Historique! La fusion qui doit être actée ce lundi par les actionnaires des groupes PSA et FCA est absolument historique à plusieurs titres. Elle scelle les destins de deux groupes centenaires mais également de deux familles traditionnellement attachées à leur indépendance. Enfin, elle installe un groupe immense (le 4ème mondial avec 185 milliards d'euros de chiffre d'affaires, 8,7 millions de voitures, 14 marques, ...) dans un contexte de profonde transformation industrielle.
Pour autant, cette fusion n'était pas évidente il y a encore deux ans, et les termes de l'accord font encore débat aujourd'hui. Et pourtant, plus personne ne conteste la nécessité impérieuse de ce rapprochement industriel qui risque de remodeler le secteur automobile à l'échelle mondiale.
Fiat en quête d'un partenaire depuis 20 ans
Il faut replacer les enjeux dans une perspective historique. Depuis très longtemps le groupe Fiat cherche à s'adosser à un partenaire industriel conséquent. Ainsi, au début des années 2000, c'est General Motors, à l'époque numéro un mondial, qui vient à la rescousse du groupe italien en prenant 25% de son capital. Un partenariat qui fera long feu puisque quelques années plus tard, l'américain rompra le contrat.
En 2008, Sergio Marchionne, le patron de Fiat flaire la bonne affaire et vient en aide au groupe Chrysler, dévasté par l'effondrement du marché américain suite à la crise des subprimes. En rachetant son rival américain, le groupe italien s'implante ainsi sur le premier marché automobile mondial et met la main sur des pépites comme Jeep, ou RAM, pour une bouchée de pain. La nouvelle entité, Fiat Chrysler Automobiles (FCA), permet au groupe italien de franchir des seuils critiques en atteignant les 4 millions de voitures produites annuellement. Mieux: la firme de Turin va largement profiter du redressement des ventes américaines, de l'explosion des ventes de SUV grâce à Jeep.
La fusion avec Chrysler ne suffit pas
Mais las... FCA ne vit que sur ses acquis, délaisse le développement de ses gammes comme des technologies et perd du terrain. En Europe, le groupe voit ses parts de marché se réduire comme peau de chagrin. Ainsi, l'acquisition du groupe Chrysler ne suffit pas à Fiat qui cherche encore à s'adosser à un nouveau groupe industriel. Tous les scénarios sont alors envisagés pour gagner du cash, comme la cession de Jeep, alors estimé autour de 30 milliards de dollars, ou bien celle d'un pôle luxe constitué des marques Maserati-Alfa Romeo. Sergio Marchionne entame cette stratégie en se séparant de Ferrari, mais également de toute la division des véhicules industriels, le groupe CNH. Magneti-Marelli est également cédé après plusieurs années d'atermoiements face au prix jugé exorbitant par tous les repreneurs potentiels.
Puis deux événements viennent accélérer les choses. D'abord, la crise du dieselgate rappelle au groupe italo-américain son retard en termes d'électrification ou de motorisations sobres, notamment aux Etats-Unis. D'ailleurs, le groupe est poursuivi aux Etats-Unis et doit s'acquitter d'un coûteux accord amiable. Mais c'est la maladie de Sergio Marchionne qui contraint le groupe à accélérer sa recherche d'un "après", qui doit nécessairement passer par un nouveau rapprochement industriel. Sergio Marchionne discute avec tout le monde: General Motors, Ford, Hyundai-Kia... Oui mais voilà, John Elkann, chef de file de la famille actionnaire historique de FCA pose ses conditions et il est gourmand. Les négociations échouent systématiquement. Jusqu'à la disparition de Sergio Marchionne en juillet 2018.
PSA frôle la faillite
Côté Français, c'est une toute autre histoire... PSA cherche également un partenaire industriel pour changer de dimension, mais la famille actionnaire reste jalousement attachée à son indépendance. Dans les années 2000 déjà, la perspective d'une fusion avec Fiat est largement discutée par les marchés, mais systématiquement démentie, surtout côté français. PSA estime qu'il est capable de grossir seul et s'engage dès 2005 dans un ambitieux programme d'augmentation des capacités industrielles et promet de vendre 4 à 5 millions de voitures par an en 2010. Sauf que la crise des subprimes déjoue cette ambition, mais pire encore, le groupe n'ayant pas anticipé la fantastique dynamique du segment des SUV, voit ses comptes basculer dans le rouge vif. En 2013, PSA frôle la faillite. Le gouvernement français est contraint de mettre la main à la poche, mais accepte qu'un groupe chinois prenne une part du capital... à même hauteur que la famille Peugeot.
Crise de croissance organique
Le redressement de PSA après l'arrivée de Carlos Tavares en 2014 est spectaculaire puisqu'en quelques années, il deviendra l'un des groupes automobiles les plus rentables du monde. Mais si la rentabilité du groupe s'améliore, le groupe peine à actionner le levier de la croissance organique. Les ventes en Chine s'effondre de 800.000 à moins de 200.000 voitures vendues, tandis que le retour de l'embargo en Iran fait perdre un potentiel de 400.000 ventes par an.
Pour Carlos Tavares, il devient pourtant de plus en plus évident que pour financer les investissements futurs, il est impératif de franchir des seuils critiques en termes de volumes. C'est ce qui conduit au rachat d'Opel en 2017. Mais cela ne suffit pas... Et PSA regarde tous les dossiers en cours: Jaguar-Land Rover, Lotus, et bien entendu Fiat-Chrysler... Mais les pourparlers avec John Elkann sont compliqués. Le financier, qui pense avant tout à réaliser une belle opération financière, va profiter d'une incroyable et inattendue fenêtre de tir pour jouer un beau coup de bluff.
Renault aux abois
En novembre 2018, la spectaculaire arrestation de Carlos Ghosn au Japon plonge Renault et l'Alliance Renault-Nissan dans une inextricable crise managériale et existentielle, qui s'accompagne d'une crise de rentabilité. FCA soumet alors à Thierry Bolloré, numéro deux du groupe au losange, un projet de fusion. Celui-ci est rendu public et prend de cours Carlos Tavares qui envisage très sérieusement un rapprochement avec FCA.
John Elkann veut tirer le meilleur de cette opération, et surjoue sa sérénité. "FCA n'a pas besoin d'une fusion", avance alors Mike Manley, PDG du groupe italo-américain. D'ailleurs, le chef de file de la famille actionnaire anticipe le refus de l'Etat français en retirant son offre de fusion avec Renault. Dès lors, Carlos Tavares reprend langue avec Turin et finit par accepter le principe d'une fusion à 50-50.
Le marché américain dans le panier
De nombreux actionnaires critiquent un accord qui ne rend pas compte de la réalité opérationnelle d'un PSA largement restructuré, rentable, et avec des portefeuilles de gammes repositionnés et renouvelés, face à un FCA aux gammes vieillissantes, aux plateformes obsolètes et dotées d'insoutenables surcapacités industrielles.
Oui mais voilà... Pour la famille Peugeot qui accepte aujourd'hui de diluer sa part dans la nouvelle entité au point de représenter moitié moins d'actions que les Elkann, FCA apporte dans son panier le lucratif et volumineux marché américain... Un actif acheté une bouchée de pain et cédé à prix d'or par John Elkann.
Sujets les + commentés