Appel d'urgence dans les voitures : l'affaire qui pourrait coûter des milliards d'euros

Alors que sur le Vieux Continent, les opérateurs mobiles prévoient d'éteindre leurs réseaux 2G, jugés coûteux et énergivores, les constructeurs automobiles poussent pour les prolonger. Et pour cause, cette technologie sert au bon fonctionnement d'un système de communication d'urgence, présent dans plusieurs dizaines de millions de voitures, en cas d'accident de la route.
Le système eCall, l'appel d'urgence en cas d'accident, est installé dans plus de 36 millions de véhicules en Europe.
Le système eCall, l'appel d'urgence en cas d'accident, est installé dans plus de 36 millions de véhicules en Europe. (Crédits : Charles Platiau)

Le torchon brûle, en Europe, entre les opérateurs mobiles et les fabricants d'automobiles. Au cœur de leurs disputes figure le projet des champions des télécoms de fermer progressivement leurs vieux réseaux 2G, jugés obsolètes, coûteux et énergivores. En face, les constructeurs automobiles sont vent debout contre cette initiative. Ces réseaux servent au bon fonctionnement d'un système de communication d'urgence, baptisé « eCall », obligatoire depuis 2018 dans tous les véhicules.

Cette technologie est aujourd'hui installée dans plus de 36 millions de véhicules en Europe, selon la Plateforme automobile (PFA), principal syndicat automobile regroupant les constructeurs français. Il permet, de manière manuelle ou automatique, de joindre le 112 et d'appeler les secours en cas d'accident de la route. Ce système a l'avantage de fonctionner dans tous les pays du Vieux Continent, du moment qu'il existe de la 2G ou de la 3G. Le premier réseau a l'avantage, d'après les constructeurs automobiles, de proposer une meilleure couverture mobile que le second. Or en France, Orange, SFR et Bouygues Telecom ont prévu de fermer la 2G entre 2025 et 2026, et la 3G entre 2028 et 2029. Il en va globalement de même pour la plupart de leurs homologues européens.

Lire aussiAutomobile : l'Europe défie la Chine en lançant une enquête sur les subventions chinoises

Incohérence de Bruxelles

Au vu de l''urgence de la situation, l'affaire est, selon nos informations, récemment remontée à Bruxelles et aux oreilles de la Commission européenne. Les lobbies de l'automobile ont convaincu l'institution de se saisir du dossier. La commission a mandaté un cabinet d'étude, l'espagnol Idiada, pour mener une enquête sur les conséquences de la fin des réseaux 2G sur la filière automobile. Selon une source proche du dossier, celui-ci aurait conclu à la viabilité économique de conserver un réseau 2G par pays membre de l'UE afin de préserver eCall. Toujours selon nos informations, la Commission a ensuite pris contact avec les 27 gouvernements de l'union pour les sonder sur ces conclusions.

En France, elle a toqué à la porte du ministère de l'Economie et des Finances, et plus précisément auprès de la Direction générale des entreprises (DGE). Interrogé, Bercy souligne qu'officiellement, la France « n'a pas encore de position arbitrée » à ce sujet. Le ministère précise, aussi, que le gouvernement ne dispose d'aucun moyen légal pour empêcher les opérateurs d'éteindre leurs réseaux 2G ou 3G. « En clair, ces projets de fermetures relèvent d'opérations commerciales propres à chaque opérateur », nous dit-on. En coulisse, une source proche du dossier pointe la responsabilité de l'Europe, qui a traîné à valider la norme 4G, aujourd'hui référente en matière de communications. Même son de cloche du côté des constructeurs automobiles, qui pointent du doigt les incohérences de Bruxelles à ce sujet.

Interrogée, la Commission européenne se refuse à tout commentaire. Une source proche du dossier indique toutefois à La Tribune que le Code européen des communications électroniques ne permet pas d'obliger les Etats membres à conserver une technologie de réseau. Elle souligne, également, que garder la 2G « irait à l'encontre » de l'objectif de l'UE d'apporter à 5G dans toutes les zones peuplées d'ici à 2030. De fait, les fréquences aujourd'hui utilisées par la 2G ont vocation à être réutilisées pour améliorer la couverture 5G. Cela dit, selon cette même source, la possibilité du « maintien d'une couche de service 2G partagée minimale » dans chaque pays de l'UE fait partie des solutions envisagées par la Commission. Mais elle précise que « cette question relève de la compétence des Etats membres ».

