Bio : « Les producteurs font de l'apnée » (Laure Verdeau, Agence bio)

INTERVIEW. Face au rétrécissement du marché des aliments bio, les agriculteurs ont jusqu'à présent serré les dents. Mais si les consommateurs ne recommencent pas à manger bio, les déconversions risquent de croître, craint Laure Verdeau, directrice de l'Agence Bio. Et ce, malgré tout l'argent investi.
Giulietta Gamberini
« L'enjeu n'est pas tellement le pouvoir d'achat, puisque la majorité des Français consentent à payer ce dont ils perçoivent l'avantage. Le problème est plutôt le bio-bashing, ainsi que la concurrence de produits qui se targuent faussement d'être écologiques », analyse Laure Verdeau.
« L'enjeu n'est pas tellement le pouvoir d'achat, puisque la majorité des Français consentent à payer ce dont ils perçoivent l'avantage. Le problème est plutôt le bio-bashing, ainsi que la concurrence de produits qui se targuent faussement d'être écologiques », analyse Laure Verdeau. (Crédits : Agence Bio)

Alors que l'inflation, bien qu'en baisse, se situait toujours à 4,9% sur un an en septembre, les ventes de bio souffrent. Le marché est ainsi tombé à douze milliards d'euros l'an passé, soit un recul de -4,6 %, selon les chiffres de l'Agence Bio présentés le 1er juin dernier. Pour La Tribune, sa directrice, Laure Verdeau, décrypte les causes et conséquences de ce phénomène.

LA TRIBUNE - Quelle est la part du bio actuelle dans l'alimentation des Français ?

LAURE VERDEAU - En 2022, la part du bio dans la consommation alimentaire des ménages s'élevait à 6,1%: un chiffre en repli par rapport à 2021, lorsqu'il atteignait 6,7%. Or, dans son Plan stratégique déclinant la Politique agricole commune (PAC) au niveau national, afin de réduire sa dépendance des engrais de synthèse et donc son empreinte carbone, la France se fixe comme objectif d'atteindre 18% de sa surface agricole utile (SAU) en agriculture biologique en 2027, et 21% en 2030. Aujourd'hui nous sommes à 10,8%.

Cela correspond à un doublement, et signifie donc que pour atteindre cet objectif, il faut que les Français mangent au moins 12% de bio. C'est possible: les Danois, les Autrichiens, les Suédois et même les Allemands mangent bien plus bio que nous.

Dans ce contexte, comment vont les producteurs?

Jusqu'à présent, ils ont pu faire de l'apnée. Ils se sont accrochés à l'espoir que la consommation de bio s'améliorerait de nouveau. Les coopératives ont mis en place des systèmes de péréquation. Même si les conversions ont été freinées, il n'y a pas encore eu de boom des déconversions: elles sont passées de 4 à 6% entre 2021 et 2022. La moitié sont des gens qui restent agriculteurs, mais qui reviennent à l'utilisation de pesticides.

Les consommateurs tardent toutefois à revenir. Il y a donc une grosse frustration. Or, si on repasse en dessous du seuil de 10% de SAU en bio, on ne parviendra pas à tenir les objectifs, et on aura gaspillé l'argent investi dans les conversions. Il est temps que les agriculteurs bio soient rémunérés pour les services rendus à l'environnement. En sachant que 40% des projets d'installation sont en bio, l'enjeu est aussi celui du remplacement de la moitié des agriculteurs français qui partiront à la retraite dans la prochaine décennie.

Au début de la flambée de l'inflation alimentaire, vous espériez que la réduction des écarts de prix entre le bio et le conventionnel joue en faveur du premier. Avez-vous sous-estimé l'impact de l'inflation sur le pouvoir d'achat et le comportement des consommateurs?

Non, car on voit que certains produits alimentaires très chers perdent moins de marché que les produits bio. Il n'y a pas eu d'effondrement de l'eau en bouteille par exemple. Les produits locaux, malgré des prix plus élevés, sont en croissance. Les produits à « haute valeur environnementale » (HVE) ou avec « zéro résidus de pesticides » se vendent aussi toujours bien.

Certes, 10 millions de Français se sont retrouvés en précarité alimentaire. Face à leurs difficultés, la seule solution est de mettre en place des chèques alimentaires permettant d'acheter des produits bio. Mais pour les autres Français, l'enjeu n'est pas tellement le pouvoir d'achat, puisqu'ils consentent à payer ce dont ils perçoivent l'avantage.

De plus, l'inflation des aliments bio est moins forte que l'inflation alimentaire globale. Le problème est plutôt le bio-bashing, ainsi que la concurrence de produits qui se targuent faussement d'être écologiques. On a l'impression que les gens ont fermé la parenthèse bio, alors même qu'on n'en a jamais eu autant besoin pour l'environnement.

Lire aussiGuerre en Ukraine: pourquoi les produits « bio » pourraient moins souffrir de la hausse des prix

Dans quelle mesure le déférencement que le bio subit dans la grande distribution, qui représente 53% du marché, contribue-t-il à sa dégringolade?

