Immobilier : l'Etat met la main à la poche pour transformer la « France moche », les maires « vigilants »

Le gouvernement vient d'annoncer un paquet de mesures pour accompagner la mutation des entrées de ville, synonyme, à tort ou à raison, de destruction de centre-ville et d'étalement urbain. Trois types de zones d'activités commerciales sont concernées, mais l'enveloppe communiquée fait déjà débat, notamment du côté des élus locaux. Décryptage.
César Armand
Snobée par l'exécutif pendant près de cinq ans - malgré la crise des Giles jaunes -, cette « France moche », ou plutôt la France des villes moyennes, a fait l'objet d'une matinée entière à Bercy, temple de l'économie et de la finance. (Photo d'illustration)
Snobée par l'exécutif pendant près de cinq ans - malgré la crise des Giles jaunes -, cette « France moche », ou plutôt la France des villes moyennes, a fait l'objet d'une matinée entière à Bercy, temple de l'économie et de la finance. (Photo d'illustration) (Crédits : Reuters)

Cora, Truffaut, Picard, Fnac, Darty, Decathlon, McDonald's, Orange... Vous avez faim ? Soif ? Besoin d'acheter quelque chose ? Pas de problème, vous trouverez tout ce qu'il vous faut dans la zone commerciale Le Bois des Fenêtres à Saint-Maximin, dans le Sud de l'Oise, à quelques kilomètres de Creil comme du château de Chantilly. Outre ces « boîtes à chaussures », les parkings bitumés y sont immenses. Vous pourrez donc vous garer sans effort.

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Snobée par l'exécutif pendant près de cinq ans - malgré la crise des Giles jaunes -, cette « France moche », ou plutôt la France des villes moyennes, a fait l'objet d'une matinée entière à Bercy, temple de l'économie et de la finance. Sous l'expression « un nouvel horizon pour les zones commerciales », le gouvernement vient d'annoncer un paquet de mesures pour accompagner la mutation de ces entrées de ville, synonymes, à tort ou à raison, de destruction de centres-villes et d'étalement urbain.

Deux mois après l'adoption de la proposition de loi visant justement à atteindre l'objectif de zéro artificialisation nette (ZAN) des sols en 2050, le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, et la ministre du Commerce Olivia, Grégoire, ont annoncé, aux côtés de leur collègue, Patrice Vergriete, (Logement), le déblocage de 24 millions d'euros via le projet de loi de finances 2024.

Trois types de ZAC concernées

Trois types de zones commerciales sont concernées. Au premier chef, les ZAC dynamiques en zone dense pour rationaliser l'activité commerciale et introduire de la mixité fonctionnelle (logement, bureau...). Mais aussi les ZAC en déprise en regroupant les magasins et traitant les friches. Ou encore les ZAC en zone peu dense où il s'agit de favoriser l'implantation d'autres activités, « notamment » industrielles.

Concrètement, les élus locaux pourront se faire financer des études préalables à un programme de transformation - 75.000 euros par projet - ainsi que de la conduite de projet - 75.000 euros, par exemple, pour recruter un chef de projet dédié sur le territoire -. Outre ces 150.000 euros, l'Etat financera « une partie » du déficit d'opération commerciale dans la limite de 500 euros par m² surface commerciale bâtie restructurée et de 100 euros par m² de surface non-bâtie nécessaire à l'opération commerciale.

Une enveloppe qui fait déjà débat

Sauf que cette enveloppe globale de 24 millions d'euros fait déjà débat. Dès février 2023, la ministre des Collectivités territoriales a, en effet, annoncé un fonds, lui aussi doté de 24 millions d'euros, de requalification des zones commerciales dans le cadre du deuxième programme de revitalisation des villes moyennes « Action Cœur de ville ».

« Nous travaillons sur un autre modèle plus aéré, avec davantage de nature, des loisirs et un aménagement commercial plus responsable », affirmait alors à La Tribune Dominique Faure.

Aujourd'hui à Bercy, le vice-président de l'association des maires de France (AMF) chargé du commerce a alerté l'exécutif. « Pas touche à Action Cœur de Ville (ACV) 2 », a mis en garde Alain Chrétien, maire (Horizons) de Vesoul (Haute-Saône). En clair, il craint que les centres-villes soient lésés au profit des ZAC.

« ACV2 sera convergent et non divergent », lui a répondu la ministre Olivia Grégoire. Autrement dit, les 24 millions d'aujourd'hui pourront être cumulables avec le « Fonds vert », « Petites villes de demain » ou... « Action Cœur de ville ».

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« Véritable inquiétude » des maires

Autre « véritable inquiétude » du porte-parole des maires: l'ingénierie. Les communes et les intercommunalités qui souhaitent bénéficier de ce fonds devront répondre à un appel à manifestation d'intérêt. « Les grosses collectivités ont les moyens humains, mais il faut que les petites puissent aussi répondre, ne serait-ce que pour ancrer cette politique dans les territoires ruraux », a confié Alain Chrétien, « vigilant », à La Tribune à l'issue de la réunion.

