Sucre : le géant mondial français Tereos, dans le rouge, annonce un virage stratégique majeur

Le deuxième producteur mondial en volume, connu pour ses marques La Perruche et Beghin Say, accuse une perte nette de 133 millions d'euros pour l'exercice 2020-2021. Pour expliquer cette situation, la toute nouvelle direction invoque deux motifs très différents: de mauvaises récoltes betteravières en Europe et la stratégie commerciale de la direction précédente.
Jérôme Cristiani
Tereos, deuxième producteur mondial de sucre, a prévenu mercredi que la progression de ses résultats opérationnels devrait marquer une pause au cours du premier semestre de son exercice 2021-2022.
Tereos, deuxième producteur mondial de sucre, a prévenu mercredi que la progression de ses résultats opérationnels "devrait marquer une pause" au cours du premier semestre de son exercice 2021-2022. (Crédits : PASCAL ROSSIGNOL)

La toute nouvelle direction de Tereos, deuxième producteur mondial de sucre, annonce dans un communiqué ce mercredi une perte nette de 133 millions d'euros sur l'exercice 2020/21, imputable pour plus de moitié à des dépréciations d'actifs. Le groupe avertit que la progression de ses résultats opérationnels "devrait marquer une pause" au cours du premier semestre de son exercice 2021-2022.

En conséquence, le groupe estime que son objectif précédemment communiqué d'un Ebitda entre 600 millions et 700 millions d'euros ne sera pas atteint dans les temps initialement prévue, mais "avec deux trimestres de décalage, soit à fin septembre 2022 sur 12 mois glissants".

Toutefois la coopérative sucrière, connue pour ses marques La Perruche et Beghin Say, rassure sur l'avenir en annonçant la reprise de la croissance de ses résultats opérationnels pour le second semestre de l'exercice en cours.

De fait, il indique que son Ebitda ajusté consolidé a progressé de 11% à 465 millions d'euros grâce notamment au redressement des prix du sucre européen et à l'amélioration des cours du sucre mondial et des prix de l'alcool/éthanol, mais également par une campagne record au Brésil, et la baisse des coûts d'énergie en Europe.

Météo et bio-agresseurs ont fait chuter les récoltes en Europe (-26%)

Pour expliquer les mauvais résultats actuels, la toute nouvelle direction arrivée au pouvoir fin 2020 dans des circonstances épiques après des années d'âpres luttes internes, met en cause, certes des surcoûts liés à la gestion de la pandémie du Covid-19, mais surtout l'impact de la faible récolte betteravière en Europe ainsi que les conséquences de la stratégie commerciale amidon Europe mise en œuvre en 2020.

Les résultats en Europe ont souffert, particulièrement au T4, de la baisse des volumes vendus en raison de la mauvaise campagne betteravière et par la dégradation des marges sur les produits amylacés. Dans la liste des pays touchés, on notera que s'agissant de la France, "les impacts conjugués de fortes attaques de bio-agresseurs (jaunisse virale) et des conditions météorologiques défavorables ont entraîné une perte moyenne de rendement des coopérateurs Tereos de 26% par rapport à la moyenne des 5 dernières années avec de fortes disparités régionales".

Mise en cause de la stratégie commerciale de la direction précédente

Mais l'autre cause avancée par la nouvelle direction pour ces mauvais résultats est l'échec de la stratégie commerciale de l'équipe dirigeante précédente.

Pour mémoire, fin décembre, la direction a basculé brutalement à l'issue de trois ans de guerres intestines entre des coopérateurs et les dirigeants historiques. Gérard Clay, à la tête des planteurs rebelles, prenait la tête du conseil de surveillance, et Philippe de Raynal prenait les commandes du directoire, brisant la lignée des fondateurs en évinçant Alexis Duval (petit-fils du fondateur) qui avait régné pendant huit ans à la suite de son père.

Ce mercredi, la nouvelle direction affirme vouloir tourner "la page de sa stratégie de volume et de croissance externe", à l'origine de cette grave crise de gouvernance. Comme il l'avait indiqué à la mi-février, lors de la présentation des résultats du troisième trimestre, le groupe continue de faire du désendettement "l'une de ses priorités" et a précisé procéder "dans ce cadre" à "une revue du portefeuille d'actifs". Il s'est fixé comme objectif de faire passer sa dette nette sous les 2 milliards d'euros d'ici 2024, contre plus de 2,5 milliards actuellement.

