Matériaux de construction : le BTP aura-t-il, un jour, son indice des coûts ?

Début 2023, le gouvernement pensait avoir trouvé une solution pour l'amélioration de la prévisibilité des prix sur les marchés publics et privés du BTP. L'exécutif avait alors promis pour avril un indicateur de l'Insee portant sur les coûts de production des matériaux. Sauf qu'à date, le compte n'y est pas. Et ce alors que l'Autorité de la Concurrence a été saisie et que trois options sont sur la table. Explications.
César Armand
L'Insee devait recueillir, auprès de producteurs volontaires, la structure de leurs coûts - répartis en six postes de dépenses - pour vingt catégories de matériaux.
L'Insee devait recueillir, auprès de producteurs volontaires, la structure de leurs coûts - répartis en six postes de dépenses - pour vingt catégories de matériaux. (Crédits : Reuters)

Alors que le secteur du bâtiment semble s'enfoncer chaque jour un peu plus dans la crise, redoutant une suppression de 150.000 emplois d'ici à 2025, les prix des matériaux de construction, eux, se calment. Ceux-ci s'étaient envolés du fait de la reprise de la demande, au lendemain du pic de la Covid fin 2020 jusqu'à l'été 2022 inclus, avant de connaître un recul rapide puis de remonter début 2023. « On constate, depuis le début du printemps, une baisse pour le PVC, l'acier, le plastique alvéolaire, l'aluminium, le cuivre... ou une quasi-stabilisation pour le béton prêt à l'emploi, la tuile, le verre », relevait, mi-septembre, la Fédération française du bâtiment.

Lire aussiBTP : la filière française du hors-site se structure pour construire le bâtiment de demain

Un dispositif d'analyse des coûts de production annoncé en janvier

Il n'empêche. Selon les chefs d'entreprise de plus de dix salariés interrogés par l'Insee, si les perspectives de prix « se tassent » depuis février, elles « restent orientées à la hausse ». En janvier, le gouvernement pensait d'ailleurs avoir trouvé une solution pour l'amélioration de la prévisibilité des prix sur les marchés publics et privés. Comment ? En créant un dispositif d'analyse des coûts de production, afin d'accompagner la filière face à l'augmentation des prix.

Un « outil objectif et indépendant destiné à éclairer les acteurs de la filière sur la décomposition des coûts de production de ces matériaux », vantait alors le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.

Pour établir leurs devis et marchés, les professionnels disposent déjà d'indices. Ces derniers sont calculés sur le matériel, les salaires et les charges, l'énergie, les matériaux, les frais divers et le transport liés à leurs activités, qui leur permettent de réviser et/ou d'actualiser le prix. En revanche, ils ne détiennent pas de tels renseignements traduisant les évolutions des différents facteurs de production.

C'est pourquoi l'exécutif avait mandaté l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) pour traiter et diffuser, « au plus tard en avril », un indicateur portant sur les coûts de production des matériaux. Pour ce faire, l'Insee devait recueillir, auprès de producteurs volontaires, la structure de leurs coûts - répartis en six postes de dépenses - pour vingt catégories de matériaux.

La mise en garde des industriels de la construction

A l'époque, le président de l'Association française des industries des produits de construction (AIMCC, 7.000 entreprises. 430.000 emplois, 45 milliards d'euros de chiffre d'affaires), qui regroupe les syndicats et fédérations d'industriels, Philippe Gruat, redoutait en effet que les règles de la concurrence ne soient pas respectées.

 « Dans chacune des familles de produit, il y a des situations d'oligopole. Si nous ne diffusons jamais les volumes, sauf avec un décalage de parfois un an, c'est justement pour éviter que chaque acteur connaisse les volumes des autres », affirmait-il à La Tribune.

De même qu'il défendait ses adhérents comme un « maillon de la chaîne », arguant du fait que les producteurs de matériaux sont des transformateurs « dépendant en amont des fournisseurs d'énergie et de matières premières » qui leur ont imposé « des hausses de prix considérables ». « C'est leur augmentation de prix qui nous a fait répercuter la nôtre. Nos marges opérationnelles ont été significatives malgré des volumes de bon niveau », insistait Philippe Gruat, président de l'AIMCC.

