Érosion du littoral : avec le ZAN, pourra-t-on reloger les victimes du recul du trait de côte ?

450.000 logements sont menacés par la montée des eaux d'ici à 2100. Si le gouvernement affirme réfléchir à des solutions pour les habitants concernés par le recul du trait de côte, comme le relogement à l'arrière des communes sur d'autres terrains, le ministre de la Transition écologique leur conseille déjà d'aller voir leur maire. Sauf que ces élus locaux doivent participer à la politique nationale de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols qui vise à cesser toute urbanisation d'ici à 2050 avec un premier palier en 2031. Décryptage.
César Armand
« Si la prise en compte des enjeux littoraux est saluée, plusieurs organismes consultés appellent à maintenir une vigilance constance sur ces territoires qui subissent de plein fouet les conséquences du changement climatique » écrivent deux députés dans un rapport rendu public le 10 avril. (Photo d'illustration)
« Si la prise en compte des enjeux littoraux est saluée, plusieurs organismes consultés appellent à maintenir une vigilance constance sur ces territoires qui subissent de plein fouet les conséquences du changement climatique » écrivent deux députés dans un rapport rendu public le 10 avril. (Photo d'illustration) (Crédits : Reuters)

C'est la déclaration-choc de la semaine dernière : chaque semaine en France, « l'équivalent d'un terrain de football disparaît sous l'effet de la progression des océans, un phénomène qui s'accélère », affirmait jeudi dernier au journal de 20 heures de TF1 le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. « Il y aura des zones qui seront inhabitables » sur le littoral, dont 20% est grignoté par l'érosion côtière, a poursuivi Christophe Béchu.

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500 communes ont en effet été identifiées par le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (Cerema), établissement sous la double tutelle de l'Etat et des collectivités. « On a commencé à travailler avec les maires » pour mettre en place « des plans sur mesure » a enchaîné le ministre, soulignant que « les documents d'urbanisme » allaient être « révisés ». Ces derniers étant déjà en cours de réécriture en vue de la zéro artificialisation nette (ZAN) des sols.

Toutes les opérations qui consistent à « transformer un sol naturel, agricole ou forestier par des opérations d'aménagement pouvant entraîner une imperméabilisation partielle ou totale afin de les affecter notamment à des fonctions urbaines ou de transport » font l'objet d'une réglementation stricte depuis la promulgation de la loi « Climat et Résilience » en août 2021.

Un droit de préemption au nom de la renaturation

Alors que la France a artificialisé plus de 250.000 hectares de sols entre 2011 et 2021, il s'agit bien de limiter les droits à construire à 125.000 hectares d'ici à 2031, avant de viser la zéro artificialisation nette (ZAN) à horizon 2050. Pour tenir le pari au plus près du terrain, une proposition de loi sénatoriale « visant à faciliter le déploiement des objectifs de ZAN au sein des territoires » a été adoptée par le Parlement en juillet 2023.

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L'adaptation des documents d'urbanisme va ainsi se faire progressivement : au plus tard novembre 2024 pour les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET), février 2027 pour les schémas de cohérence territoriale (SCoT - à l'échelle de plusieurs intercommunalités) et février 2028 pour les plans locaux d'urbanisme communaux (PLU) et intercommunaux (PLUi).

Une clause de revoyure en 2026 est également prévue juste après les élections municipales, à mi-chemin entre l'adoption de la loi en 2021 et le premier palier de 2031 de non-artificialisation des sols. Les maires pourront enfin faire se servir de deux outils actualisés en ce sens: le sursis à statuer pour suspendre un projet, ainsi que le droit de préemption au nom de la requalification des friches ou de la renaturation.

Qui va payer ?

Des élus locaux qui demeurent en première ligne. Si le gouvernement affirme réfléchir à des solutions pour les habitants concernés par le recul du trait de côte, comme le relogement à l'arrière des communes sur d'autres terrains, le ministre Béchu leur conseille déjà d'aller voir leur maire.

« Sur quel terrain et à quel prix ? Comment on finance ? Qui paie ? », réplique Dominique Cap, maire (Divers droite) de Plougastel-Daoulas, président de l'association des maires du Finistère et président du groupe Littoral de l'association des maires de France (AMF). Pour aménager et entretenir le littoral et bien sûr délocaliser les activités exposées, l'édile propose un forfait sur le prix des nuitées sur les côtes pour nourrir une caisse pérenne de péréquation gérée par des représentants de l'Etat et des collectivités.

L'article 5 de loi ZAN de juillet 2023 prend néanmoins en compte les spécificités des communes situées en zone littorale soumises à l'érosion côtière à travers deux dispositions. Premièrement, la fixation des objectifs chiffrés de lutte contre la ZAN doit tenir compte des enjeux d'adaptation et de recomposition spatiale du territoire.

Un décret pour préciser les choses

« Deuxièmement, peuvent être considérées comme désartificialisées, les surfaces artificialisées, soumises au recul du trait de côte à l'horizon de trente ans, lorsque ces surfaces ont vocation à être renaturées dans le cadre d'un projet de recomposition spatiale. Si cette renaturation n'a pas été effectuée au terme de chaque tranche de dix ans, ces surfaces sont à nouveau considérées comme étant artificialisées », est-il écrit encore dans cette proposition de loi.

« Ce qui va être rendu à la nature pourra être artificialisé. Une maison ou un immeuble qui tombe dans l'océan, ça redonne un droit à artificialiser sur la commune sur une période de dix ans », explique à La Tribune le député Renaissance des Landes Lionel Causse, à l'origine de l'article 5 du texte d'origine parlementaire.

