Plan eau : pourquoi la réutilisation des eaux usées peine à percer en France

Alors qu'Emmanuel Macron a présenté son plan eau le 30 mars dernier avec pour objectif de passer à 10% d'eau usée retraitée et réutilisée d'ici 2030, la France figure dans le bas du classement mondial avec seulement 1% actuellement. Un faible résultat que les prochaines mesures devraient améliorer, notamment en allégeant les procédures administratives. Pour autant, attention à ne pas confondre vitesse et précipitation, prévient Christophe Poupard. Le directeur de la connaissance et de la planification à l'agence de l'eau pointe les risques qui peuvent découler du recyclage de l'eau.
Coline Vazquez
Emmanuel Macron à Savines-le-Lac en Provence-Alpes-Côte d'Azur le 30 mars dernier à l'occasion de la présentation de son plan eau.
Emmanuel Macron à Savines-le-Lac en Provence-Alpes-Côte d'Azur le 30 mars dernier à l'occasion de la présentation de son plan eau. (Crédits : Durand Thibaut/ABACA via Reuters Connect)

Avez-vous déjà pensé que l'eau de votre douche puisse finir au fond de vos toilettes ? C'est du moins l'ambition affichée par le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, qui souhaite que la France réutilise davantage ses eaux usées. Et pour cause, « moins de 1% sont réutilisées, c'est 10 fois moins que les Italiens, 20 fois moins que les Espagnols et 100 fois moins que les Israéliens », a-t-il fustigé, le 31 juillet dernier promettant de nouveaux décrets destinés à « élargir les cas de réutilisation des eaux usées ». Parmi les usages concernés : favoriser les arrosages d'espaces verts par les collectivités locales, ou encore nettoyer des bateaux.

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Le sujet est loin d'être nouveau. Avant son ministre, Emmanuel Macron avait également déploré le retard de la France en la matière. Le président avait ainsi appelé, dans le cadre de son plan eau présenté le 30 mars dernier, à passer « de 1% à 10% d'ici à 2030 d'eau usée retraitée et réutilisée ». En d'autres termes, « nous voulons réutiliser 300 millions de mètres cubes, soit trois piscines olympiques, par commune », avait-il précisé, expliquant que 1.000 projets seront, en outre, lancés en cinq ans dans ce but. Et d'ajouter que « nous devons aussi faciliter et accélérer les procédures administratives et lever quelques verrous administratifs ».

Lenteur administrative

Car c'est bien là que le bât blesse. « ll y a toujours eu une réticence réglementaire liée à des raisons sanitaires. Bien que les eaux usées soient traitées avant d'être réutilisées, il y a peut-être un principe de précaution qui s'applique pour ne faire courir aucun risque et qui freine le développement des usages », avance Marillys Macé, directrice générale du Centre d'information sur l'eau (C.I.eau).

« Quand on déposait un dossier de demande d'autorisation, il fallait parfois cinq à dix ans pour contacter tous les administrateurs concernés et faire les tests », témoigne-t-elle.

Une lenteur administrative également dénoncée par Estelle Brachlianoff, directrice générale de Veolia, poids lourds français de la gestion des déchets, de l'énergie et du traitement des eaux usées. Interrogée par La Tribune en juin dernier, elle regrettait qu'il faille « quatre à dix ans pour obtenir une autorisation et [qu']à chaque nouveau projet on reparte de zéro ». Pour chaque demande d'autorisation, il faut, en effet, déposer un dossier auprès de la direction départementale des territoires (DDT) qui « demande systématiquement l'avis de l'Agence régionale de santé (ARS) », détaille Thierry Trotouin, directeur d'offre pour les eaux usées urbaines et industrielles chez Veolia.

