LVMH, Hermès...Quand l’industrie du luxe redynamise les territoires

Cette industrie, qui pèse autant que l’aéronautique dans les exportations du pays, réussit non seulement la prouesse de projeter le prestige français à travers le monde, mais en plus, elle le fait souvent à partir d’une petite ville, voire d’un village. Les grandes marques s’implantent en effet de plus en plus dans les campagnes. Explications. (Cet article est issu de T La Revue n°16 - Réindustrialiser et décarboner la France)
Le joaillier Van Cleef & Arpels a annoncé l’ouverture de deux nouveaux sites de fabrication en 2026, dans la Drôme, à Châteauneuf-sur-Isère, et dans le Puy-de-Dôme, en banlieue de Thiers, avec à la clé la création de quelque 600 emplois au total.
Le joaillier Van Cleef & Arpels a annoncé l’ouverture de deux nouveaux sites de fabrication en 2026, dans la Drôme, à Châteauneuf-sur-Isère, et dans le Puy-de-Dôme, en banlieue de Thiers, avec à la clé la création de quelque 600 emplois au total. (Crédits : Van Cleef & Arpels)

Les touristes (fortunés) qui font la queue devant la boutique de Louis Vuitton, aux Champs-Élysées, ne savent pas forcément où le sac tant convoité a été fabriqué. Ce qu'ils veulent avant tout, et surtout s'ils sont sur place, c'est acheter un produit « Made in France » - symbole de raffinement, de savoir-faire et de tradition. Bref, de luxe... Que ce soit dans la maroquinerie, la parfumerie, le tissage de la soie, la joaillerie ou l'assemblage des champagnes et du cognac, l'industrie du luxe, qui compte nombre de leaders en France - sur les 270 marques dans le monde, 130 sont françaises - et contribue autant que la construction aéronautique et spatiale aux exportations de l'Hexagone, s'inscrit dans l'histoire. Avec, au XVIIe siècle, la volonté de Colbert, ministre de Louis XIV, de créer des manufactures, de soieries et de porcelaines, notamment, pour ne plus les importer à grands frais...

« Nous avons la chance d'être dans un pays aux savoir-faire prestigieux. Il ne s'agit pas de considérer cela comme une évidence, mais de le préserver », déclare Bénédicte Epinay, déléguée générale/CEO du Comité Colbert, qui regroupe, depuis sa création, en 1954, à l'initiative du parfumeur Guerlain, les maisons françaises de luxe, et compte 93 maisons et 17 institutions culturelles aujourd'hui.

Écosystèmes en région

Et la stratégie, pour préserver ces savoir-faire, passe par l'implantation en région... La raison en est simple : les entreprises spécialisées s'y trouvent et, avec elles, les compétences et les activités secondaires nécessaires. C'est ainsi le cas de la Vallée de la Bresle, en Seine-Maritime, baptisée Glass Vallée, du fait que, depuis le XVIIe siècle et même avant, les artisans verriers s'y sont installés. Aujourd'hui, c'est le fief du flaconnage de luxe, produisant 70 % de l'ensemble des flacons de luxe en verre vendus dans le monde. Quant à la Cosmetic Valley, autour de Chartres, c'est une référence européenne et mondiale, grâce au développement d'une expertise pointue, de la culture des plantes aux produits finis. De même, depuis l'époque gallo-romaine, des mines ont été exploitées autour de Lyon, donnant naissance à une filière de bijouterie-joaillerie toujours florissante. La maroquinerie, elle, s'est implantée dans plusieurs régions, de l'Auvergne-Rhône-Alpes à la Nouvelle Aquitaine en passant par l'Occitanie, jusque dans l'Anjou et le Choletais. Et les traditions y restent bien ancrées. « Logiquement, les grandes marques vont là où se trouvent les écosystèmes complets - produits bruts, emballages, etc. -, de même que les compétences, grâce en particulier à la formation dans des lycées professionnels locaux », poursuit Bénédicte Epinay.

