Alimentation durable : le rendez-vous manqué de la grande distribution

Situées au centre de la chaîne de valeur alimentaire, les enseignes de la grande distribution pourraient orienter leurs fournisseurs et leurs consommateurs vers une consommation plus durable. Elles restent toutefois coincées par un modèle économique qui laisse trop peu de place à l'offre de produits végétaux issus de modes de production agroécologique, relève une étude récente.
Giulietta Gamberini
La vente de produits animaux continue d'être centrale dans les supermarchés. Certains, comme la charcuterie ou la volaille « figurent parmi les rares rayons profitables d'un magasin, et compensent ainsi les pertes des autres rayons ».
La vente de produits animaux continue d'être centrale dans les supermarchés. Certains, comme la charcuterie ou la volaille « figurent parmi les rares rayons profitables d'un magasin, et compensent ainsi les pertes des autres rayons ». (Crédits : ERIC GAILLARD)

Face à l'enjeu titanesque de la transition vers une alimentation plus durable, saine et accessible, les grands distributeurs pourraient jouer un rôle central. Ils peinent toutefois encore à l'assumer, alerte l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), dans une étude publiée en septembre.

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Au total, 20% des émissions de gaz à effet de serre totales de l'Union européenne leur sont imputables, selon une estimation du cabinet McKinsey datant de 2022. Or, les engagements des enseignes portent essentiellement sur 5% de cet ensemble dont elles sont directement responsables (scopes 1 et 2), liées par exemple au refroidissement des rayons. Ils négligent en revanche les 95% restants, dépendants des modes de production et des pratiques de consommation, relève l'Iddri.

Entre les producteurs et les consommateurs

La capacité des grands distributeurs à influencer leurs fournisseurs, comme leurs clients, est pourtant considérable, note le think tank. Ils opèrent au centre de la chaîne de valeur alimentaire, entre les producteurs agricoles et industriels et les consommateurs. Leur pouvoir est accru par leur concentration autour de quelques grands groupes, qui captent la grande majorité des ventes alimentaires.

Dans d'autres domaines, les enseignes usent d'ailleurs bien de leur pouvoir. Preuve en est la multiplication de leurs exigences vis-à-vis des agriculteurs et des transformateurs - jusqu'au développement de leurs propres marques de distributeurs (MDD). Au moment de la flambée de l'inflation alimentaire, les enseignes n'hésitent par ailleurs pas à se présenter comme les porte-parole des ménages, en clamant leur responsabilité dans la défense du pouvoir d'achat et en exigeant de leurs fournisseurs une baisse de leurs tarifs.

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Des produits bio déréférencés

Malgré cette force de frappe potentielle, leur offre d'aliments sains et durables reste très limitée. Les protéines végétales restent sous-représentées dans les rayons des supermarchés, et les produits issus de modes de production durable minoritaires. Les aliments bio sont même de plus en plus déréférencés, ce qui aggrave les récentes difficultés de la filière.

Les politiques des grandes enseignes de placement en rayon, de promotion ou de marge ne favorisent pas l'offre durable. Et les marques des distributeurs (MDD) ne font pas mieux.

« Plus encore, les distributeurs adoptent, parfois, une attitude qualifiée par des scientifiques d'"éco-défensive" lorsqu'il s'agit de ralentir la mise en place de régulations à but environnemental », déplore l'Iddri.

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Une dépendance des marques nationales

Des obstacles inhérents au fonctionnement de la grande distribution expliquent en partie ce manque d'implication, estime l'Iddri. Tout d'abord, la dépendance du commerce des plus grandes marques nationales, qui représente quasiment la moitié des ventes dans les magasins. Mais aussi, le rôle central de la vente de produits animaux, dont certains, comme la charcuterie ou la volaille « figurent parmi les rares rayons profitables d'un magasin, et compensent ainsi les pertes des autres rayons ».

Ce deuxième facteur de vulnérabilité n'est d'ailleurs pas encore suffisamment exploré par les grands distributeurs. Et ce, malgré la croissance des coûts de production, des risques sanitaires, des enjeux réputationnels et des réglementations pesant sur les produits animaux, pointe l'étude.

« Dans ce contexte, l'intervention de la puissance publique est indispensable », afin d'accélérer la transformation du secteur, estime donc l'Iddri, « au-delà d'une seule logique concurrentielle bien insuffisante pour rendre possible des mesures ambitieuses »

Parmi les mesures proposées figurent la fixation de pourcentages minimums de produits issus de l'agroécologie dans les rayons, et la reformulation des aliments en MDD pour qu'ils soient plus sains et durables. L'Iddri plaide également en faveur d'une communication annuelle des marges brutes retenues sur les divers types de produits aux pouvoirs publics, et le plafonnement de celles pratiquées sur des produits durables.

« La Stratégie nationale alimentation, nutrition, climat (SNANC) est une excellente opportunité pour commencer à planifier, d'ici à 2030, sa contribution (de la grande distribution, ndlr) aux objectifs environnement et santé tout en accompagnant le secteur face aux défis posés par la transition », préconise le think tank.

Giulietta Gamberini

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