Au début, il a été causé par une baisse de la demande. Mais là on commence à rentrer dans la spirale où la diminution de l'offre renforce celle de la demande. D'autant plus que les produits bio sont de plus en plus éparpillés dans tous les rayons, et que la baisse de leurs prix en gros n'entraîne pas de diminution de ceux en rayons: les distributeurs s'en servent pour faire plus de marge.

Sur quels leviers misez-vous aujourd'hui pour sortir de l'impasse?

Le marché bio en France dépend trop -- à 92% -- de la consommation à domicile. C'est d'ailleurs pour cela que la consommation bio a très bien survécu aux confinements pendant la crise sanitaire liée au Covid. Grâce à des financements européens, nous tentons donc de développer le bio dans les 170.000 restaurants français qui aujourd'hui n'achètent que 1% d'aliments bio. L'objectif est de faire connaître des chefs qui mettent déjà du bio dans leurs assiettes et de montrer que c'est rentable, puisque la matière première pèse entre 15% et 25% de l'équation économique d'un restaurant.

Quant à la restauration collective, où la consommation de bio est aujourd'hui inférieure à 7%, l'enjeu est d'atteindre l'objectif fixé par la loi Egalim pour le 1er janvier 2022: au moins 50% de produits durables et de qualité dans le public, dont au moins 20% de produits bio. Le gouvernement a annoncé au printemps que 120 millions d'euros y seront consacrés.

La vente directe était aussi prometteuse...

Oui, elle a continué de croître en 2022, mais selon notre bilan de mi-année ce n'est plus le cas, peut-être à cause de l'envolée des prix du carburant qui découragent les déplacements dans les fermes. L'artisanat en revanche (boulangers, bouchers, primeurs etc.) est le seul segment de vente en croissance.

Face à la multiplication de l'offre d'aliments « vertueux » et à la confusion des consommateurs, comment allez-vous communiquer?

Avec les interprofessions, nous avons lancé une campagne publicitaire en plusieurs vagues depuis 2022. Selon les études d'impact que nous avons effectuées, elle a bien marché, en générant un chiffre d'affaires supplémentaire pendant le déploiement de la campagne, ainsi qu'une meilleure compréhension de notre label.

Le gouvernement vient de nous confirmer que l'Agence Bio va disposer pendant trois ans de 5 millions d'euros par an pour l'expansion de cette campagne. Nous allons enfin pouvoir nous projeter et développer une stratégie pluriannuelle, en travaillant en coordination avec des régions, des métropoles, des distributeurs, des industriels de l'agroalimentaire.

Les interprofessions représentent pourtant aussi des producteurs non bio. Comment promouvoir avec elles le bio?

En insistant sur les éléments factuels. Le premier, incontestable, c'est que l'agriculture bio régénère la biodiversité. Le deuxième est le cahier des charges du label bio: zéro pesticides de synthèse, zéro OGM, 100% des exploitations contrôlées au moins chaque année. Nous avons aussi décidé d'insister davantage sur le local, puisque la France est la première nation productrice de bio en Europe.

Que faire d'autre?

Nous devons aussi améliorer les suivis des chiffres, en objectivant notamment celui des prix en dehors de la grande distribution. Mais l'Observatoire des prix et des marges n'en a pas les moyens aujourd'hui.

Il faut en outre faire évoluer les critères du fonds avenir bio, qui depuis 15 ans a bien contribué à la structuration des filières. Aujourd'hui il est un fonds de croissance, mais il doit devenir plus souple pour pouvoir jouer le rôle de fonds de consolidation dans les périodes de ralentissement.

Giulietta Gamberini

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 5
à écrit le 12/10/2023 à 10:11
Signaler
Critiquer le bio sous l'angle purement économique est une "ânerie ". Si on ne comprend pas que le bio c'est la diversité et la sauvegarde de la planète et que l'agriculture conventionnelle est une autre "ânerie" qui détruit et stérilise les sols, alo...

à écrit le 12/10/2023 à 9:52
Signaler
Et encore des gens qui vont réclamer des aides de l'État, au regard de la traçabilité quasi inexistante de ce marché et du prix de ses produits on comprend que les consommateurs qui en ont ras le bol d'être pris pour des pigeons s'en détournent. Les...

à écrit le 12/10/2023 à 9:45
Signaler
le bio n est il pas victime d une indigestion de labels qui ne profite guère aux paysans ? trop de bio tue le bio ! de toute façon la défiance du consommateur est bien ancrée.

à écrit le 12/10/2023 à 9:05
Signaler
parfait, quand on arrete de respirer car on est en apnee, ca degage moins de co2, donc moins de rechauffement climatique, comme on dit chez les gens qui se collent la main sur les auoroutes avec tolerance!

à écrit le 12/10/2023 à 8:49
Signaler
"Et ce, malgré tout l'argent investi." LOL ! Non il n'y a eu largement pas assez d'argent investi justement et cette crise en est bien la preuve, quand on ne veut pas on ne peut pas.

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.