Le luxe se portant à merveille, les grands groupes ne cessent d'ouvrir de nouveaux ateliers. Ainsi, après avoir construit une maroquinerie à Beaulieu-sur-Layon (Maine-et-Loire), près d'Angers, en 2019, Louis Vuitton a inauguré, en présence de Bernard Arnault, le PDG de LVMH (Louis Vuitton Moët Hennessy), et du ministre de l'Économie, Bruno Le Maire, deux nouveaux sites de production dans le Loir-et-Cher, en février 2022. Le premier, à Vendôme (15 000 habitants), l'autre à quelques kilomètres, à Azé, un village d'un millier d'habitants. Les deux lieux devraient accueillir 500 salariés au total. Ils portent ainsi à 18 le nombre d'ateliers Louis Vuitton en France. La marque avait en effet également ouvert une troisième usine à Saint-Pourçain-sur-Sioule, dans l'Allier, en 2019, après un premier établissement, en 1991, puis un deuxième, en 1995, en bénéficiant notamment du savoir-faire des ouvriers d'une usine de chaussures Bally, fermée entre-temps, et auxquels elle a redonné un emploi.

De son côté, Hermès a inauguré, en avril de cette année, une nouvelle manufacture (sa 21e) dans l'Eure, à Louviers (20 000 habitants), sur le site d'une usine de pressage de disques vinyle de Philips, fermée il y a plus de dix ans en détruisant au passage 700 emplois. Le nouvel atelier a déjà embauché 170 personnes, un chiffre qui devrait s'élever à 260 dans les prochains mois. En outre, la marque a annoncé l'implantation, à Charleville-Mézières, d'un troisième site de production dans les Ardennes, après celui de Bogny-sur-Meuse (en 2004) et de Tournes (en 2019). Le nouvel atelier prendra la place d'une ancienne fonderie, devenue friche industrielle. Autre exemple, enfin, le joaillier de luxe Van Cleef & Arpels qui a annoncé au printemps l'ouverture, en 2026, de deux nouveaux sites de fabrication dans la Drôme, à Châteauneuf-sur-Isère, et dans le Puy-de-Dôme, en banlieue de Thiers, avec à la clé la création de quelque 600 emplois au total. Cette expansion du luxe est une aubaine pour des territoires décimés par la désindustrialisation. À cet égard, à une trentaine de kilomètres d'Angoulême, le cas de Montbron, un village charentais de 2 000 habitants où Hermès s'est installé en 2012, est emblématique. Après la disparition d'usines de textile et de chaussons à proximité, les habitants désertaient et les écoles fermaient. L'arrivée d'Hermès a tout changé. Et le village prospère aujourd'hui.

L'indispensable formation

« Un peu partout en région, nous travaillons avec Pôle emploi pour trouver des candidats à l'embauche, parfois des personnes en fin de droits ou en reconversion, précise Bénédicte Epinay. S'il faut des mois d'apprentissage pour devenir maroquinier, par exemple, la sélection se fait sans diplôme, sur un simple test d'aptitude, puis une formation. » Elle prend l'exemple d'une ancienne caissière, qui devait aller, en horaires décalés et le samedi, travailler à plusieurs dizaines de kilomètres de chez elle. Elle est désormais chargée de sélectionner, dans l'atelier de Montbron, les plus belles peaux pour les articles en cuir. Une tâche qui lui offre fierté - et liberté pour des week-ends en famille... « Le luxe apporte de vrais métiers et une ascension sociale », relève ainsi la dirigeante du Comité Colbert. Et les salariés sont fidèles. D'aucuns relèveront le manque d'opportunités dans certains territoires, qui favoriserait cette fidélité. Peut-être, mais il n'empêche que les postes offerts par l'industrie du luxe ont un sens pour ceux qui fabriquent, à la main, souvent du début à la fin, un bel objet. Par ailleurs, les marques se soucient de plus en plus de leur responsabilité sociale et environnementale. Un supplément d'âme pour les jeunes, en particulier. « Compte tenu du prix auquel les articles sont vendus, nos maisons savent qu'elles doivent être irréprochables dans ces domaines », tranche d'ailleurs Bénédicte Epinay.

