Bruxelles veut réduire à zéro les émissions de CO2 des voitures neuves dans l'Union européenne (UE) dès 2035. Pour cela, la Commission européenne a dévoilé le 14 juillet, dans le cadre de son paquet législatif inédit baptisé "Fit for 55", une mesure choc : interdire la vente de véhicules à essence et diesel (y compris les hybrides) dès 2035, au profit des véhicules électriques. Mais un tel basculement ne peut s'opérer que s'il est accompagné d'un maillage beaucoup plus poussé du Vieux continent de bornes de recharge. Or, cette infrastructure, encore à ses balbutiements, constitue le grand maillon manquant pour décarboner rapidement la mobilité.
Dans cette optique, la commission propose de faire évoluer la directive sur les infrastructures pour carburants alternatifs, adoptée en 2014, en règlement. On retrouve dans celui-ci plusieurs grands objectifs chiffrés : compter une station de recharge tous les 60 kilomètres sur les grands axes routiers des pays membres dès 2025 et atteindre un million de points de recharge en 2025, puis 3,5 millions en 2030 et quelque 16,3 millions à l'horizon 2050, contre 260.000 actuellement.
Un nouveau règlement ambitieux
Une trajectoire qui semble, peu ou prou, coller aux demandes faites par l'ONG Transport & Environment, qui réclamait au moins un million de points de recharge en 2024 et trois millions en 2029 pour les véhicules de particuliers et les camionnettes.
L'initiative est aussi saluée par l'Institut Jacques Delors :
"La Commission européenne change de véhicule juridique. On passe d'une directive à un règlement et c'est un changement extrêmement important pour deux raisons. D'abord, la directive ne permettait de donner des obligations qu'aux seuls Etats membres. Un règlement, lui, permet d'imposer des contraintes aux Etats membres, mais aussi aux entreprises, aux collectivités, aux citoyens, etc. Ensuite, le règlement s'applique immédiatement alors que la directive doit être transposée en droit national. Et, bien souvent, les directives sont mal transposées et les Etats membres traînent des pieds. Ce nouveau règlement constitue donc une avancée majeure", analyse Thomas Pellerin-Carlin, directeur du centre énergie de l'institut de recherche.
Dans une rare lettre commune, l'ONG Transport & Environment et l'Association des constructeurs européens d'automobiles (ACEA) s'étaient même associées, en février dernier, pour demander à la Commission européenne de "réviser de toute urgence la directive sur les infrastructures de carburants alternatifs et de proposer un règlement ambitieux plutôt qu'une directive afin de fixer des objectifs nationaux contraignants pour tous les segments de véhicules".
Eviter une Europe à deux vitesses
Fin 2020, l'UE recensait 260.000 points de recharge publiquement accessibles parmi ses 27 Etats membres. Mais ces points de recharge sont très inégalement répartis. 70 % de tous les points de recharge de l'UE sont concentrés dans seulement trois pays d'Europe occidentale : les Pays-Bas (66 665), la France (45 751) et l'Allemagne (44 538). Ensemble, ces pays ne représentent que 23 % de la superficie totale de l'UE. En revanche, les 30 % d'infrastructures restantes sont dispersées sur les 77 % restants. Fin juin, l'ACEA, dont les membres ont tout intérêt à un déploiement massif des bornes pour vendre davantage de véhicules électriques, alertait ainsi sur le risque d'une Europe à deux vitesses en matière de mobilité électrique.
Toutefois, dans un communiqué de presse publié hier, les constructeurs européens, très remontés contre la fin annoncée des véhicules thermiques en 2035, jugent les nouveaux objectifs fixés par la commission encore insuffisants.
"A première vue, l'ACEA est très préoccupée par le fait que les objectifs sont loin de répondre aux besoins, avec une référence inquiétante à seulement 3,5 millions de points de recharge d'ici 2030", écrit-elle.
Or, l'association rappelle que selon de récents calculs de la commission, 6 millions de points de charge accessibles au public étaient nécessaires pour réduire de moitié les émissions de CO2 des voitures d'ici à 2030.
Mettre fin au casse-tête des utilisateurs
Dans le détail, sur le réseau routier européen principal, chacune des stations de recharge distantes de 60 kilomètres dédiées aux véhicules légers devra proposer une puissance d'au moins 300 kW, et comprendre au moins une point de chargement de 150 kW d'ici fin 2025. Au 31 décembre 2030, ces mêmes stations devront proposer une puissance d'au moins 600 kW et comprendre au moins deux points de recharge d'une puissance de 150 kW.
Les Etats membres devront en outre s'assurer que les stations de recharge accessibles au public soient déployées proportionnellement à l'adoption des véhicules électriques légers. Ainsi, pour chaque véhicule électrique immatriculé sur le territoire d'un Etat membre, doit correspondre une puissance d'au moins 1 kW fournie par les bornes de recharge publiques. Par ailleurs, les 27 devront, au plus tard le 1er janvier 2024, transmettre à la commission leur projet de politique nationale pour le développement des infrastructures alternatives aux carburants émetteurs.
Le règlement précise également un certain nombre d'obligations à destination des opérateurs de bornes, comme le pétrolier TotalEnergies, le consortium Ionity ou encore Allego et Fastned, pour n'en citer que quelques-uns. Ces contraintes portent notamment sur l'acceptation des modes de paiement et la transparence des prix. Objectif : mettre fin au casse tête des utilisateurs, qui bien souvent peinent à comparer les prix d'un réseau de bornes à l'autre et doivent multiplier le nombre de cartes pour faire leur "plein" d'électricité aux différentes bornes.
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En France, l'épineux jeu des 100.000 bornes
En juin 2020, le gouvernement français a annoncé vouloir atteindre 100.000 bornes de recharge accessibles au public d'ici la fin 2021, il n'en comptait alors que 23.000. A moins de six mois de l'échéance, tout porte à croire que la cible ne sera pas atteinte, puisque l'Hexagone ne dénombre aujourd'hui que 43.700 bornes. Selon une récente étude du cabinet EY, au rythme de déploiement actuel, ce cap des 100.000 bornes ne sera atteint que dans six ans. Dans trois ans, si l'on double la cadence de déploiement. Malgré le revers attendu, le ministère de la Transition écologique s'est félicité, ce jeudi 15 juillet, des progrès réalisés sur ce terrain : "Alors qu'en décembre 2020, on comptait encore 32.700 points de recharge ouverts au public sur le territoire, on en dénombre 43.700 aujourd'hui, soit 11.000 supplémentaires installées en six mois et une hausse de 33% du nombre de bornes sur les six premiers mois 2021", écrit le ministère. Et de préciser : "Sur les deux derniers mois, plus de 5.000 points de recharge ouverts au public ont été installés, un rythme jamais atteint". Autre élément de satisfaction pour le gouvernement : la moitié des aires de services d'autoroute sont aujourd'hui équipées de bornes de recharge rapide. La totalité devra l'être d'ici la fin 2022.
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