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Et selon lui, « l'étude des dossiers prenait du temps puisque la réutilisation des eaux usées traitées était un sujet complètement nouveau pour les ARS. Un certain temps a donc été nécessaire pour qu'elles se familiarisent avec cette solution ». Or, l'autorisation de l'autorité est un des éléments clé pour lancer les projets et débloquer les financements accordés par les agences de l'eau. « C'est pour cette raison que l'on encourage le partage des retours d'expérience pour les prochains dossiers », rappelle le directeur. Autrement dit, « que les autorisations concernant un même usage et une même pratique soient valables pour l'ensemble des dossiers, sans passer un par lourd circuit de validation à chaque fois », précise-t-il.

« A chaque fois, il faut poser la question de l'impact environnemental »

Attention toutefois à ne pas mettre la charrue avant les bœufs, nuance Christophe Poupard, directeur de la connaissance et de la planification à l'agence de l'eau. Il rappelle en effet l'importance d'adapter chaque usage à l'environnement dans lequel il va être pratiqué. Principal risque : l'assèchement des cours d'eau. Une fois traitées dans les stations d'épuration, les eaux usées sont, en effet, destinées à alimenter les cours d'eau, maintenant ainsi leur niveau.

Elles peuvent parfois représenter jusqu'à 70% du débit d'une rivière lorsqu'elle est à son plus bas niveau. « C'est par exemple le cas du ru de Gally qui traverse la commune de Versailles et qui est alimenté avec les eaux de la station de la ville et sans lesquelles il serait à sec », rappelle-t-il. Avec des conséquences notamment pour les territoires en aval du cours d'eau ou de la rivière qui comptent sur cette ressource en eau.

En outre, ces eaux non-conventionnelles issues des stations d'épuration, quand elles sont rejetées dans un estuaire comme celui de la Seine ou de l'Orne, représentent un apport d'eau douce qui permet un équilibre avec l'eau salé, important pour le milieu aquatique. Or, « on le voit pendant les périodes de sécheresse, les estuaires deviennent plus salés, car le fleuve a un débit plus faible et cela peut s'aggraver si on n'y rejette pas suffisamment d'eaux usées traitées », complète Christophe Poupard.

Enfin, le spécialiste pointe l'impact énergétique du traitement des eaux dans le but de les réutiliser qui se révèle plus important que pour celui déjà mené au sein de la station d'épuration. « A chaque fois qu'on monte un projet, il faut poser la question de l'impact environnemental », martèle-t-il.

« Aucun compromis sur les qualités sanitaires de l'eau n'est envisageable », acquiesce Thierry Trotouin. En revanche, ce dernier espère que les décrets promis par le gouvernement simplifieront la procédure actuelle. De quoi permettre d'appliquer la réutilisation des eaux usées à de nombreux usages : l'hydrocurage (technique de nettoyage des canalisations), nettoyage des voiries, arrosage des espaces verts, lavage des bateaux dans les ports, mais aussi des métros, bus et tramways. « Cela n'a pas de sens de le faire avec de l'eau potable », estime-t-il.

Une question de sobriété

Mais, au-delà de l'impact sur l'environnement, c'est la question même de notre consommation d'eau qui se pose, pour Christophe Poupard, à travers le sujet de son recyclage.

« Si la réutilisation est une solution technologique qui peut avoir sa place dans certains cas, notamment sur le littoral, on doit, en amont, se poser la question de la sobriété et de nos usages. Pour le nettoyage de la voirie par exemple, avant de penser à utiliser de l'eau recyclée, il faut s'interroger sur la nécessité de nettoyer autant, notamment après qu'il ait plu », explique-t-il.

Il regrette que « souvent les acteurs ont tendance à se dire : "je veux faire comme avant", alors qu'il vaudrait mieux se dire "comment je peux réduire mes besoins". Et, une fois que c'est fait : "est-ce que j'ai besoin d'eau issue de la réutilisation et pour quel usage" ». Un raisonnement qui risque fort de s'imposer au vu des records de chaleur enregistré ces derniers mois et années.

