
Six pourcents de chômage et un bon millier d'emplois directs à pourvoir dans l'industrie dans les deux à trois prochaines années, sans compter les centaines d'autres dont auront besoin les sous-traitants en ingénierie, transport ou logistique. C'est l'équation redoutablement compliquée que va devoir résoudre la plateforme pétrochimique de Port-Jérôme, fer de lance économique de l'agglomération Caux Seine. Depuis un an, ce vaste complexe industriel situé à l'embouchure de la Seine se trouve en effet en butte à une vague d'investissements comme il n'en avait pas connu depuis les trente glorieuses.
D'Air Liquide à Eastman en passant par Futerro, Oril et Plastic Energy, les annonces de créations ou d'extensions d'usines dans l'économie circulaire et les nouvelles énergies se sont multipliées ces derniers mois. Avec pour corollaire un (très) gros appel d'air à venir sur les emplois ouvriers : opérateurs de production, techniciens de maintenance, soudeurs.... De loin les plus difficiles à pourvoir. A l'approche des premières embauches, Régis Saadi, président de France Chimie Normandie par ailleurs directeur des affaires publiques d'Air Liquide Industrie, ne cache pas une certaine inquiétude.
« Les industriels sont habitués à renouveler leur personnel, mais ce qui change ici c'est l'échelle. C'est monstrueux ce qui va se passer et ce n'est pas étalé sur quinze ans mais sur un temps court », prévient-il.
Exagéré ? Pas si sûr. En quatre ans, le bassin a vu son taux de chômage passer de 10 à 6% et la pénurie guette, reconnaît Philippe Barnabé, directeur territorial de Pole Emploi. « Le marché de l'emploi est devenu très concurrentiel dans l'ensemble de la Seine-Maritime où 4.000 chômeurs ont retrouvé un travail en l'espace d'un an », souligne t-il.
Le groupe Eastman est bien placé pour le savoir. L'américain, qui doit lancer sous peu la construction ex nihilo d'une usine de recyclage chimique de déchets plastique, se prépare à recruter 350 collaborateurs « dont les deux tiers de cols bleus ». Pas vraiment une promenade de santé, à écouter sa DRH, transfuge de Renault et de Plastic Omnium. « Le paysage change, constate Catalina Mazoyer. Hier dans l'automobile, on appuyait sur un bouton et on recevait des dizaines de candidats qu'il fallait intégrer. Aujourd'hui, notre première mission est de sourcer des CV ». Conséquence, les entreprises industrielles se trouvent souvent contraintes de prospecter hors des communes proches ou d'aller chercher des personnes dites « très éloignées de l'emploi » voire en reconversion.
Une force d'intervention en piste
Face à défi, organisations professionnelles et pouvoirs publics ont décidé d'unir leurs forces et de créer une sorte de force d'intervention rapide sous le nom de cellule emploi/formation. En sont membres la préfecture, les collectivités (Région, Département et agglo), France Chimie, Pole Emploi et les antennes des Missions Locales et de Cap Emploi. Objectif : coordonner les efforts des uns et des autres au service des grands projets industriels de l'agglomération Caux Seine. En clair, éviter que chacun ne joue sa partition isolément. « Il s'agit de bâtir une offre de services documentée pour éviter d'aggraver les tensions », résume Jean-Benoît Albertini, préfet de Seine-Maritime. Opérations de marketing territorial, mise en place de formations, mobilisation des allocataires du RSA, sensibilisation des familles... Tout est sur la table.
Le dispositif sera t-il suffisant pour répondre à la demande ? Bien malin qui pourrait l'affirmer. Malgré les promesses de décarbonation qu'elle revendique pour séduire la jeune génération, la plateforme pétrochimique de Port-Jérôme pourrait se voir griller la politesse par la filière nucléaire. Réputée plus rémunératrice, cette dernière est aussi en quête de « bras » pour la construction des deux EPR de Penly (Seine-Maritime), tout proches. « Nous devons prendre garde à ce que les entreprises ne débauchent pas des salariés chez leurs voisins », admet Gilles Carpentier, directeur de l'agence de développement Caux Seine.
Pour le président de France Chimie Normandie, une chose est sûre : les industriels pourront difficilement se passer de la main-d'œuvre étrangère. « Il va falloir urgemment se poser la question de l'immigration choisie », insiste t-il. Précisément celle que se pose en ce moment une bonne partie de la classe politique.
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