C'est une affaire de quelques jours. En février, le gouvernement annoncera les collectivités territoriales retenues dans le cadre de l'appel à manifestation d'intérêt « un nouvel horizon pour les zones commerciales » lancé mi-septembre. A l'époque, les ministres de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, et les (ex-?) ministre du Commerce Olivia Grégoire et du Logement Patrice Vergriete avaient annoncé, à Bercy, le déblocage de 24 millions d'euros pour accompagner les élus locaux à transformer leur entrée de ville. Des zones d'activités commerciales (ZAC) monofonctionnelles, où les « boîtes à chaussures » sont les reines et où les parkings bitumés XXL sont les rois, synonymes, à tort ou à raison, de destruction de centres-villes et d'étalement urbain.
Trois types de ZAC concernées
Trois types de ZAC ont concernées. Au premier chef, les zones dynamiques en zone dense pour rationaliser l'activité commerciale et introduire de la mixité fonctionnelle (logement, bureau...). Mais aussi les ZAC en déprise en regroupant les magasins et traitant les friches. Ou encore les ZAC en zone peu dense où il s'agit de favoriser l'implantation d'autres activités, « notamment » industrielles.
Concrètement, les élus locaux pourront se faire financer des études préalables à un programme de transformation - 75.000 euros par projet - ainsi que de la conduite de projet - 75.000 euros, par exemple, pour recruter un chef de projet dédié sur le territoire -. Outre ces 150.000 euros, l'Etat financera « une partie » du déficit d'opération commerciale dans la limite de 500 euros par m² surface commerciale bâtie restructurée et de 100 euros par m² de surface non-bâtie nécessaire à l'opération commerciale.
« Nous avons reçu plus de 120 candidatures. Les projets qui ne seront pas sélectionnés pour la vague 1 seront accompagnés par nos services pour éventuellement intégrer la vague 2 », confie aujourd'hui à La Tribune le cabinet de Christophe Béchu.
Les élus locaux n'ont pas attendu le gouvernement pour se lancer
Sauf que « les élus locaux n'ont pas attendu [le gouvernement] pour se lancer [même s']il est certain que cela donne un signal économique très favorable », déclare Rodrigo Clare, directeur général d'Altarea Commerce. Dès octobre 2022, sa société a en effet livré à Issy-les-Moulineaux (Hauts-de-Seine) sur le site de l'ancien Centre de recherche des télécommunications de France Télécom, un quartier de 105.000 m² qui accueillera à terme 1.500 nouveaux habitants et 3.000 salariés.
Cette année, la filiale du groupe Altarea livrera également un projet similaire à Bobigny. L'un de ses concurrents directs, le groupe Nexity revendique, lui, 76 projets en cours dans les entrées de ville à la suite d'un accord signé en mai 2023 avec Carrefour. « Cela représente environ dix ans de business à venir », affirmait, récemment, sa présidente-directrice générale Véronique Bédague dans La Tribune Dimanche.
Elle ne croit pas si bien dire. Selon les calculs de Banque des territoires (groupe Caisse des Dépôts), de CDC Habitat - filiale logement de la ''Caisse'' - et de la foncière commerciale Frey, qui y travaillent ensemble, il existe 243 zones commerciales en périphérie des 21 plus grandes urbaines françaises d'un total de 55.000 hectares, c'est-à-dire un potentiel de 70 millions de m² à usages mixtes, soit 1 million de logements.
« Nous sommes sollicités par les collectivités et élus locaux qui nous contactent pour faire un diagnostic et identifier les sujets. Nous essayons de prioriser notre attention sur les opérations qui peuvent sortir dans un délai raisonnable tenant compte du contexte urbain. Nous n'orientons pas nécessairement nos choix vers des collectivités mieux outillées en interne », souligne Antoine Frey, patron de la foncière éponyme.
Des gisements fonciers considérables
En cela, et sans le vouloir, ce chef d'entreprise répond à une « véritable inquiétude » du vice-président (Horizons) de l'association des maires de France chargé du Commerce: l'ingénierie. « Les grosses collectivités ont les moyens humains, mais il faut que les petites puissent aussi répondre, ne serait-ce que pour ancrer cette politique dans les territoires ruraux », alertait Alain Chrétien à l'issue de la réunion de septembre à Bercy.
Autre grand acteur non-négligeable : la société Nhood, qui travaille pour Ceetrus (ex-Immochan) et Auchan, ainsi que pour les enseignes de l'association familiale Mulliez (AFM) type Décathlon, Boulanger, Leroy Merlin, affirme détenir 2.000 hectares en gestion et en animation, 7 millions de mètres carrés construits, 6 millions de m² de parkings, 7 millions de m² de réserves foncières disponibles et près d'une vingtaine de sites à l'étude pour pouvoir y créer jusqu'à 15.000 à 20.000 logements.
« Nous travaillons à être des partenaires engagés dans la durée aux côtés des élus locaux. C'est pourquoi ils sont nombreux à considérer que les zones d'activités commerciales offrent des gisements fonciers considérables et par conséquent un levier stratégique pour la création de logements, de nouveaux lieux de vie... », affirme Christophe Janet, DG délégué de Nhood chargé du développement, de l'aménagement et de la promotion France-Luxembourg.