Coline Vazquez

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Commentaires 31
à écrit le 14/08/2023 à 15:29
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Dans nos régions de l'ouest on risque de surinvestir et payer une eau hors de prix alors qu'on n'en manque pas. Vu en 2020 les ruisseaux qui sortent de nos collines un débit identique aux années précédentes, ce qui se passe après est un autre probl...

à écrit le 11/08/2023 à 18:43
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Réponse au titre: parce que l'eau sale, c'est sale.

à écrit le 11/08/2023 à 18:16
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En 1985, responsable d'un chantier hôtelier de 1500 lits, eaux usées traitées sur le site et récupérées pour l'arrosage.. autre hôtel où les eaux usées étaient aussi réutilisées pour les sanitaires. En Grèce nous produisons également l'eau (forage) q...

à écrit le 11/08/2023 à 10:04
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On a de l'eau , on la vends à l'étranger, on s'en mettes plein les poches, on s'alarme qu'il n'y en à plus , on déclare que les français sont fautif , on demande au français de payer plus et de se restreindre et on les culpabilise en les divisant ....

le 11/08/2023 à 17:01
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@bernard_do 😉 Je complète si vous le voulez bien. Si la discipline de l'économie comportementale (behavioral economics) était par essence un domaine de la science économique ayant pour objectif de décrire et d'expliquer les anomalies de comportement ...

à écrit le 11/08/2023 à 9:35
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Économiser 35 M3 d'eau par an par famille de 4 personnes est ultra facile ; on installe une réserve d'eau 25€ au dessus du réservoir du WC, on ajoute un 2ème robinet flotteur 50€ via le second orifice du réservoir du WC, on relie les 2 avec un petit ...

à écrit le 11/08/2023 à 8:42
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On se demande bien pourquoi l’état se mêle de sujets pour lesquels il n’a nulle compétence...

le 11/08/2023 à 9:35
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Encore une diversion ! cela valide bien le début de la fin d une renaissance en déclin

à écrit le 11/08/2023 à 8:26
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C'est micron qu'il faut changer, il est tres use

le 11/08/2023 à 8:38
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les francais attendent toujours les regrets et les excuses de m macron sur son projet de vente de l'eau douce a un pays du golfe

à écrit le 11/08/2023 à 7:55
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Avec nos géants de l'eau Veolia et l'ex Suez, ça fait encore plus désordre !

à écrit le 11/08/2023 à 7:43
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Une pitoyable tambouille qui empeste l'impuissance et l'hypocrisie.

à écrit le 10/08/2023 à 22:18
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Dans la France de 1960, 38% des logements n’avaient pas encore l’eau courante et 73% n’avaient même pas de WC, car il se trouvait dans la cabane au fond du jardin ou alors le pot de chambre était monnaie courante. Et dans 90% des logements, aucune sa...

à écrit le 10/08/2023 à 16:43
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bonne idee mais bien compliquee a mettre en oeuvre il faut bien sur un 2 ieme reseau donc casser les chaussees installer un 2 ieme reseau chez les particuliers pour wc machine laver lave vaiselle etc... il est bien sur pas question de boire cet...

à écrit le 10/08/2023 à 15:34
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Les eaux usées ne sont pas perdues puisqu'elles sont traitées et rendues au milieu naturel. Par contre, envisager de réutiliser directement chez soi les eaux usées est un mauvais calcul : il faut prévoir de construire et d'entretenir en plus un secon...

le 10/08/2023 à 15:52
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Utiliser de l'eau potable pour les toilettes est-ce pertinent ?

le 10/08/2023 à 19:16
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@Marc469 : Sanitairement et économiquement, oui. La réutilisation généralisée des eaux usées est contre-intuitive, hors économie de guerre, ou situation insulaire ou enclavée/isolée, ou eaux pluviales pour le jardin ou le lavage des véhicules. Et, pa...