Lire aussi5G : la révolution promise n'est pas au rendez-vous en Europe

Garder la 2G, une hérésie pour les opérateurs

Quoi qu'il en soit, l'affaire suscite l'ire des opérateurs télécoms. En France, celle-ci est gérée par le Comité stratégique de filière (CSF) des infrastructures numériques. Celui-ci rassemble les plus importants organismes professionnels du secteur, dont la Fédération française des télécoms (FFT), le lobby des Orange, SFR et autres Bouygues Telecom. Son état-major est, selon nos informations, très remonté.

« Cela fait des années qu'on interpelle les constructeurs automobiles pour leur dire de se préparer à la fermeture de la 2G et de la 3G, explique une source proche du comité. Tous les pays y vont ! Il y a 59 opérateurs dans le monde qui ont déjà arrêté la 2G, et 47 qui ont arrêté la 3G. C'est d'ailleurs ce qu'a fait la Slovaquie ce mois-ci. »

Lire aussiLa France entend renforcer sa souveraineté dans les réseaux mobiles

Mais d'après notre source proche du CSF, les constructeurs automobiles n'en ont fait qu'à leur tête. « Ils ont continué à remplir la baignoire, s'étrangle-t-elle. Ils ont continué à mettre en circulation des centaines de milliers de véhicules en Europe l'année dernière avec ces interfaces 2G et 3G. » Notre source déplore la volonté « de passer en force » de la filière automobile en passant par la Commission européenne, avec en particulier le puissant soutien des constructeurs allemands. À l'en croire, il n'existe pas de modèle économique viable pour conserver les réseaux 2G. « En 2022, eCall n'a généré que 6.800 appels en France, précise-t-elle. Comment voulez-vous bâtir une économie sur un volume aussi faible ? » Le CSF a, en outre, demandé à Idiada de lui fournir son étude, mais a essuyé un refus. Contacté, le cabinet espagnol n'a pas donné suite à nos sollicitations.

Les opérateurs télécoms soulignent que garder des réseaux 2G handicaperait l'industrie des télécoms. Le secteur y voit une hérésie environnementale, puisque ces réseaux consomment beaucoup plus d'énergie que ceux des générations suivantes. Un dirigeant d'un grand opérateur français ne mâche pas ses mots face à la perspective de garder la 2G : « Ce serait quand même très, très idiot », souffle-t-il, rappelant que le spectre radioéléctrique utilisé pour la 2G est « une ressource rare » et a vocation, à terme, à renforcer la couverture mobile en 5G.

Un nouveau eCall pour 2026

De son côté, le secteur automobile se défend. « Il n'est pas de la responsabilité des constructeurs automobiles de proposer des solutions », avait plaidé la PFA dans un document transmis aux autorités françaises en 2022. Car, sans le système eCall, la voiture ne peut pas être homologuée et, de fait, mise en circulation. Déjà en 2020, le syndicat assure avoir contacté les autorités, arguant que cette technologie pourrait bientôt devenir obsolète. Sans résultat. « Ça tourne en rond depuis deux ans », se désole Tony Jaux, directeur du programme véhicules connectés à la PFA. Une attente qui se paie tous les jours, puisqu'on estime à 10 millions le nombre de nouveaux véhicules équipés mis sur la route chaque année en Europe.

Récemment, une première solution a été apportée par l'Union européenne. Un texte, publié en février, oblige les constructeurs automobiles à intégrer un nouveau dispositif, appelé NG (pour « nouvelle génération ») eCall, sur la base du volontariat à partir de 2025, puis obligatoirement dans les nouveaux véhicules au 1er janvier 2026 et dans toutes les sorties d'usine à partir du 1er janvier 2027. Ce système utilisera désormais les réseaux 4G et 5G. Mais, d'ici-là, les constructeurs doivent toujours équiper les véhicules de l'ancienne version eCall. « Nous savons comment remplacer le système, mais nous n'avons pas le droit de le mettre avant 2025 », se désole un constructeur.

