Voitures électriques : la France parviendra-t-elle à produire des batteries compétitives ?

La gigafactory d'ACC à Douvrin a été inaugurée hier et commencera à produire ses batteries électriques lithium-ion à partir de cet automne. Si le gouvernement se félicite de ces projets de réindustrialisation massifs en France et en Europe, plusieurs interrogations demeurent quant à la compétitivité de ces batteries dans un marché largement dominé par la Chine. Décryptage.
L'objectif d'ACC est de produire 800.000 batteries par an à Douvrin et la même capacité sur deux autres gigafactories en Allemagne puis en Italie dans des usines prévues respectivement pour 2025 et 2026.
L'objectif d'ACC est de produire 800.000 batteries par an à Douvrin et la même capacité sur deux autres gigafactories en Allemagne puis en Italie dans des usines prévues respectivement pour 2025 et 2026. (Crédits : PASCAL ROSSIGNOL)

« Nous pouvons aujourd'hui ouvrir cette usine dans des conditions de compétitivité comparables à celles de la Chine et des États-Unis », s'est réjoui hier matin le ministre de l'économie Bruno Le Maire, lors de l'inauguration de la gigafactory de Douvrin d'Automotive Cells Company (ACC), co-entreprise de Stellantis, TotalEnergies et Mercedes. L'objectif est de produire sur place 800.000 batteries par an et la même capacité sur deux autres gigafactories en Allemagne puis en Italie avec des ouvertures prévues respectivement pour 2025 et 2026.

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Ce projet à 7 milliards d'euros doit garantir l'indépendance de la France et de l'Europe face à la Chine et aux Etats-Unis. Mais les premières batteries électriques françaises qui sortiront à l'automne de l'usine de Douvrin seront des batteries lithium-ion, une technologie vieille de plusieurs dizaines d'année.

Problème : ces types de batteries sont parfaitement maîtrisées par la Chine mais aussi par les Etats-Unis grâce à Tesla et il sera difficile d'être compétitif avec autant de retard. Mais ce choix de produire vite avec une technologie connue était nécessaire, selon Carlos Tavares, le président et directeur général de Stellantis : « Plus nous démarrons tôt dans la production à grande échelle, plus nous apprendrons tôt et plus nous pourrons être compétitif ».

« Limiter la casse » et anticiper l'avenir

Car l'Europe n'est pas dupe. La compétitivité sur les batteries électriques passera avant tout par une bataille technologique. Si, aujourd'hui, le standard reste la technologie lithium-ion qui offre le meilleur équilibre en termes de poids et de performance, les batteries solides proposées par le Taïwanais ProLogium sont annoncées comme les remplaçantes d'ici 2026. D'autres, comme les batteries à semi-conducteurs sont prévues avant en Chine, comme l'a annoncé le constructeur MG qui souhaite les produire pour 2025 et évoquent une autonomie de 1.000 kilomètres.

« D'ici là, les gigafactories dans le Nord permettront surtout de limiter la casse sur les productions de batteries lithium-ion. Le simple fait d'avoir ces méga-usines de production en France permettra de gagner beaucoup de temps si une nouvelle technologie arrive sur le marché. Après, la transformation de l'usine et les investissements dépendront de la nouvelle génération de batteries mais le fait de penser l'usine en amont comme pouvant être modulable permettra de gagner des centaines de milliers d'euros », explique Julien Pillot, enseignant-chercheur à l'INSEEC

Cette gigafactory de Douvrin a en effet été conçue pour être modulée. D'ailleurs, les premières lignes de production seront centrées sur la technologie lithium-ion dans le premier bloc. Mais les deux autres blocs de l'usine, qui seront mis en route dans les prochaines années, pourraient produire d'autres types de batteries, plutôt centrés sur les prochaines batteries liquides et mais pas solides a confirmé Yann Vincent, le directeur général d'ACC « car ce n'est pas une technologie à grande échelle pour l'instant ».

