« Chez SEB, notre stratégie est de fabriquer le haut-de-gamme en France » (Thierry de La Tour d'Artaise)

Bourgogne, Haute-Savoie, Isère, Bretagne, Normandie, Mayenne… Avec ses 11 unités de production aux quatre coins de l’Hexagone, le leader mondial du petit électroménager est l’un des fleurons de l’industrie française. L’entreprise familiale, qui a su rester sur le territoire, y emploie aujourd’hui 6 000 collaborateurs. En ligne de fond, une stratégie Made in France bien précise. Thierry de La Tour d’Artaise, le PDG du groupe SEB, la décrypte pour La Tribune. (Cet article est issu de T La Revue n°16 - Réindustrialiser et décarboner la France)
(Crédits : © Groupe SEB)

Le groupe SEB a la particularité d'avoir résisté au mouvement de délocalisation qu'a connu la France dans les années 2000. Comment avez-vous travaillé pour y parvenir ?

Thierry de La Tour d'Artaise Pour comprendre la façon dont nous nous sommes positionnés, je voudrais d'abord faire un détour par l'histoire. Il est nécessaire de rappeler que juste après la Seconde Guerre mondiale, la reconstruction fut la clé pour l'Europe, tandis que les États-Unis vivaient, eux, l'essor économique avec les Trente Glorieuses. C'est à ce moment-là qu'un nouveau monde se crée et se dessine. Pourquoi parler de cela ? Parce que c'est une période très importante pour le développement de l'industrie. Cette industrialisation va alors de pair avec la moyennisation des sociétés dans leur ensemble. Le développement des classes moyennes induit que les populations cherchent alors à se faciliter la vie dans les tâches quotidiennes. C'est à ce besoin que SEB va répondre en fournissant tout un électroménager pratique. Les lieux de production sont alors les mêmes que les lieux de consommation. Chaque pays produit ce que sa population consomme.

Par la suite, ce développement de la moyennisation est assuré par celui de la distribution moderne avec Walmart aux États-Unis et Carrefour en France. Reste que cette distribution de masse va s'accompagner d'une course toujours plus importante pour vendre le moins cher possible. Le fameux 9,99 dollars de Walmart. Ce mouvement enclenché de courses au prix moins cher engendre une plus forte pression sur les fabricants, puis, inévitablement des restructurations et des délocalisations. Aux États-Unis, ce fut d'abord vers le Mexique. Puis vers l'Asie, notamment la Chine. Les Américains décident alors non pas de transférer les usines en Chine, mais, au contraire, d'arrêter la production de certains biens de consommation pour la laisser à la Chine. C'est ainsi que la Chine va se mettre à produire des machines à café ou des bouilloires.

Inévitablement, ce mouvement a deux conséquences : l'industrie américaine se paupérise, et le marché américain devient simplement motivé par une question de prix. Aujourd'hui encore, le prix moyen d'un fer à repasser aux États-Unis est moitié moins cher qu'en Europe. Chez nous, notre industrie a tenu plus longtemps. Jusqu'au début des années 2000. Puis, tout le monde délocalise, tant et si bien qu'en 2004, le prix de revient d'une cafetière, d'un grille-pain et d'une bouilloire, le fameux set « petit-déjeuner » passe de 20 euros à 4,99 euros. C'est l'effet production en Chine.

Dans ce contexte quelle a été la stratégie de SEB pour rester en France ?

T. T.-A. SEB est un groupe familial depuis 165 ans maintenant. Nous sommes côtés à la Bourse de Paris depuis 1975, mais l'actionnaire familial est toujours là, la sixième génération est en train de passer la main à la septième et possède plus de la moitié des droits de vote. Cela permet une vision de long terme qui change la donne. Tant stratégique que sociale.

Dans ce contexte, nous avons choisi de sortir des difficultés par le haut, car il était clair que nous ne pourrions jamais concurrencer la Chine par les prix. Nous avons donc fortement augmenté nos dépenses sur l'innovation et la recherche, persuadés que nous devions spécialiser nos sites français sur des produits à forte valeur ajoutée (générateurs de vapeur, fer à repasser avec un réservoir séparé, cafetière full automate, etc.). Produits que l'on peut fabriquer en Europe puisque le prix de vente en est élevé. Ces produits haut-de-gamme correspondent aux envies de la population. Car même si le consommateur moderne a tout en général, il n'hésite pas à s'offrir le meilleur quand cela répond à une passion. Il sait faire l'arbitrage sur ses dépenses.

De fait, nos sites dans les pays matures ont été complètement pensés et organisés dans cette optique. En parallèle de cette stratégie axée sur le haut-de-gamme, nous avons décidé de sortir les produits d'entrée de gamme de France pour les faire produire en Chine car sur ce créneau la bataille n'était plus gagnable. En résumé, les profits de ce qui est produit et vendu en Chine est aussi un moyen de financer notre R&D ici. L'idée globale derrière cela est aussi que les usines produisent pour le territoire sur lequel elles évoluent. Ainsi, elles sont calibrées en fonction de la maturité et des caractéristiques d'un marché. En Chine, nos produits sont destinés à accompagner la moyennisation globale de la population, ils ne sont pas les mêmes que ceux qui sont vendus dans les pays matures. C'est cette façon d'adapter la production à la consommation locale qui permet à SEB d'être compétitif.

L'autre élément important pour SEB n'est-il pas l'économie circulaire ?

