BTP : la filière française du hors-site se structure pour construire le bâtiment de demain

La construction hors-site, qui se définit par de la préfabrication en usine avant de l'assemblage de modules sur site, ne représente que 1% du chiffre d'affaires de la construction en France. Et ce malgré ses avantages climatiques, économiques et qualitatifs par rapport à un chantier traditionnel. Pour accélérer en cette période de crise immobilière, une association des acteurs du hors-site français vient de voir le jour. Décryptage.
César Armand
A Balbigny, à mi-chemin de Noirétable et de Lyon, autre lieu, autre ambiance. D'ici sortent des modules plus élaborés avec, au choix, buanderies, bureaux, placards, salles de bain, toilettes...
A Balbigny, à mi-chemin de Noirétable et de Lyon, autre lieu, autre ambiance. D'ici sortent des modules plus élaborés avec, au choix, buanderies, bureaux, placards, salles de bain, toilettes... (Crédits : C.A.)

Qui n'a jamais rêvé de jouer aux Lego une fois adulte ? A Noirétable dans la Loire, dans un hangar entre deux paysages vallonnés, se fabriquent des ossatures en bois pour le bâtiment: façades, murs, planchers, poteaux et poutres. Autant d'éléments qui permettent de construire des résidences spécialisées à étage :bureaux, habitats collectifs, hôtels, logements étudiants...

Dans cette usine Ossabois, tout projet est conçu et modélisé sur une maquette numérique dite BIM (building information modeling, Ndlr) où se trouve le nombre exact de chaque élément nécessaire, de la plus petite vis au plus grand panneau d'assemblage. Une base de données qui offre de multiples combinaisons au regard des expériences passées.

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Une machine se charge de lire la maquette numérique du projet et assemble les panneaux selon le schéma préétabli. Au bout de la ligne de production, un ouvrier repasse derrière avec la visseuse au cas où. Un autre installe la laine de bois dans le plancher. Un troisième pose le pare-vapeur, un plastique qui assure l'étanchéité à l'air.

A Balbigny, à mi-chemin de Noirétable et de Lyon, autre lieu, autre ambiance. D'ici sortent des modules plus élaborés avec, au choix, buanderies, bureaux, placards, salles de bain, toilettes...

Une fois terminés, ces éléments sont assemblés sur le terrain les uns sur les autres grâce à un engin de levage avant d'être raccordés à des gaines d'eau et d'électricité sur le chantier. C'est la technique de la construction hors-site ou industrialisée.

1% du chiffre d'affaires de la construction en France

Une technique qui ne représente que 1% du chiffre d'affaires de la construction en France, mais qui fait l'objet d'un portage politique cahin-caha depuis mars 2019. A l'époque, le ministre de la Ville et du Logement d'alors, Julien Denormandie, avait missionné l'économiste Robin Rivaton et le patron Bernard Michel sur l'innovation dans l'immobilier.

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Sauf que c'est seulement en février 2021 que le rapport est déterré par la ministre Emmanuelle Wargon peu avant la présentation de la nouvelle mouture de la réglementation environnementale des bâtis neufs, dite « RE 2020 » dans le jargon.

Pour ses deux co-auteurs, 80 à 85% des travaux pourraient en effet être réalisés en usine contre actuellement à peine 10%. Cela permet de limiter les surcoûts liés à la malfaçon - un matériau mal placé - et de maîtriser le coût carbone - réemploi ou recyclage des matériaux -. De même que la production en usine « garantit une qualité constante » et restreint les nuisances en phase chantier : le bruit, la poussière, le va-et-vient des camions...

« Le développement de la construction hors-site passera par la commande publique et les zones d'aménagement concerté (ZAC). Si elle est compétitive, elle se diffusera. Plus elle se diffusera, plus les économies d'échelles seront importantes, plus son coût diminuera. Il ne reste qu'à amorcer la pompe », insistaient Robin Rivaton et Bernard Michel.

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L'appel de Borne à bâtir une filière d'excellence

Un message désormais entendu au sommet de l'Etat. En conclusion du Conseil national de la refondation (CNR) logement en juin dernier, la Première ministre Elisabeth Borne a appelé les élus locaux, les aménageurs, les promoteurs, les architectes, les entreprises du BTP et les industriels à « bâtir une filière d'excellence de la construction hors-site ».