Lire aussiVoitures électriques : constructeurs, équipementiers et géants de la tech lancent un « Tinder » des logiciels automobiles

À cette incohérence s'ajoute une absence de réponse de la Commission quant au devenir des voitures déjà équipées du système eCall qui ne pourra plus fonctionner. Plusieurs choix sont possibles aujourd'hui : maintenir un réseau 2G ou 3G le temps que tous les véhicules soient équipés du nouveau système. « Certains véhicules ont une durée de vie de 15 ans, si on démarre à partir de 2026 avec les premières obligations de mettre en place le nouveau eCall, alors les réseaux 2G ou 3G devraient être maintenus jusqu'en 2041 », explique Tony Jaux. Autres hypothèses : remplacer les systèmes eCall dans les garages automobiles partout en Europe, ou supprimer l'obligation européenne de ce dispositif dans les véhicules.

Qui pour payer la facture ?

D'après un document technique fourni par la PFA en 2022, le coût du maintien des réseaux 2G reviendrait en moyenne à 46,1 millions d'euros par pays de l'UE chaque année, et 54,4 millions d'euros pour la 3G. En tout, cela coûterait donc, selon ce lobby, entre 1,2 milliard et 1,5 milliard d'euros par an à l'échelle européenne. Sachant que le PFA envisage de garder la 2G ou la 3G de 2026 à 2035.

Si, en revanche, la Commission opte pour l'option du changement des systèmes actuels eCall dans les 36 millions de véhicules concernés, cela reviendrait à 13 milliards d'euros, a chiffré le syndicat. Pour le calcul, le PFA a utilisé une moyenne de 362 euros par véhicule pour le remplacement de ce dispositif d'appel d'urgence.

« Au-delà du prix, c'est l'organisation autour qui m'inquiète. Il faut rappeler tous les véhicules, mais est-ce que les gens viendraient ? Et tout changement sur un véhicule dans un système lié à la sécurité doit être homologué pour sa remise en route. Cela signifierait qu'il faudrait homologuer des centaines voire des milliers de modèles de véhicules. De plus, nous n'avons aucun contrôle sur ce qu'il se passe en après-vente, donc il n'y a aucune garantie que le nouveau dispositif installé soit sécurisé », s'inquiète Tony Jaux.

Dans les deux cas, qui paiera ? Aucune des deux industries n'est décidée à passer à la caisse, tant les sommes sont pharaoniques. Il appartiendra donc à la prochaine Commission européenne de trancher ce conflit, qui prend de l'ampleur à mesure que la facture grossit.

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaires 22
à écrit le 04/04/2024 à 15:48
Signaler
Cette situation ubuesque montre une fois de plus que l'évolution technologique va trop vite par rapport à la capacité de la société de la suivre. Peut-être serait-il temps de remettre la charrue après les boeufs et de laisser la société décider de c...

à écrit le 28/03/2024 à 12:59
Signaler
Combien coûte une vie?

à écrit le 28/03/2024 à 11:07
Signaler
Dans un premier temps, on supprime e-call qui ne sert à rien. Dans un deuxième temps, on supprime la Commission européenne qui ne sert à rien.

à écrit le 27/03/2024 à 18:14
Signaler
Nos smartphones sont capables de fonctionner en 2G et je suppose, alors pourquoi ne pas faire un petit programme qui simule un opérateur local en 2G, et faire en sorte que lors du déclenchement d'un appel de détresse par la voiture, cet appel soit co...

le 27/03/2024 à 20:37
Signaler
Déjà on a pas tous un portable. Et même si on en avait tous on est moins de tous avoir un forfait data suffisant... Maintenant si l'état avait imposé à France Télécom de garder le déploiement et entretien des réseaux et les louait aux autres aujourd...

à écrit le 27/03/2024 à 11:52
Signaler
Ah ! ben mince alors ! Ma voiture (ancienne, mais d'extrême qualité) ne doit pas avoir ce dispositif, dont je n'ai jamais entendu parler... je regarderai si il y a un "bouton rouge", bien caché. Par ailleurs, mon GPS il est sur mon portable (et off l...

le 27/03/2024 à 18:23
Signaler
+1. Je ne connaissais même pas ce bidule. Présent sur ma voiture de 11 ans ?