T. T.-A. SEB a toujours réparé les produits. Notre ADN vient de la réparation et la durabilité, sans doute parce que notre fondateur était un réparateur de poêle ambulant. Le Groupe s'est toujours battu pour réparer. Cela signifie que l'on conçoit des produits pour qu'ils puissent durer et être réparés. Pour cela, ils nécessitent une plus grande valeur ajoutée car ils ne sont pas construits avec des sous-ensembles, mais avec des éléments précis qui possèdent chacun des spécificités. Pendant longtemps, les gens nous ont ri au nez, voire nous ont vilipendés pour cela. Puis les temps ont commencé à changer et la société de consommation s'est vue pointée du doigt. La perception et l'air du temps ont considérablement évolué aujourd'hui. Il existe une réelle prise de conscience du gaspillage inhérent à nos sociétés contemporaines, d'où l'émergence et l'importance de l'économie circulaire. Aujourd'hui, le consommateur ne veut plus jeter. On peut dire que nous étions en avance sur notre temps. Nous continuons bien sûr d'entretenir notre réseau de réparateurs agréés, nous avons ouvert un lieu dédié, RepareSeb, dans le 18e arrondissement de Paris.

Plus globalement, quel regard portez-vous sur l'objectif de réindustrialisation de la France ?

T. T.-A. D'abord, il serait intéressant que ceux qui sont partis complètement reviennent. Nous nous sentirions moins seuls. Plus sérieusement, je considère qu'une nation ne peut absolument pas vivre sans industrie. Les services ne se développent réellement que lorsque l'industrie est à côté et qu'elle amène dans les territoires une activité et des besoins. Ceci dit, il apparaît fondamental de rendre l'industrie hexagonale toujours plus compétitive. Cela passera forcément par une diminution des dépenses de l'État afin d'alléger les impôts des entreprises et des contribuables. Ensuite, la réindustrialisation passera nécessairement par le fait de récréer des filières qui ont disparu. De nouvelles filières - notamment celle des batteries électriques - doivent être encouragées. Chaque entreprise ne pourra pas le faire seul. L'État peut aider et y participer sur un moyen terme. Je pense qu'il convient aussi de favoriser la R&D. Le crédit emploi recherche va dans le bon sens.

En revanche, je crois qu'il faut être très clair sur le fait que la France n'a pas vocation à fabriquer des produits basiques. Cela ne correspond pas à l'économie française. Aujourd'hui, c'est la tâche des pays émergents, et c'est ce qui les fera sortir de la misère et les conduira vers la moyennisation. La Chine, par exemple, aimerait faire passer ses classes moyennes de 400 millions à 800 millions d'individus. Pour cela, il faut augmenter leurs salaires, ce qui induira une montée en gamme des produits qu'ils consommeront, tandis que les produits basiques, eux, iront vers d'autres pays moins avancés.

En France, l'industrie souffre d'une mauvaise image. Dans l'inconscient collectif, l'évocation d'un site industriel rappelle encore très souvent celle d'une ambiance façon Germinal de Zola. L'industrie ne fait plus rêver. Comment développer le secteur s'il manque de main-d'œuvre qualifiée ?

T. T.-A. Il appartient à tous les acteurs de montrer que l'industrie ce n'est plus cela. L'industrie décarbonée c'est une réalité. C'est l'un des grands enjeux du XXIe siècle. Sur ce point, SEB a mis en place un plan ambitieux de décarbonation. Nous serons zéro carbone en 2050.

Il faut rappeler également que l'apport des robots a été considérable dans la moindre pénibilité du travail. Ajouter que les carrières dans l'industrie peuvent être très intéressantes, avec des salaires plus importants et des perspectives d'évolution qui sont variées. Insister sur le fait que l'enseignement professionnel ne doit plus être décrié comme il l'est actuellement et que la féminisation de nos métiers constitue un défi important. Enfin, l'industrie ce n'est pas seulement l'usine. Nous avons plus de cent filières de métiers différentes. L'usine est l'une d'entre elles, mais pas la seule. Nous devons changer la vision de l'industrie. Tout le monde doit s'y mettre.

......................................................................................................................................

T16

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 4
à écrit le 08/10/2023 à 11:16
Signaler
En tout cas c est le seul à été encore là .. son concurrent moulinex à sombré Fait faillite il y a 20 ans … Donc sa stratégie est la bonne .. les gens confondent les années 60-70 a l équipement bon marché pour tous alors d’où aujourd’hui nous ...

à écrit le 07/10/2023 à 12:29
Signaler
"aux quatre coins de l’Hexagone" voire les 6 coins. J'avais un fer à repasser Seb mais l'ai donné à Emmaüs, car n'en ayant plus l'usage (les affaires suspendues à la sortie de la machine ça suffit) même si y a des gens qui repassent tout (maniaques ...

à écrit le 07/10/2023 à 9:13
Signaler
L'automobile a dit la même chose en 2005 et 20 ans Haut de gamme en France. 20 ans après, la production en France a été divisé par 3 et la balance commerciale clairement déficitaire alors que c'etait un point fort de l'économie française. Comparons s...

le 07/10/2023 à 11:50
Signaler
Ah non, en 2005, Carlos Ghosn avait décrété que la devise de Renault ne devait plus être "créateur d'automobile", mais "vendeur de voitures", d'où des voitures au design fade et l'apparition des Dacia mélangées aux Renault dans les concessions, ce qu...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.