L'impératif de maîtriser toute la chaîne de valeur

Nul doute que les premières batteries qui sortiront de Douvrin seront plus coûteuses que leurs homologues chinoises et américaines, car le prix de l'énergie est plus élevé en Europe et les volumes de production encore trop faibles. Si la classe politique martèle l'idée que l'industrie française pourra se montrer compétitive, le dirigeant de Stellantis se montre plus prudent et estime « qu'à défaut d'avoir des réglementations européennes neutres en termes technologiques, il faudra que la chimie reste en concurrence pour être compétitif et il faudra une technologie qui sortira de la dépendance aux matériaux rares ».

En effet, c'est aussi sur ces métaux critiques et sur l'ensemble de la chaîne de valeur que se joue la compétitivité de la France et de ses batteries électriques. Or, si les projets de gigafactories avancent, avec la création de quatre usines prévues en France à horizon 2026, l'extraction des métaux, leur raffinage ainsi que le recyclage sont encore loin de constituer un écosystème cohérent et la France dépend essentiellement de la Chine sur tous ces sujets. Néanmoins, plusieurs projets se dessinent sur le recyclage. Stellantis a évoqué des annonces prochaines à ce sujet. Renault souhaite également développer ses propres usines à Flins dans les Yvelines. Le groupe Orano a, quant à lui, annoncé quelques mois plus tôt un projet de recyclage d'ici 2026 avec le groupe chinois XTC.

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Pour le lithium, un vaste projet d'extraction dans l'Allier par Imerys, toujours en cours d'étude, se profile tandis qu'un projet de raffinage de métaux verra le jour à Lauterbourg dans le Bas-Rhin en 2025.

« Il faut une vallée de la batterie qui ne se repose pas sur les 3D : Dunkerque, Douai, Douvrin. Nous serons auprès des investisseurs pour vous aider. Il faut aussi le raffinage et le recyclage pour avoir une indépendance géographique mais surtout technologique », confirme Xavier Bertrand, le président des Hauts-de-France.

Une « situation impossible » selon Julien Pillot, qui considère qu'avoir toute la chaîne de valeur en France entraînera des investissements colossaux, sans parler des coûts environnementaux liés à ces projets sans pour autant garantir une compétitivité.« Nous avons trop de retard, il faut être compétitif sur certains maillons stratégiques de la chaîne de valeur ».

Renforcer le protectionnisme

Si les constructeurs espèrent pouvoir atteindre, à terme, des prix de batteries aux alentours des concurrents chinois en réalisant de vastes économies d'échelle, la transition devra être aidée par des subventions. « Le client final n'a pas les moyens d'absorber les 40% supplémentaires qui leur ont été imposés », prévient Carlos Tavares. Les batteries européennes bénéficieront sans doute, dans un premier temps, du bonus écologique attribué en fonction de son impact environnemental pour la rentrée 2024.

Mais il faudra aussi revoir les droits de douanes, moins élevés sur les voitures étrangères qui arrivent en Europe que sur les voitures européennes qui s'exportent dans d'autres régions du monde. L'idée d'un protectionnisme européen était plus que jamais de mise hier lors de l'inauguration de Douvrin. Le ministre de l'économie Bruno le Maire l'a lui même confirmé : « si nous ne voulons pas d'hémorragie européenne, il faut un IRA européen qui défend notre attractivité, notre savoir faire et notre technologie ».

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Les batteries françaises et européennes, si elles ne se montrent pas compétitives pour l'instant, bénéficieront tout de même de débouchés dans l'UE, troisième marché automobile mondial, résolument lancé vers la fin des moteurs thermiques neufs à l'horizon 2035.

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Commentaires 3
à écrit le 02/06/2023 à 15:15
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Mieux vaut tard que jamais

à écrit le 01/06/2023 à 10:34
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Comme le réseau électrique aura du mal a s'y faire, on nous conseillera d'en acheté pour la maison ! :-)

à écrit le 01/06/2023 à 10:31
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Peut être, en preenant des accords de coopération avec un Pays comme le Portugal qui va ouvrir une mine de Lithium, sinon le Portugal saurait aussi fabriquer avec SON LITHIUM des batteries moins chers ne serait-ce que le coût moindre de 60% des charg...

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