"Ces audits vont nous permettre très prochainement de mettre en place un plan stratégique et ce plan stratégique, nous en avons besoin", a déclaré mercredi Gérard Clay.

Les "trois piliers" de la nouvelle stratégie

Pour améliorer sa rentabilité, le groupe entend s'appuyer sur ses "trois piliers stratégiques" : activités sucre et renouvelables en Europe et au Brésil et activités amidon, produits sucrants et renouvelables en Europe, "sur lesquels il entend consacrer la totalité de ses investissements futurs".

En revanche, hors de ces piliers et du "cœur du business" du groupe, "des options de cessions peuvent être étudiées et peuvent être réalisées", a prévenu le président du directoire Philippe de Raynal, en présentant les résultats annuels.

Révision de la stratégie de diversification et cap sur la rentabilité

Les divergences sur la stratégie de diversification internationale de la précédente direction ont beaucoup compté dans les désaccords qui ont conduit à une bataille judiciaire au sein même des instances de direction du groupe.

En effet avant même d'en prendre la tête en décembre dernier, les nouveaux dirigeants du groupe sucrier avaient exprimé de vives inquiétudes quant aux pertes générées par certaines activités internationales qu'ils estimaient non stratégiques.

Et depuis un certain temps, le sucrier chercherait à céder ses activités en Chine et en Roumanie afin d'alléger sa dette et d'augmenter sa rentabilité, selon Reuters. De fait, ce matin, le groupe qui compte 12.000 sociétaires et 23.000 collaborateurs dans 18 pays dont 4.000 salariés en France, a aussi dévoilé de nouveaux objectifs à l'horizon 2024, avec notamment une prévision de marge opérationnelle de 5%.

En Chine, se désengager à tout prix, même à perte

Tereos serait ainsi en pourparlers avancés avec son partenaire singapourien Wilmar International afin de vendre sa participation de 49% dans leur coentreprise d'amidon en Chine, ont affirmé à Reuters trois sources proches du dossier, dont une basée à Singapour.

Interrogé par l'AFP sur de potentiels désengagements en Asie évoqués dans des médias, Gérard Clay a répondu: "Aujourd'hui, on ne commente aucune situation particulière, que ce soit en Afrique, en Asie, en France ou ailleurs".

Si les deux groupes ont refusé de commenter, les discussions avec le géant de l'agroalimentaire seraient sur le point de se conclure, a indiqué une source à Reuters, ajoutant que la vente se ferait à perte pour le sucrier français.

En Roumanie, se séparer de la filiale en déficit constant

En Roumanie, Tereos chercherait également à mettre fin à ses activités déficitaires, a poursuivi l'une des trois sources de Reuters, appuyée par une autre. Le sucrier français avait racheté le producteur roumain de sucre de betterave Ludus en 2012. Depuis 2014, la filiale accuse des pertes chaque année. Une vente serait déjà à l'étude, ont déclaré deux sources proches du dossier.

Pas de fermetures d'usines à l'horizon, promet la nouvelle direction

S'agissant d'éventuelles fermetures d'usines, pour rappel, la toute nouvelle direction de Tereos avait écarté d'emblée la rumeur dès son arrivée en décembre dernier :

"Nous nous engageons, avec le conseil de surveillance et le directoire, à assurer la pérennité économique et humaine de Tereos. La performance et la compétence de la coopérative seront renforcées", avait indiqué Gérard Clay, tout nouveau président du conseil de surveillance dans un communiqué.

Gérard Clay, interrogé par l'AFP, avait précisé que ce n'était « absolument pas » à l'ordre du jour:

« L'enjeu du moment, c'est d'arriver à trouver les surfaces de betteraves pour saturer nos usines. »

En d'autres termes, la question des capacités inutilisées reste posée, et manifestement se trouve au centre de toutes les attentions en interne.

(avec Reuters et AFP)

Jérôme Cristiani

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Commentaires 3
à écrit le 02/06/2021 à 22:45
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Après s'être sucré, où va-t-il faire son beurre?

à écrit le 02/06/2021 à 16:56
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C'était bien la peine d'autoriser un insecticide ultra agressif pour "sauver" les betteraves... bon ensuite il y a réellement un changement d'habitude des consommateurs qui finissent par percuter sur les conséquences du sucre sur notre santé, la géné...

à écrit le 02/06/2021 à 14:36
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Il y a trop de sucre partout dans l'alimentation industrielle, les sodas. Il faudrait réduire en France la consommation de sucre de moitié pour éviter les problèmes d'obésité, de diabéte, les maladies cardio vasculaires.

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