Reste à régler le coût et la disponibilité des terrains
Reste à régler une question et non des moindres: le coût et la disponibilité de la matière première qu'est le terrain, d'autant plus rare à l'heure de la zéro artificialisation nette (ZAN). A Issy-les-Moulineaux, le projet a mis seulement six ans à sortir de terre, le maire (UDI) André Santini ayant été réélu en 2020 et entraîné tous les acteurs autour de lui, mais ce n'est pas tout le temps le cas...
« Les projets d'entrée de ville peuvent prendre beaucoup de temps quand le foncier n'est pas maitrisé dans sa globalité », résume Rodrigo Clare, DG d'Altarea Commerce.
Du côté de Nhood, les terrains sont la propriété des enseignes qui y sont installés. Quant à la Banque des territoires, CDC Habitat et Frey, elles ont justement investi, à elles trois, 200 millions d'euros pour créer une société de portage. Un outil, expliquent-ils, pour faciliter le déploiement du renouvellement urbain et répondre à l'acquisition foncière tout en supportant les risques et la capacité de ce projet en phase d'investissement.
Remonter les obstacles normatifs
La SAS « Repenser la ville » se rémunère avec les loyers des activités encore en place puis en cédant les fonciers réaménagés. Dans une deuxième phase, les promoteurs prendront le relais, suivi d'une troisième où des investisseurs acquerront des logements ou des commerces. C'est déjà le cas à Montigny-lès-Cormeilles (Val-d'Oise) où la SAS peut compter sur le promoteur Nexity pour la production d'habitats.
Pour les autres communes qui seront connues dans le courant du mois, une équipe de fonctionnaires des ministères de Bercy et de la Transition écologique se chargera de les accompagner en matière d'ingénierie, d'expertise administrative, comme dans le fléchage d'autres enveloppes d'aides.
Cette « task force » vantée par l'exécutif remontera aussi les obstacles normatifs aux cabinets concernés. Déjà, les professionnels préviennent que, malgré la vertu des opérations, cela n'éteint pas le risque de recours venant des populations locales.
À sa réélection en 2020, le maire (ex-LR) de Toulouse et président de la métropole, Jean-Luc Moudenc, a fait de la qualité de vie l'un de ses chantiers prioritaires. Pour la quatrième ville de France, cela passe par un travail autour de ses entrées de ville. Ainsi, la collectivité a lancé une réflexion sur le sujet, en 2021, en partenariat avec l'agence d'urbanisme et d'aménagement de l'agglomération toulousaine. « Notre intention est de redonner une ambition urbaine et paysagère à nos entrées de ville, leur redonner un usage et y hiérarchiser les usages. Il faut garder ce qui est utile et supprimer ce qui peut l'être. Actuellement, nos entrées de ville sont le royaume des voitures et des parkings. Il faut intégrer les déplacements doux et faire en sorte que ces entrées de ville donnent envie de rentrer dans la ville », expose Annette Laigneau, l'adjointe au maire de Toulouse chargée de l'urbanisme. En priorité, les services de l'élue locale ont identifié un chantier, celui de la M820, anciennement appelée « route de Paris », entre Toulouse et Saint-Jory. « Elle est le symbole de ce qu'il ne faut plus faire sur les entrées de ville. Il y a un gaspillage monstre de foncier et ce n'est qu'une succession de parkings. Notre démarche prend encore plus de sens avec la nouvelle loi Climat et Résilience qui fait entrer en vigueur le ZAN (zéro artificialisation nette, ndlr) », estime Annette Laigneau. Au total, les services de la collectivité ont identifié une vingtaine d'entrées de ville à retravailler, avec une priorité plus ou moins importante. En 2024, deux nouveaux secteurs vont être mis à l'étude, à savoir la route de Fronton au nord de Toulouse et la route de Saint-Simon au sud-ouest de la ville. « Nous ne sommes qu'au démarrage », reconnaît l'adjointe au maire. Pour le moment, des enveloppes budgétaires - seulement pour les études - ont été débloquées, mais la Ville a arrêté ses investissements sur la voirie des zones concernées pour les intégrer dans un projet de réaménagement global dans le futur. Par ailleurs, la Ville de Toulouse est dans l'attente des résultats de l'appel à projets sur les zones commerciales puisqu'elle a proposé celle de Basso Cambo pour bénéficier d'un soutien de l'État pour transformer ce secteur. « C'est à la fois une entrée de ville, une zone de transit et surtout une zone commerciale en fin de course », constate Annette Laigneau. La métropole va devoir notamment travailler avec le groupe Casino pour donner une nouvelle à cette zone commerciale qui jouit de 9.000 mètres carrés de surface plancher. « L'objectif c'est la démolition pour une reconstruction dans une forme urbaine bien différente », fait savoir l'élue. À terme, 700 logements devraient voir le jour sur place, marché pour lequel trois groupements ont déjà montré leur intérêt, un cinéma et une arène d'e-sport. Pierrick MerletLa Ville rose veut soigner ses entrées
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