weenat.
Déjà 32 millions de mètres cubes d'eau économisés
Au sein de la CAPL, environ 350 producteurs utilisent les solutions Weenat (stations météo, anémomètres pour mesurer en temps réel la vitesse du vent, tensiomètres pour le pilotage d'irrigation, capteurs gel). Le déploiement au sein du réseau a démarré il y a cinq ans environ. Aujourd'hui, près de 300 stations météo et 480 capteurs ont été déployés. L'objectif est d'installer 1.000 capteurs d'ici à fin 2024. « Nous avons commencé par utiliser les stations météo. Au fur et à mesure et en fonction du contexte climatique, une réelle demande est apparue, notamment en vigne et en maraîchage, pour trouver des solutions permettant de piloter l'irrigation. Nous déployons ce type de solutions depuis deux ans », indique Hélène Verriez. Selon elle, les solutions Weenat permettent une meilleure gestion des exploitations, mais aussi un gain de temps, l'avantage étant que les utilisateurs ont la possibilité d'avoir accès aux données de l'ensemble du réseau. « Mieux gérer le travail des producteurs et les apports en eau, c'est à terme des économies. » Si la coopérative ne les a pas mesurées avec précision, elle évoque « une économie certaine ».
Gérant environ 20 hectares de vergers et 45 hectares dédiés aux grandes cultures (orge, blé dur...), Anthony Oboussier utilise lui aussi les sondes tensiométriques développées par Weenat depuis 2019, dans le but de piloter le plus précisément possible son irrigation. Aujourd'hui, il utilise dix tensiomètres, moyennant une enveloppe de 3.000 euros environ. Deux autres seront installés la saison prochaine sur une nouvelle parcelle dédiée à la production de pêches. « Les capteurs fonctionnent par pair, installés au pied des arbres. L'un prend la mesure jusqu'à 30 centimètres de profondeur et le second jusqu'à 60 centimètres. Cela me permet de connaître l'état hydrique des sols à deux profondeurs différentes, car entre 30 et 60 centimètres se trouve le système racinaire de l'arbre fruitier. »
Pour lui, l'objectif final est clair : « affiner au mieux la quantité d'eau dont l'arbre a besoin et donc, à terme, faire des économies en eau ». Même s'il lui est difficile de les calculer, car « chaque année ne se ressemble pas ». Toutefois il reconnaît qu'il gaspillerait certainement de l'eau s'il devait faire de l'irrigation uniquement avec de l'observation ou à l'aide de données météorologiques.
« J'arroserai plus que de besoin. Avec les tensiomètres, même si les conditions climatiques sont sèches, j'apporte moins d'eau, j'espace davantage les arrosages et j'affine avec précision le déclenchement et la durée de l'irrigation », affirme-t-il.
D'après Weenat, les capteurs qui mesurent l'humidité du sol auraient déjà permis d'économiser 32 millions de mètres cubes d'eau en 2023, soit l'équivalent d'environ 12.000 piscines olympiques. « Les premiers tests de notre modèle d'IA ont permis aux irrigants de réduire leur consommation d'eau de 20% en moyenne », indique pour sa part Jérôme Le Roy.
Meteoria : un nouvel outil d'aide à la décision
L'agritech nantaise souhaite désormais aller encore plus loin avec son projet d'innovation baptisé « Meteoria ». Il a été initié il y a un an environ, moyennant un investissement de plus de 2,5 millions d'euros dont la moitié est financée en fonds propre et l'autre soutenue grâce au concours d'innovation i-Nov, organisé par Bpifrance et l'Ademe.
Ici, la deeptech s'engage dans une démarche d'envergure visant à accompagner près d'un million d'irrigants à travers l'Europe dans leur gestion opérationnelle de l'irrigation. L'objectif est de passer d'une collecte de données ponctuelles mesurées par des capteurs ou calculées à partir d'images satellites, se limitant aux premiers centimètres de sol, à une évaluation globale de la teneur en eau des sols agricoles européens en temps réel et au kilomètre carré près. Pour ce faire, ce nouvel outil à la décision qui sera déployé courant de l'année 2024 croisera un très grand volume de données multi-sources : celles issues des 20 000 capteurs Weenat, des données météo, des données satellite et des données sol et agronomiques. Après une validation garantissant leur cohérence et leur qualité, ces données sont organisées, uniformisées et stockées. Cette étape est suivie du calcul de la teneur en eau qui est réalisé à l'aide d'un algorithme d'intelligence artificielle.
Cette innovation permettra ainsi aux irrigants d'accéder facilement à des informations sur l'évolution de la teneur en eau de leurs sols, et aux coopératives, semenciers et agro-industriels de disposer de données hydriques de qualité à grande échelle spatiale et temporelle. « Ces données serviront à calibrer des modèles agronomiques, à analyser les saisons passées, à piloter la saison en cours et à élaborer des stratégies pour les saisons futures », conclut le président-fondateur de Weenat.
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