Une angoisse pourtant levée juste avant par Christophe Béchu. En parallèle de cet appel à manifestation d'intérêt, le ministre a annoncé que les préfets allaient pré-sélectionner les projets en tenant compte de la détermination des acteurs à agir mais aussi de l'absence d'impact du projet sur la vitalité du centre-ville. Les lauréats seront connus en deux fois : d'abord en novembre 2023 pour les agglomérations ayant des projets déjà engagés ou matures, puis début 2024 pour donner à d'autres le temps de définir les grandes lignes de leur projet.

Dès que ces derniers seront connus, une équipe de fonctionnaires des ministères de Bercy et de la Transition écologique se chargera de les accompagner en matière d'ingénierie, d'expertise administrative, comme dans le fléchage d'autres enveloppes d'aides. Cette « task force » vantée par l'exécutif remontera aussi les obstacles normatifs aux cabinets concernés, animera une communauté nationale d'acteurs et d'élus, et créera même, d'ici à fin 2023, un guide juridique et opérationnel pour toutes et tous.

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« Simplifiez, simplifiez, simplifiez », le cri du cœur d'Antoine Frey

« En France, on n'a plus de foncier, mais on a des idées », s'est amusé, au cours du raout, Antoine Frey, le pdg du groupe éponyme, pionnier dans la requalification des entrées de ville. Avant de devenir plus grave, dénonçant l'« horreur administrative » et un « système kafkaïen ».

« Simplifiez, simplifiez, simplifiez ! » a exhorté Antoine Frey, tourné vers le gouvernement et le président du Conseil national du commerce Thierry Mandon, ancien secrétaire d'Etat à la Réforme de l'Etat et à la Simplification de François Hollande.

À cette doléance, l'exécutif répond « projet de loi sur l'industrie verte ». Même si les députés et les sénateurs doivent encore se réunir en commission mixte paritaire pour s'accorder sur la version finale du texte, quatre mesures concernent les parties prenantes.

Quatre mesures de simplification pour les parties prenantes

La première consiste à étendre la grande opération urbanisme - la « GOU » dans le jargon - aux projets de transformation des zones commerciales pour mettre en compatibilité l'ensemble des documents d'urbanisme avec le projet et donc gagner du temps.

La deuxième vise à la « suppression de freins institutionnels » quant au recours à la GOU. Les maires pourront conserver leur compétence de permis de construire, qui ne sera pas automatiquement transférée aux établissements publics de coopération intercommunale (EPCI).

La troisième offre la possibilité de transférer des droits commerciaux au sein d'une zone commerciale. Une demande historique de la Fédération des Acteurs du Commerce dans les Territoires (FACT) pour faciliter les démantèlements d'anciens magasins et les reconvertir en commerces, services et logements.

La quatrième, enfin, donne la possibilité d'autoriser des projets dérogeant aux règles du plan local d'urbanisme (PLU). Par exemple, autoriser de l'industrie ou du logement qui n'était pas prévu dans la zone commerciale.

César Armand

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Commentaires 8
à écrit le 12/09/2023 à 16:04
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Un monde centré sur la consommation tout azimut ! Nous allons devoir encore supporter la litanie: production, innovation, publicité, distribution, consommation !

à écrit le 12/09/2023 à 11:24
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"Cora, Truffaut, Picard, Fnac, Darty, Decathlon, McDonald's, Orange... Vous avez faim ? Soif ? Besoin d'acheter quelque chose ? " Du parfum peut-être ? Des internautes ont appelé à boycotter Sephora, la chaîne de magasins de vente de parfums et ...

à écrit le 12/09/2023 à 8:48
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Dans les années 70 qui a créé le concept de la voiture et de la ville autour. Il serait plus judicieux que ces commerces ou au moins certains recolonisent les villes... essayer d'acheter de l'outillage lambda en centre ville, pour moi, il faut soit l...

le 12/09/2023 à 9:08
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"Il serait plus judicieux que ces commerces ou au moins certains recolonisent les villes... " Avec la ZFE prévue pour les centres-villes c'est pas gagné.

le 12/09/2023 à 15:53
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Je suis à 25min à pieds du centre ville (plus en revenant, ça monte...), et ne préfère pas que le bricolage soit en ville, 25 minutes de l'autre côté me va aussi bien, et y a moins (voire pas) d'habitants dérangés par les livreurs/camions à 6h du mat...

à écrit le 12/09/2023 à 8:18
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C'est en effet très moche représentatif par contre de la financiarisation de notre économie, plus ceux qui possèdent et détruisent le monde gagnent du fric et plus ils possèdent et détruisent le monde en ronflant. On leur doit cet enlaidissement mais...

à écrit le 12/09/2023 à 7:31
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Comment d´habitude notre État tout puissant peut faire n´importe quoi, et selon les époques change totalement de paradigme : on est donc passé à une limitation des grandes surfaces (pour « préserver le petit commerce », qui en fait pratiquait des pri...

à écrit le 11/09/2023 à 20:33
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Oui c'est moche et ce l'était encore plus il y a plus de 20 ans quand fleurissaient les 4x3 de l'affichage temporaire ou longue conservation aux entrées principales des villes!

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