
Avez-vous déjà pensé que l'eau de votre douche puisse finir au fond de vos toilettes ? C'est du moins l'ambition affichée par le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, qui souhaite que la France réutilise davantage ses eaux usées. Et pour cause, « moins de 1% sont réutilisées, c'est 10 fois moins que les Italiens, 20 fois moins que les Espagnols et 100 fois moins que les Israéliens », a-t-il fustigé, le 31 juillet dernier promettant de nouveaux décrets destinés à « élargir les cas de réutilisation des eaux usées ». Parmi les usages concernés : favoriser les arrosages d'espaces verts par les collectivités locales, ou encore nettoyer des bateaux.
Le sujet est loin d'être nouveau. Avant son ministre, Emmanuel Macron avait également déploré le retard de la France en la matière. Le président avait ainsi appelé, dans le cadre de son plan eau présenté le 30 mars dernier, à passer « de 1% à 10% d'ici à 2030 d'eau usée retraitée et réutilisée ». En d'autres termes, « nous voulons réutiliser 300 millions de mètres cubes, soit trois piscines olympiques, par commune », avait-il précisé, expliquant que 1.000 projets seront, en outre, lancés en cinq ans dans ce but. Et d'ajouter que « nous devons aussi faciliter et accélérer les procédures administratives et lever quelques verrous administratifs ».
Lenteur administrative
Car c'est bien là que le bât blesse. « ll y a toujours eu une réticence réglementaire liée à des raisons sanitaires. Bien que les eaux usées soient traitées avant d'être réutilisées, il y a peut-être un principe de précaution qui s'applique pour ne faire courir aucun risque et qui freine le développement des usages », avance Marillys Macé, directrice générale du Centre d'information sur l'eau (C.I.eau).
« Quand on déposait un dossier de demande d'autorisation, il fallait parfois cinq à dix ans pour contacter tous les administrateurs concernés et faire les tests », témoigne-t-elle.
Une lenteur administrative également dénoncée par Estelle Brachlianoff, directrice générale de Veolia, poids lourds français de la gestion des déchets, de l'énergie et du traitement des eaux usées. Interrogée par La Tribune en juin dernier, elle regrettait qu'il faille « quatre à dix ans pour obtenir une autorisation et [qu']à chaque nouveau projet on reparte de zéro ». Pour chaque demande d'autorisation, il faut, en effet, déposer un dossier auprès de la direction départementale des territoires (DDT) qui « demande systématiquement l'avis de l'Agence régionale de santé (ARS) », détaille Thierry Trotouin, directeur d'offre pour les eaux usées urbaines et industrielles chez Veolia.
Et selon lui, « l'étude des dossiers prenait du temps puisque la réutilisation des eaux usées traitées était un sujet complètement nouveau pour les ARS. Un certain temps a donc été nécessaire pour qu'elles se familiarisent avec cette solution ». Or, l'autorisation de l'autorité est un des éléments clé pour lancer les projets et débloquer les financements accordés par les agences de l'eau. « C'est pour cette raison que l'on encourage le partage des retours d'expérience pour les prochains dossiers », rappelle le directeur. Autrement dit, « que les autorisations concernant un même usage et une même pratique soient valables pour l'ensemble des dossiers, sans passer un par lourd circuit de validation à chaque fois », précise-t-il.
« A chaque fois, il faut poser la question de l'impact environnemental »
Attention toutefois à ne pas mettre la charrue avant les bœufs, nuance Christophe Poupard, directeur de la connaissance et de la planification à l'agence de l'eau. Il rappelle en effet l'importance d'adapter chaque usage à l'environnement dans lequel il va être pratiqué. Principal risque : l'assèchement des cours d'eau. Une fois traitées dans les stations d'épuration, les eaux usées sont, en effet, destinées à alimenter les cours d'eau, maintenant ainsi leur niveau.
Elles peuvent parfois représenter jusqu'à 70% du débit d'une rivière lorsqu'elle est à son plus bas niveau. « C'est par exemple le cas du ru de Gally qui traverse la commune de Versailles et qui est alimenté avec les eaux de la station de la ville et sans lesquelles il serait à sec », rappelle-t-il. Avec des conséquences notamment pour les territoires en aval du cours d'eau ou de la rivière qui comptent sur cette ressource en eau.
En outre, ces eaux non-conventionnelles issues des stations d'épuration, quand elles sont rejetées dans un estuaire comme celui de la Seine ou de l'Orne, représentent un apport d'eau douce qui permet un équilibre avec l'eau salé, important pour le milieu aquatique. Or, « on le voit pendant les périodes de sécheresse, les estuaires deviennent plus salés, car le fleuve a un débit plus faible et cela peut s'aggraver si on n'y rejette pas suffisamment d'eaux usées traitées », complète Christophe Poupard.
Enfin, le spécialiste pointe l'impact énergétique du traitement des eaux dans le but de les réutiliser qui se révèle plus important que pour celui déjà mené au sein de la station d'épuration. « A chaque fois qu'on monte un projet, il faut poser la question de l'impact environnemental », martèle-t-il.
« Aucun compromis sur les qualités sanitaires de l'eau n'est envisageable », acquiesce Thierry Trotouin. En revanche, ce dernier espère que les décrets promis par le gouvernement simplifieront la procédure actuelle. De quoi permettre d'appliquer la réutilisation des eaux usées à de nombreux usages : l'hydrocurage (technique de nettoyage des canalisations), nettoyage des voiries, arrosage des espaces verts, lavage des bateaux dans les ports, mais aussi des métros, bus et tramways. « Cela n'a pas de sens de le faire avec de l'eau potable », estime-t-il.
Une question de sobriété
Mais, au-delà de l'impact sur l'environnement, c'est la question même de notre consommation d'eau qui se pose, pour Christophe Poupard, à travers le sujet de son recyclage.
« Si la réutilisation est une solution technologique qui peut avoir sa place dans certains cas, notamment sur le littoral, on doit, en amont, se poser la question de la sobriété et de nos usages. Pour le nettoyage de la voirie par exemple, avant de penser à utiliser de l'eau recyclée, il faut s'interroger sur la nécessité de nettoyer autant, notamment après qu'il ait plu », explique-t-il.
Il regrette que « souvent les acteurs ont tendance à se dire : "je veux faire comme avant", alors qu'il vaudrait mieux se dire "comment je peux réduire mes besoins". Et, une fois que c'est fait : "est-ce que j'ai besoin d'eau issue de la réutilisation et pour quel usage" ». Un raisonnement qui risque fort de s'imposer au vu des records de chaleur enregistré ces derniers mois et années.
Sujets les + commentés