Le manque de main-d'œuvre qualifiée reste néanmoins un frein à l'expansion de l'industrie du luxe. Au-delà des lycées professionnels locaux, les marques ont d'ailleurs leurs propres écoles de formation, afin de transmettre ce savoir-faire aux nouvelles générations. Hermès a ainsi créé un centre à Marthon (un village charentais de 500 habitants), le sixième du genre, à proximité de différents sites de production. Et alors que plusieurs autres ateliers Hermès sont déjà en chantier, à Riom (Puy-de-Dôme), pour une ouverture en 2024, à L'Isle-d'Espagnac (Charente), pour 2025, et à Loupes (Gironde), pour 2026, apportant une fois de plus des centaines d'emplois dans ces bourgades, la formation a déjà commencé, parfois avec l'aide d'artisans venus d'autres sites, comme ceux de Montbron. Une reconnaissance supplémentaire pour ces maroquiniers.

Au total, l'industrie du luxe, de la maroquinerie à la joaillerie, de la porcelaine aux arts de la table, avec Bernardaud, à Limoges, ou Christofle, à Yainville, en Normandie, a créé, entre 2021 et 2022, quelque 4 000 emplois. Elle devrait continuer de recruter dans les mois et les années qui viennent, puisque son expansion à travers la planète semble bien engagée. « Et un emploi dans l'un de ces ateliers génère, comme dans l'industrie, 1,5 emploi indirect et plus de trois emplois induits », précise Bénédicte Epinay. Une bénédiction, donc, pour les territoires, forcément sensibles au slogan de la filière : « Le luxe français est le plus ancien secteur d'avenir... »

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T16

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Commentaires 11
à écrit le 15/10/2023 à 9:05
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Herpès ! une autre idée du lucre...

à écrit le 14/10/2023 à 16:00
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Les partis politiques de notre gauche devraient dire merci à nos entrepreneurs du luxe pour le travail qu’ils fournissent dans notre pays profond

à écrit le 14/10/2023 à 13:05
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Un seul grand méchant capitaliste du luxe fait plus pour nos régions que tous les politiciens, fonctionnaires, macro-économistes, syndicalistes de ces cent dernières années.

à écrit le 14/10/2023 à 10:29
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vite, une supertaxe qui servira au rechauffement climatique, donc l'embauche de fonctionnaires territoriaux, pour te faire passer le gout de faire quoi que ce soit !!! et quand ca coule, zou, une manif contre la haine et pour la souverainete, et un g...

à écrit le 14/10/2023 à 9:01
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"qui pèse autant que l’aéronautique dans les exportations du pays," Sauf que le business aéronautique étant complètement subventionné par l'argent public compte pour que dalle du coup, tandis que le luxe lui repose sur une véritable volonté des clien...

le 14/10/2023 à 10:45
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@ dossier 51 ex « citoyen blasé « qui ne connaît pas son dossier : Airbus n est pas subventionné -voir definition- mais bénéficie de avances des états remboursables … donc rapporte bien de l argent mais surtout des emplois de la consommation etc …

le 14/10/2023 à 10:45
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@ dossier 51 ex « citoyen blasé « qui ne connaît pas son dossier : Airbus n est pas subventionné -voir definition- mais bénéficie de avances des états remboursables … donc rapporte bien de l argent mais surtout des emplois de la consommation etc …

le 14/10/2023 à 11:00
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@Réponse de. Des avances remboursables octroyées par un État souverain à un acteur du secteur privé, à des taux d'intérêt en deçà de ce qui seraient normalement exigés sur les marchés financiers (économie de marché) sont évidemment considérés comme u...

le 14/10/2023 à 11:33
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Si vous commencez par regarder sous l'angle des subventions vous constaterez vite que la moitié des activités économiques du pays sont subventionnées d'une manière ou d'une autre , on pense évidemment à l'agriculture mais vous avez aussi le btp , l...

le 14/10/2023 à 12:07
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Le carburant n'est pas subventionné ? Rien que ça combien de milliards ? Faut arrêter les gars, vos chimères ne convainquent plus que vous et c'est triste de n'être plus qu'un répondeur téléphonique. Je sais bien que l’essentiel de l'activité écon...

le 15/10/2023 à 20:55
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@Idx. Génial alors. La France a atteint le plein emploi avec un taux d'endettement enviable et un déficit budgétaire raisonnable. La productivité est au top depuis des années et, paraît-il, le pays est un enfer fiscal, ce qui expliquerait alors que t...

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