"On ne se privera pas d'une cotation au Nasdaq" (PDG de Genfit)

Genfit espère lancer en 2019 son produit phare contre la Nash, une pathologie du foie qui peut évoluer en cirrhose, avec marché estimé à plusieurs dizaines de milliards d'euros. La biotech lilloise, qui jusqu’à aujourd'hui s'est contentée de lever des fonds sur le continent européen, envisage se coter au Nasdaq, explique à La Tribune Jean-François Mouney, PDG de la Genfit.
Jean-Yves Paillé

LA TRIBUNE - Vous comptez beaucoup sur l'Elafibranor. Votre traitement principal contre la NASH, une pathologie du foie qui peut évoluer en fibrose, cirrhose et cancer de l'organe. Quand espérez-vous pouvoir le commercialiser ?

JEAN-FRANÇOIS MOUNEY - On compte boucler le recrutement des mille patients de l'étude de phase III d'ici à  mars-avril 2018. On comparera une biopsie (prélèvement d'un tissu pour établir un diagnostic, NDLR) réalisée au bout de 18 mois après le suivi du traitement, à une biopsie réalisée au début de l'étude. Si nous parvenons à éliminer la nécrose cellulaire et l'inflammation dues à la pathologie, on obtiendra des résultats positifs nous permettant d'envisager la commercialisation de notre produit. Les résultats de l'essai sont attendus pour le 2e semestre 2019. Nous déposerons alors une demande d'autorisation de mise sur le marché en Europe et aux États-Unis en 2020.

Si nous obtenons un feu vert, ce sera une autorisation à titre conditionnel. Nous recruterons  ensuite 1.000 patients supplémentaires dans le cadre d'une étude visant à mesurer si une cirrhose apparait plus tard si le patient traité avec notre produit. On observera aussi la survenance de maladies cardiovasculaires chez les patients.

Le marché de cette maladie du foie est chiffré à plusieurs dizaines de milliards de dollars par an, d'après plusieurs analystes. Comment en arrive-t-on a de tels chiffres ?

Personnellement, je considère que ce marché représente 20 et 40 milliards d'euros. Le chiffre bas concerne les patients à haut risque, dont la maladie peut se transformer en cirrhose dans les 5 ans. Des personnes de 40 ans pourraient en développer une également au bout de dix ans ou 15 ans, et cela qui peut potentiellement doubler le marché.

Cela pourrait représenter des coûts en médicaments non négligeables pour les systèmes de santé... Ne craignez-vous pas une concurrence avec d'autres pathologies pouvant pousser les organismes payeurs à faire baisser les prix des nouveaux traitements, comment c'est le cas aux États-Unis avec le diabète  ?

C'est plus compliqué que cela. Les prix des antidiabétiques baissent en raison de la concurrence effrénée entre les acteurs fabricants d'insulines. Dans le cas d'une maladie chronique comme la Nash, il faut observer le coût social. Pour cette pathologie, liée à un grand nombre d'accidents cardio-vasculaires- ou du diabète, l'impact économique fait clairement plonger les systèmes de santé.

Nous demanderons aux alentours 15.000 dollars par an et par patient. Concernant, l'Europe nous n'avons encore rien fixé. Nous réalisons des études d'acceptation de produit et de pharmaco-économie.

Vous avez lancé en début d'année un programme d'éducation sur la Nash. Dans quel objectif ?

On veut montrer l'ampleur de la prévalence de cette maladie. On s'est rendu compte qu'elle était mal définie. Elle était ignorée, car les médecins ne pouvaient rien proposer à part une biopsie. En outre, il y avait aussi une confusion de la part de certains professionnels de santé entre la cirrhose alcoolique et la non-alcoolique. Seule cette dernière est liée à la Nash. On veut aussi montrer qu'aujourd'hui il y a une croissance de la prévalence de cette maladie, une résultante d'une obésité et d'un diabète grimpant à une vitesse alarmante au niveau mondial.

Vous faites face à un grand nombre de concurrents dans les maladies du foie, dont Allergan, Novartis, Gilead. Mais vous vous dites placé dans le haut du panier...

Gilead et Allergan sont placés après Genfit et Intercept en ce qui concerne les chances d'accès prochain au marché. Mais nous sommes les seuls à avoir démontré la capacité de la molécule à résoudre la Nash sans aggravation de la fibrose, et il s'agit du critère principal. Nous sommes également les seuls à avoir montré une protection cardiovasculaire chez les personnes atteintes de la Nash avec notre traitement.

Intercept, notre concurrent le plus important, connait des difficultés. Il fait face à des situations de toxicité hépatiques chez les patients prenant son traitement, ainsi qu'une augmentation du mauvais cholestérol, qui n'est pas réglée totalement avec les statines.

Nous avons démontré il y a deux jours, dans une nouvelle étude réalisée par un comité indépendant réunissant un hépatologue, un cardiologue, un lipidologue, entre autres, la non-toxicité de notre traitement, et la sécurité de son emploi. Aucune réserve n'a été émise sur notre étude clinique.

Vous misez énormément sur l'Elafibranor. Mais si le produit ne passe pas les essais cliniques, on peut se poser la question de la solidité du reste de votre portefeuille...

Les critiques devraient comparer la situation de Genfit il y a deux ans à celle d'aujourd'hui. Notre produit principal  est amené à être utilisé pour d'autre s indications. Nous avons une étude en phase II pour le traitement de la cholangite biliaire primitive, une maladie chronique d'origine auto-immune.

On dispose également d'un autre traitement lancé dans la fibrose, c'est un produit de repositionnement. Nous ne possédons pas le pipeline de la société BMS. Mais nous avons quand même beaucoup de possibilités de créer de la valeur de manière variée, avec en outre  des études de combinaisons de plusieurs de nos molécules pour d'autres indications. Nous nous sommes aussi lancés récemment dans le développement de diagnostics de la Nash par prise de sang.Enfin, on réfléchit à des acquisitions potentielles de molécules. Il pourrait s'agir de produits pouvant être en phase II/IIb.

Nous parvenons à lever des fonds importants, et c'est la preuve d'une forte probabilité que Genfit connaisse le succès.

Justement, votre stratégie financière sort des sentiers battus par rapport à celle des autres biotechs françaises de taille et d'ambition comparables. Vous n'êtes pas coté au Nasdaq par exemple...

Nous n'avons jamais eu de difficulté à trouver de l'argent en Europe. On a levé 180 millions d'euros récemment dans le cadre d'une émission d'obligations il y a quelques jours. On a certes réalisé beaucoup de levées de fonds privés auprès d'actionnaires américains. Mais le fait qu'on soit coté seulement sur Euronext (lGenfit jouit de 701 millions d'euros de capitalisation boursière) ne les a pas chagrinés.

Le Nasdaq est intéressant si l'on considère qu'il représente un moyen de poser un vrai pied aux États-Unis. Mais l'autre pied doit être industriel, commercial, et réglementaire. S'y introduire est également un bon moyen d'asseoir une grande notoriété publique et institutionnelle. Nous essayons aujourd'hui de l'asseoir d'abord sans passer par le Nasdaq. Mais on ne se privera pas de s'y coter avant la sortie de notre produit. Ce sera plus pour s'inscrire dans le panorama financiaro-économique américain, que pour lever des sommes importantes.

Êtes-vous ouvert à un rachat de votre produit principal par une société pharmaceutique ?

On est en effet ouvert à un rachat si une société décide d'y mettre le prix, et si cela permet de développer le produit jusqu'au marché.

Jean-Yves Paillé

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