Un appel reçu 5 sur 5 par l'Université de la ville de demain, un rassemblement de 200 dirigeants politiques, publics et privés, qui s'est engagé, fin juillet, à créer une filière. C'est enfin chose faite depuis ce 18 octobre.

Une association des acteurs du hors-site français vient de voir le jour à l'initiative du bailleur social 3F (groupe Action Logement, 298.000 logements), de l'aménageur public francilien Grand Paris Aménagement et de la Société du Grand Paris, qui construit le Grand Paris Express, le super-métro et les nouveaux quartiers de gare.

3F clame ainsi avoir lancé trois opérations pilotes dès 2021 totalisant 104 logements et déclare aujourd'hui dix-sept opérations en cours d'études et de faisabilité d'un total de 600 logements. Son objectif à 2030 : 50% des programmes intégrant de la construction hors-site.

Le vice-président (UDI) du conseil régional d'Île-de-France Jean-Philippe Dugoin-Clément et, à ce titre, président de Grand Paris Aménagement et de l'établissement public foncier d'IDF (EPFIF) rappelle, lui, l'importance de créer un écosystème pour mutualiser les efforts et permettre un échange des savoirs.

Du côté de la Société du Grand Paris (SGP), le directeur exécutif chargé de la stratégie, de l'environnement et de l'innovation, John Tanguy, entend, de son côté, être en avance de phase sur les enjeux de décarbonation, ainsi qu'à la pointe de la sécurité pour ses compagnons.

« C'est une très bonne nouvelle de voir que des acteurs aussi importants que 3F et GPA prennent à bras le corps le sujet du hors-site en s'attaquant au sujet numéro 1 de la demande. Sans volume, il n'y a aucune possibilité de faire les investissements dans les unités de production », réagit, pour La Tribune, l'économiste Robin Rivaton.

Une charte pour le développement de la construction hors-site

3F, GPA et la SGP ont également signé une charte pour le développement de la construction hors-site aux côtés de l'aménageur de Marne-la-Vallée EpaMarne-EpaFrance, du groupe ADP, de la RATP, de l'Ordre des architectes Île-de-France, ou encore d'Adoma et de Grand Paris Habitat, entités de CDC Habitat, elle-même filiale logement de la Caisse des Dépôts.

« Face à la crise environnementale, au marché du logement en tension, à la volatilité des prix de la construction, à l'inflation des coûts de l'énergie, à la pénurie de main d'œuvre ou encore à la raréfaction des ressources, il est nécessaire de réinterroger l'acte de construction et de chercher à le rationaliser », décrypte un porte-parole de CDC Habitat à La Tribune.

Autre à parapher : SNCF Immobilier qui porte un projet avec la Banque des territoires (groupe CDC), le département de Seine-Saint-Denis, ICF Habitat, filiale logement social de la SNCF et le groupement Selvea : les bâtiments mobiles et modulables. Des constructions déplaçables et réversibles au moins trois fois en vingt ans selon les besoins.

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Parmi les autres adhérents pour lancer la filière, se trouvent aussi le bailleur social Batigère, la filiale de logement intermédiaire d'Action Logement dans la région-capitale In'li, les promoteurs Axe Immobilier, Continental Foncier, Edelis Immobilier ou encore GA Smart Building, dont, assure-t-il, 100% des réalisations neuves sont réalisées en construction hors-site.

« Notre objectif aujourd'hui, c'est de faire progresser la rénovation hors-site qui est, de notre point de vue, la construction de demain. A ce stade, cela ne représente que 20% de l'activité rénovation chez nous. Une part que nous souhaitons faire progresser », souligne, auprès de La Tribune, une porte-parole de GA Smart Building.

De plus en plus de fabricants

Chez les fabricants, sont présents Eiffage, Keys Reim, Avelis, Cougnaud, la fédération de l'industrie du béton, Wall'up Préfa, WBI, Woodeum, ainsi que Vestack qui travaille déjà avec 3F sur des logements sociaux à Marcoussis et des foyers de jeunes travailleurs à Trilport.