à écrit le 10/08/2023 à 13:44
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Il y a une dizaine d’années, on avait annoncé à la radio une augmentation du prix de l’eau à Paris. Explication : la consommation des parisiens avait baissé (ils avaient fait des économies sur la part variable) et le coût de l’épuration de l’eau (par...

à écrit le 10/08/2023 à 13:36
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"Avez-vous déjà pensé que l'eau de votre douche puisse finir au fond de vos toilettes ?". Pourquoi pas, mais: coût de l'eau des toilettes pour 4 personnes : 100 euros par an. Coût d'une installation douche/toilettes (filtre, pompe, réservoir, gestion...

le 11/08/2023 à 0:03
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Moi je le fais déjà et ça me coûte rien : 2 seaux adaptés de 20 litres chacun lorsqu on prend nos douches suffisent pour lex wc toutes là journées pour 4 personnes … 1 seau prévu pour l arrivée d eau chaude ( vingtaine de secondes) et d’eau de l eau...

le 11/08/2023 à 0:04
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Moi je le fais déjà et ça me coûte rien : 2 seaux adaptés de 20 litres chacun lorsqu on prend nos douches suffisent pour lex wc toutes là journées pour 4 personnes … 1 seau prévu pour l arrivée d eau chaude ( vingtaine de secondes) et d’eau de l eau...

à écrit le 10/08/2023 à 13:34
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Ça va coûter une "blinde"! demander des infrastructures et une énergie considerable, sans compter les problèmes sanitaires qui vont immanquablement survenir. Le jeu n'en vaut pas la chandelle. La solution, c'est (comme pour l'énergie) la sobriété. A...

le 10/08/2023 à 15:14
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Pourtant ça fonctionne à merveille en Europe du sud. Ici à Barcelone le lavage de voiture dure 2x plus longtemps avec 1€ qu’avec 2€ à Paris. Secret? Eau traitée réutilisée.

le 10/08/2023 à 15:55
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Ce ne sont pas seulement les agriculteurs qui doivent réduire la consommation d'eau mais tout le monde. Combien d'eau gaspillée quand on laisse l'eau couler quand on se lave les mains ou qu'on se brosse les dents et combien de temps passé sous la dou...

le 10/08/2023 à 18:44
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@reponse de Barcelone. Vous avez raison, mais il s,'agit là d'in cas particulier. L"eau qui lave les voitures est récupérée et traitée sur place. Un simple système de filtration et une bâche à eau de stockage. Cette eau affectée ce seul usage peu...

à écrit le 10/08/2023 à 12:43
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"Objectif de passer à 10% d'eau usée retraitée et réutilisée d'ici 2030, la France figure dans le bas du classement mondial avec seulement 1% actuellement". Quoi, 1%? Non mais là je crois halluciner. Sérieux, 1%? Là j'apprends quelque chose et les b...

le 10/08/2023 à 14:08
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Ici nous sommes forts que pour taxer et punir ceux qui réussissent. On ne peut pas être premier partout.

le 10/08/2023 à 17:04
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@Tototiti. Mis à part les taxes, la France serait première en quoi d'important en 2023?

le 11/08/2023 à 12:35
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@Tototiti. La France vient encore de "gagner deux places...à la baisse". Bein oui, malgré toute une armada de taxes qui frappe le pays, dans le classement annuel dévoilé par Global Fire Power, l’armée française tombe à présent à la neuvième place des...

à écrit le 10/08/2023 à 12:29
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"alors qu'il vaudrait mieux se dire "comment je peux réduire mes besoins"" traiter les eaux usées c'est pour ne pas se poser ce genre de question. Il faudra doubler les canalisations. Quand on collecte l'eau de pluie pour arroser, rien à faire, mais...

le 10/08/2023 à 12:56
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Bein lorsqu'un pays (soi-disant développé) accumule autant de retard sur tous les fronts et après tant d'années, vous feriez bien de vous posez de vrais questions de fond, même si la "réduction des besoins personnels" est toutefois élémentaire pour c...

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