A cela s'est ajouté, le 27 novembre 2023, un décret d'application du projet de loi Climat & Résilience de 2021. Ce dernier précise, par exemple, que les objectifs contenus dans les schémas régionaux d'aménagement et de développement durable du territoire (SRADDET) doivent être définis et territorialement déclinés en tenant compte, notamment, des particularités géographiques locales ainsi que de la recomposition des communes exposées au recul du trait de côte.

L'exemple du Pays de Brest

Illustration en Bretagne qui a droit à 9.000 hectares. Dès juillet 2023, le conseil régional a décidé d'attribuer, plus ou moins, 1.000 hectares par grand bassin de vie dans le cadre de son SRADDET. Le Pays de Brest, composé de 103 communes regroupées en sept intercommunalités, a ainsi hérité de 745 hectares en vue de l'adoption définitive de son schéma de cohérence territoriale (SCoT) au plus tard en février 2027. Les discussions sont en cours à l'échelle des intercommunalités, comme Brest Métropole, qui ont jusqu'en février 2028 pour voter leurs plans locaux d'urbanisme (PLUi).

« Nous donnons le maximum d'informations aux maires mais beaucoup découvrent cela au dernier moment. Sachant que le recul du trait de côte va geler certains territoires urbanisables et constructibles, nous leur conseillons de ne pas construire et d'aller en rétro-littoral de façon à garder des hectares et donc préserver leurs autres zones d'aménagement », explique, à La Tribune, Dominique Cap, vice-président du Pays de Brest, vice-président de Brest Métropole et monsieur Littoral à l'AMF.

Lire aussiZéro artificialisation nette : en Bretagne, il reste 9.000 hectares à répartir d'ici à 2031

Auteurs d'un rapport d'application de la loi ZAN de juillet 2023, publié le 10 avril 2024, les députés Mathilde Hignet (LFI, 4è circonscription d'Ille-et-Vilaine) et Bastien Marchive (radical apparenté Renaissance, 1ère des Deux-Sèvres), membres de la commission des Affaires économiques de l'Assemblée nationale, relèvent, eux, que « si la prise en compte des enjeux littoraux dans le décret est saluée, plusieurs organismes consultés appellent à maintenir une vigilance constante sur ces territoires qui subissent de plein fouet les conséquences du changement climatique ».

 « Il faut néanmoins aller encore plus loin et mettre en place des dispositifs permettant aux collectivités d'adapter la gestion du trait de côte aux impacts du changement climatique en fonction des spécificités de chaque territoire, afin de les laisser disposer d'une marge de manœuvre pour pouvoir développer des activités économiques », estime, de son côté, l'association nationale des élus du littoral (ANEL).

César Armand

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Commentaires 12
à écrit le 12/04/2024 à 10:53
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L'humain est arrogant et capricieux. Il bâtit devant Neptune et cherche l'affront ! L'homme déni l'évidence. Proteste contre le vent et les marées. Ceux là même qu'il admire tout autant. La nature a ses règles. Faut il tendre l'oreille et la vue sa...

à écrit le 11/04/2024 à 22:48
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Je refuse de payer .. qu on regarde leur profil socio- économique et qu on fasse le tri entre cadres sup parisien ou grande agglomération ou héritier et employé/ ouvrier local et que les communes qui ont accepté et bénéficiez de cette manne pendant 5...

à écrit le 11/04/2024 à 20:17
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J'habite à 400km de la mer , sur un piton à 550m d'altitude donc j'ai le temps de voir venir l'eau.

à écrit le 11/04/2024 à 14:59
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Les lois s'accumulent. Les normes s'accumulent pour le bien être supposé des populations. Mais la réalité de la nature contrecarre souvent ce que le législateur écrit. La rigidité technocratique ne fait pas bon ménage avec la vie réelle. Le trait d...

à écrit le 11/04/2024 à 13:21
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Je ne vois pas pourquoi la solidarité devrait s'appliquer : cela fait des dizaines d'années que le trait de cote est grignoté et il y a quand même des inconscients (pour parler très poliement) qui ont choisi de s'installer au dessus de falaise ou d'a...

le 11/04/2024 à 16:29
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Il est certain que pour des maisons qui ont pour certaines plusieurs centaines d'années, la réflexion est hautement pertinente.

à écrit le 11/04/2024 à 13:21
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Je ne vois pas pourquoi la solidarité devrait s'appliquer : cela fait des dizaines d'années que le trait de cote est grignoté et il y a quand même des inconscients (pour parler très poliement) qui ont choisi de s'installer au dessus de falaise ou d'a...

à écrit le 11/04/2024 à 12:09
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450000 logements d'ici 2100, cela représente 6000 logements par an, et cela concerne tout au plus 15/20000 personnes par an (dont la plupart auront disparu dans l'intervalle). C'est largement dans l'épaisseur du trait des évolutions de la population ...

à écrit le 11/04/2024 à 10:16
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L’état est responsable des risques de submersion, et les collectivités locales (les communes notamment) des risques d’érosion. Rappeler toujours notre droit et pas de mélange des genres svp! PS. on ne saurait mutualiser systématiquement les risques!

à écrit le 11/04/2024 à 10:02
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Faillait pas contruire si pres,souvent en confisquant l'acces au littoral( idem pour les berges de rivieres ) ce n'est pas aux citoyens spolies de payer.

à écrit le 11/04/2024 à 9:43
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D'abord différencier la réponse pour les maisons régulièrement habitées des résidences secondaires et il faudrait peut être cesser les permis de construire.

à écrit le 11/04/2024 à 8:12
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Ils ont eu l'immense privilège, l'incroyable "chance", de vivre au bord de l'océan, qu'ils en prennent conscience et qu'ils lui disent adieu, ya que l'oligarchie qui reste toujours comme avant ravageant l'humanité sinon tout bouge et change tout le t...

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