« Nous avons plus que doublé notre volume d'affaires en 2023 et visons une forte croissance sur les années à venir. Nous nous appuyons notamment sur le fonds Mirova, bras armé de BPCE dédié à la finance à impact », dit, à La Tribune, son co-fondateur Sylvain Bogeat.

Autre façonnier : Mayers, filiale du promoteur immobilier Réalités, qui propose une offre de logement intermédiaire à 1.690 euros par mètre carré, livrable en onze mois entre la commande et la livraison de la résidence de 6 à 30 logements sur trois niveaux. Ultime promesse faite à La Tribune : des économies sur le chauffage de 35%.

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Pour autant, tous les fabricants ne font pas encore partie des happy few, à l'image de Capremib ou de TH. La première, filiale du groupe de BTP Demathieu Bard, vient d'investir 6 millions d'euros pour agrandir son usine de Cormicy, notamment pour produire des dalles bois-béton.

La seconde, née en 2014 en Haute-Savoie, implantée dans le Jura et bientôt dans l'Aisne, revendique, elle, 450 modules et 380 logements déjà livrés. Cette jeune pousse TH, qui ambitionne de livrer 550 modules par an dès 2025, a pour ce faire levé 8 millions d'euros au premier semestre, notamment auprès de Saint-Gobain France.

Le fabricant et distributeur de matériaux de construction, qui compte une business unit Solutions Modulaires et Hors-Site, « participe ainsi à l'émergence de nouveaux constructifs innovants en y apportant toute son expertise de recherche et développement, en ligne avec la stratégie du groupe d'être leader de la construction légère et durable », explique une porte-parole de Saint-Gobain à La Tribune.

Complètent la galerie l'Ordre des Architectes, Martin Duplantier Architectes, Enia Architectures, Itar Architectures, Moon Architectures, ainsi que les assistants à la maîtrise d'ouvrage BIM fox, BTP Consultants, MW, Scoping et Socotec.

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 Sans oublier les maires...

Il n'empêche : il ne faudrait pas oublier les maires compétents en matière d'octroi ou non de permis de construire. A cet égard, Jean-Michel Morer de Trilport (Seine-et-Marne) fait figure de pionnier.

Dans sa commune, l'édile a non seulement accompagné l'émergence d'une filière courte de chanvre comme isolant, mais il a également poussé le béton de chanvre en hors-site. Résultat : un réfectoire et un accueil périscolaire de 1.000 m² seront livrés avant l'été 2024.

« Même si le soin architectural est un pré-requis, ce n'est pas pour autant la réponse qui va désarmer les opposants à la transformation urbaine », nuance Jean-Michel Morer.

Car même hors-site, cela reste une nouvelle construction possiblement sujette aux recours...

César Armand

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Commentaires 5
à écrit le 19/10/2023 à 8:25
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Le lobby du BTP est très gros et comme tout lobby sont but est d'imposer une stagnation générale, d'empêcher les nouveaux acteurs et donc les nouvelles idées d'émerger.

à écrit le 18/10/2023 à 21:35
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certes, et donc a la fin, pour le prix d'une vraie maison - 5%, t'as du ikea que tu peux detruire dans 20 ans.......ca, c'est bien pour les marches publics ou l'argent ne coute rien, il suffit d'augmenter les impots les lois et les normes, mais pour ...

à écrit le 18/10/2023 à 17:37
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...et à la sortie on a...une maison de "m.. e". Enfin quand on dit "maison" il faut penser "Abri" .Remember les maisons Phenix.

à écrit le 18/10/2023 à 13:23
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Les coûts de main-d’œuvre représentent entre 40 et 50% du coût total d’un projet de construction et autour de 60% pour les travaux de maçonnerie ou d’électricité. Ils sont loin des standards industriels. À titre de comparaison, le coût du travail dan...

à écrit le 18/10/2023 à 13:13
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Il serait temps. C'est le premier moyen soutenable de faire baisser les couts sans demander des subventions ou des niches. "La construction hors-site, qui se définit par de la préfabrication en usine avant de l'assemblage de modules sur site, ne rep...

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