RE 2020 : "Il n'y a pas eu assez de concertation" Gremillet et Petry font le même constat

INTERVIEW. Le sénateur (LR) des Vosges, Daniel Gremillet, et le président du Syndicat français de l'industrie cimentière, François Petry (également DG de LafargeHolcim France), s'accordent sur un point: la future réglementation environnementale des bâtiments neufs ne prend pas en compte tous les facteurs responsables des émissions de CO2.
Daniel Gremillet (Sénat) et François Petry (SFIC et LafargeHolcim France).
Daniel Gremillet (Sénat) et François Petry (SFIC et LafargeHolcim France). (Crédits : DR)

LA TRIBUNE - Daniel Gremillet, dans votre rapport sur « L'impact économique de la réglementation environnementale 2020 », vous écrivez que les professionnels de la construction « craignent » que la RE2020 « ne pénalise » les matériaux de construction traditionnels selon l'analyse de cycle de vie dynamique (ACV). Pourquoi ?

DANIEL GREMILLET - C'est tout le problème. Il n'y a pas eu assez de concertation. La méthode gouvernementale n'a pas nécessairement pris en compte la réalité. Nous y aurions tous gagné s'il y avait eu davantage de clairvoyance.

FRANÇOIS PETRY - 
Alors que nous y avons travaillé tous ensemble, les décisions prises n'en ont pas tenu compte. Des options ont été poussées, à tel point que nous considérons désormais qu'elles favorisent le bois et les matériaux biosourcés, sans prendre en compte leurs émissions de dioxyde de carbone en fin de vie. Cela reste très déséquilibré.

Pourtant, la deuxième mouture du gouvernement repose désormais sur une exigence de résultats et non plus de moyens, de même qu'elle favorise la mixité des matériaux. Autrement dit, toutes les matières sont acceptées, y compris le béton, à condition d'être décarboné ?

D.G. - Sur des sujets aussi majeurs, qui auront des conséquences économiques et financières, ce n'est pas neutre. Alors que nous n'avons jamais eu autant besoin de soutenir la production de logements individuels et collectifs, cela risque d'augmenter les coûts de 1 voire de 1,5 point.

F.P. - Le sujet du mix est une possibilité, mais privilégions la bonne utilisation du bon matériau au bon endroit et dans les bonnes quantités. A la différence du bois, le béton a des caractéristiques de recyclabilité, de durabilité et d'inertie thermique. Du temps est tout de même nécessaire pour investir et mettre en place les techniques de diminution de son empreinte carbone.

Monsieur le sénateur, vous avez été missionné au départ pour « aider les ménages et les entreprises à renforcer l'efficacité énergétique des logements neufs ». Pourquoi avez-vous finalement mis l'accent sur les matériaux de construction ?

D.G. - Si personne ne remet en cause la « RE2020 », trois éléments sont apparus au cours des soixante auditions de personnalités que j'ai menées. La première est la fin des chaudières à gaz à terme. Passer à un tel schéma risque d'être très compliqué, d'autant que les professionnels prévoient leurs systèmes de chauffage dès la fin de l'année précédente.

« Des permis de construire pour des maisons individuelles chauffées au gaz pourront être obtenus jusqu'à fin 2023 lorsqu'un permis d'aménager prévoyant une desserte en gaz a déjà été délivré », ont pourtant rectifié, en février dernier, les ministres de la Transition écologique Barbara Pompili et du Logement Emmanuelle Wargon...

D.G. - Certes, mais cela demande un temps d'adaptation et de soutien aux entreprises. Un besoin de formation des salariés sera nécessaire.

Je suis par ailleurs élu du département le plus boisé de France - les Vosges - où la filière est très importante, avec un vrai savoir-faire, mais je n'en demeure pas moins très soucieux d'atteindre la neutralité carbone. Il m'apparaît donc essentiel que le bilan carbone soit celui de la proximité et des territoires. Ériger avec du bois et des ossatures issus de contrées lointaines, ce ne sera pas bon.