à écrit le 27/03/2024 à 10:17
Signaler
Vous oubliez les utilisateurs comme je le suis ! pour vous faire simplement comprendre sans doute qu'il y a un % de gens qui l'utilise encore. "Garder la 2G, une hérésie pour les opérateurs" Je suis curieux de voir comment il est impossible de mainte...

à écrit le 27/03/2024 à 9:57
Signaler
Encore un truc obligatoire dont les technocrates de Bruxelles ont le secret. Si infimement utilisé c'est que cela n'est pas utile, il suffisait d'appliquer la loi de Paretto...Qui n 'a pas un tél portable de nos jours pour appeler? Je déteste être su...

à écrit le 27/03/2024 à 9:56
Signaler
🤪🤣 ‼️ L'UPR prône le FREXIT 🇲🇫🕊️📈🚀🙂

à écrit le 27/03/2024 à 9:51
Signaler
Encore un truc qu'on nous vend dont nous n'avons pas besoin. Ma 2cv.....

à écrit le 27/03/2024 à 9:44
Signaler
Maintenir la 2G est un vrai souci... C'est une technologie totalement trouée et les constructeurs automobiles n'ont qu'à changer la puce de leur modem ça serait bien mieux...

le 27/03/2024 à 10:26
Signaler
Non la volonté a mon avis est le transferts des coûts, c'est cela l'idée des opérateurs, c'est de facturer les constructeurs ! c'est juste une question de lobby et de coûts ! Se rappeler aussi que la bande passante de la 5G entre différents fabriqua...

à écrit le 27/03/2024 à 9:28
Signaler
"les fréquences aujourd'hui utilisées par la 2G ont vocation à être réutilisées pour améliorer la couverture 5G" comme Free avec l'ancienne bande 700MHz de la TV TNT analogique. Sachant qu'avec une porteuse à 900MHz ça sera difficile de fournir 900Mo...

le 27/03/2024 à 18:50
Signaler
oui mais plus la fréquence est basse et plus elle porte, en 2g pas de vidéo mais du son au fin fond d'une forêt épaisse.

à écrit le 27/03/2024 à 9:02
Signaler
Certes il y a ce service pour les flottes automobiles, mais aussi plein d'autres pour toutes sortes d'objets connectés via la 2G. Gageons que le commissaire au plan a un dossier d'évolution à ce sujet : gouverner, c'est prévoir !

à écrit le 27/03/2024 à 8:53
Signaler
Les véhicules sont bourrés de gadgets superflus qui coute trop cher, rarement utilisés, donc pas rentable pour le consommateur. La sécurité active serait pourtant bien plus utile, mais on préfère multiplier les airbags... Et après cela on se demande ...

à écrit le 27/03/2024 à 8:41
Signaler
y a une solution finalement tres simple ' et qui ne coute rien a personne', c'est que les operateurs revendent a valeur bilantielle la 2G a un consortium de constructeurs, et que ces derniers fassent tourner ca eux memes, vu que c'est pour leurs beso...

à écrit le 27/03/2024 à 8:13
Signaler
Une bonne chose que ce mouchard d ecall soit desactivé. C est quand meme quelque chose qui permet de vous suivre a la trace. Ensuite il serait interessant de savoir combien de fois ce systeme a ete utilisé et combien de fois ca a ete decisif (parce q...

le 27/03/2024 à 9:19
Signaler
La puce eCall envoie des infos en permanence pendant votre trajet ? Ou seulement quand la voiture se retourne ou subit un fort choc voire le bouton (rouge ?) est pressé ? La ceinture de sécurité, il faudrait aussi compter combien de fois elle a été ...

le 27/03/2024 à 11:11
Signaler
pour pouvoir fonctionner, ce systeme doit forcement avoir la position du vehicule (aka un gps toujours actif) et etre connecte au reseau 2G. meme si le boitier n envoie rien de lui meme, l operateur va savoir ou est le vehicule car le systeme sera co...

à écrit le 27/03/2024 à 7:52
Signaler
« Il n'est pas de la responsabilité des constructeurs automobiles de proposer des solutions » LOOOL ! Ça on l'avait bien compris les gars ! ^^ Je savais que cette 3g pouvait être un outil particulièrement utile, je ne savais pas par contre que la 2g...

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.