Lire aussiMatériaux de construction : Bercy demande aux fournisseurs d'être transparents sur les prix

Des professionnels se sont fait tirer l'oreille début avril

Toujours est-il qu'à date, le compte n'y est pas. L'indicateur a certes été mis en place, mais, selon des sources concordantes, tous les industriels n'ont pas joué le jeu et ont freiné des quatre fers. Mi-avril, interrogé par La Tribune, le président de la Fédération française du bâtiment avait donc « demandé officiellement aux producteurs de matériaux d'intégrer cette commission ».

« Des industriels se sont un peu fait tirer l'oreille. Bruno Le Maire a insisté et mobilisé la direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes (DGCCRF), au cas où certains seraient dans l'exagération des prix et afin qu'ils aient des comportements plus vertueux », enchaînait Olivier Salleron.

Une information confirmée alors par le cabinet du patron de Bercy. « Pour l'instant et malgré deux relances, les industriels, qui devaient donner leurs chiffres et sur une base volontaire et anonymisée, n'ont pas joué le jeu sur les 22 produits dont la liste était établie par l'Insee », affirmait-on du côté de chez Bruno Le Maire. Tant est si bien que le ministre de l'Economie devait les recevoir pour les « rassurer », notamment sur la compatibilité de la démarche avec le droit de la concurrence et du secret des affaires, ainsi que « leur intérêt à s'impliquer davantage ».

Lire aussiPrix des matériaux de construction : la pression monte sur les fournisseurs

L'Autorité de la Concurrence a été saisie

En réalité, dès le 24 avril, sous la pression des industriels, Le Maire a saisi l'Autorité de la Concurrence d'une demande d'avis. Un avis daté du 30 mai mais rendu public le 5 juillet dans lequel il est écrit que « l'expérimentation menée comporte des incertitudes et des risques ». Avant de pointer un dispositif au caractère « non-définitif et non-abouti ».

« Ses contours n'ayant pas été définis complètement au moment de la saisine, il est difficile pour l'Autorité de l'analyser et ce, d'autant que la saisine présentait selon le Gouvernement un caractère d'urgence », est-il encore précisé.

L'autorité administrative indépendante « s'interroge » ensuite sur le recours au volontariat des professionnels qui a conduit à un faible nombre de réponses et, « de ce fait à des résultats peu significatifs ».

« L'Autorité de la Concurrence relève également qu'en l'état, les résultats obtenus, s'ils étaient diffusés, pourraient conduire à une transparence trop importante sur les marchés les plus concentrés et, en conséquence, engendrer des risques concurrentiels », est-il encore souligné.

Trois options sont sur la table

Aujourd'hui, « l'Insee et le Médiateur des entreprises parlent de nouveau avec les acteurs », fait savoir Bercy à La Tribune. Ce que confirme le Médiateur des entreprises, Pierre Pelouzet, qui s'apprête à faire le tour des organisations professionnelles pour statuer lors d'une prochaine réunion du comité de crise BTP.

Trois options sont sur la table, confie le haut fonctionnaire à La Tribune. La première revient à analyser l'avis de l'Autorité de la concurrence afin de bâtir un outil qui réponde à ses préoccupations. La seconde vise à abandonner l'outil et à essayer d'en trouver un autre pour donner plus de transparence aux parties prenantes. La troisième consiste à dire que ce n'est plus le sujet, l'heure n'étant plus à la flambée des matières premières, mais au ralentissement fort des programmes de promotion immobilière.

« J'aimerais bien que nous avancions de manière dépassionnée. Nous pouvons le traiter de manière plus apaisée et trouver un consensus. Un jour ou l'autre, un tel outil pourra toujours resservir », poursuit Pierre Pelouzet, qui compte bien en sortir par le haut.

Contacté par La Tribune, le président de l'Association française des industries des produits de construction (AIMCC) réplique que « les industriels qui pouvaient répondre ont répondu ». « Les prix des matériaux sont suivis et connus. La composition des coûts, ce n'est pas la même chose », ajoute-t-il.

Avant de fermer le ban : « L'inflation liée aux prix de l'énergie et des matières premières est un peu derrière nous. Aujourd'hui, notre préoccupation à tous, c'est l'activité et le volume de travaux. Nous sommes solidaires de toute la chaîne de la construction ».

César Armand

Sujets les + lus

|

Sujets les + commentés

Commentaire 0

Votre email ne sera pas affiché publiquement.
Tous les champs sont obligatoires.

Il n'y a actuellement aucun commentaire concernant cet article.
Soyez le premier à donner votre avis !

-

Merci pour votre commentaire. Il sera visible prochainement sous réserve de validation.