Nous sommes en outre au début d'une évolution, voire d'une révolution des matériaux. Il faut un peu de temps pour permettre l'innovation avec des prix de revient acceptables.

F.P. - Le ciment et le béton bas-carbone impliquent des investissements massifs. La France ne doit pas passer à côté de l'innovation. Il est extrêmement important de mettre en place des référentiels pour permettre l'évolution, l'adaptation et le développement. Nous ne devons pas devenir des importateurs, mais des exportateurs.

Faut-il des moyens spécifiques ?

D.G. - De la même manière que je suis rapporteur pour avis des crédits Énergie dans le cadre des projets de loi de finances (PLF), j'ai été celui de la loi « Énergie Climat » en 2019, et à ce titre, je considère qu'il faut repositionner en France la production et établir un bilan carbone final.

Par exemple, les panneaux photovoltaïques relèvent des énergies renouvelables, mais viennent d'Asie, alors que nous sommes en capacité de réussir. Plutôt que de laisser les prix s'envoler de 3% à 5% en 2021, voire de 15% en 2030, relevons le défi industriel pour que ce soit supportable.

F.P. - Il faut effectivement prendre en compte l'ensemble des empreintes carbones. J'insiste, mais l'ACV dynamique ne compte pas de la même façon les émissions de dioxyde de carbone des différents matériaux. Faisons des calculs réels au niveau national et global. C'est une vision très partielle des choses que de ne pas penser la durabilité et la recyclabilité quasiment à l'infini des granulats. Nous dénonçons une erreur, voire une injustice.

« Une injustice » ! Partagez-vous ce jugement ?

D.G. - Quelle que soit la filière, je ne parle plus de déchets mais de co-produits qu'on peut travailler à l'infini. Nous sommes au début d'une ère de la chimie verte qui va nous réserver de belles surprises. Les filières ont bien progressé, avec des mises en œuvre différentes que par le passé. Je sais que les entreprises sont capables de relever le défi.

F.P. - 
La filière cimentière apporte de réels services aux territoires. C'est peu connu mais plus de 40% des énergies utilisées dans nos cimenteries sont des combustibles de substitution (qui évitent l'utilisation des énergies fossiles), c'est-à-dire des déchets non recyclables qui finiraient en décharge sans notre industrie. Si nous ne construisons plus de maisons, si les maçons ne peuvent plus travailler, nous aurons un vrai sujet sur le maintien de l'emploi, et les Français, un problème de logement.

La transformation bas carbone de notre secteur, je le répète, exige des investissements majeurs avec des financements importants. Si le marché français n'est plus attractif, il sera compliqué de convaincre les investisseurs de franchir le pas. Il est extrêmement important de ne pas perdre de temps, de ne pas manquer cette opportunité. Sinon, cela se passera ailleurs qu'en France.

Vous êtes rapporteur du projet de loi « Climat et Résilience », actuellement en débat au Parlement. Allez-vous nourrir le texte gouvernemental de vos propositions ?

D.G. - Le zéro artificialisation nette ainsi que l'interdiction de louer une « passoire thermique » peuvent générer des tensions sociales très importantes. Il vaut mieux des gens sous des toits que sous des tentes. Pour éviter cela, la France doit rester dans un rythme soutenu de constructions neuves.

F.P. - Après 2020, marquée par une chute des constructions et des mises en chantier, et une année 2021 qui sera aussi basse, les conséquences de la RE 2020 sont un sujet d'inquiétude majeure pour nos industries. Et ceci d'autant plus que nous savons pourtant apporter des solutions innovantes, respectueuses de l'environnement, aux problématiques d'aménagement. Nos matériaux permettent de marier espaces verts, voiries et chemins piétons de la même façon qu'ils permettent de traiter les îlots de chaleur urbains grâce à des matériaux clairs.

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