Où va la médecine générale en France ?

Mouvement de grève sans précédent. Des médecins généralistes inquiets pour les patients face à la pénurie réelle de médecins, mais aussi plus largement inquiets pour l’avenir même de leur discipline. (Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque).
(Crédits : Istock)

« Ils veulent tuer la médecine générale. » Ce mot d'ordre est sur toutes les lèvres en ce mardi 14 février à Paris alors que les praticiens de santé manifestent entre le ministère de la Santé et le Sénat où est examinée une proposition de loi contre laquelle les médecins libéraux sont très remontés. Dans le cortège qui compte environ 3 000 personnes, un fait historique : tous les syndicats de médecins ainsi que l'ordre des médecins sont représentés. Pour la première fois. Tous et toutes évoquent des « conditions de travail ubuesques » ainsi qu'un « manque criant de considération » et une « vision stratégique pour sauver le système de santé et la médecine » de la part du gouvernement. En cause également, lors de ce mouvement, la proposition de loi qui vise à permettre à des pharmaciens et/ou des infirmiers de réaliser certaines prescriptions de médicaments sans que le patient ait à se déplacer chez le médecin. « Nous proposons cela pour répondre aux besoins de santé des Français », a indiqué le ministre François Braun. « Argument fallacieux » rétorquent les généralistes. « Faire une prescription, cela nécessite de faire d'abord un diagnostic et pour cela il faut être médecin », tonne Jean-Christophe Nogrette, médecin généraliste à Feytiat en Haute-Vienne (87) à quelques kilomètres de Limoges.

Quoi qu'il en soit, ce que révèle ce mouvement est triple. D'abord un profond malaise vécu et réel des médecins généralistes. Ces derniers sont au cœur de l'architecture du système de santé tel qu'il est construit en France, et ils sont pourtant « traités comme les dernières roues du carrosse. À ce rythme-là, dans dix ans vous n'aurez plus aucun étudiant en médecine qui voudra devenir généraliste », prévient Nogrette. Ensuite, ce mouvement et cette troisième grève en à peine trois mois viennent souligner l'incapacité des gouvernements successifs à planifier une politique de santé et ainsi à anticiper les départs à la retraite des médecins baby-boomers, et ils accentuent le désespoir des médecins. « Lorsque j'ai commencé ma médecine en 1990, l'une des premières choses dont j'ai entendu parler est cette problématique du numerus clausus trop étroit et du risque criant du manque de médecins », enrage dans le cortège du 14 février, Cyril un médecin parisien. Un autre, plus âgé, réagit aux propos de Cyril : « Nous en parlions déjà en 1980 lorsque j'ai moi-même commencé mes études. Il est lunaire d'en discuter encore en 2023. »

Enfin, le troisième élément qu'illustre le mouvement est le réel attachement des Français à la médecine générale mais aussi, et surtout, à leurs généralistes. Selon un sondage IFOP/Medef réalisé en mai 2022, sur l'attitude des Français par rapport à leur système de santé, il ressort d'abord que 75 % des Français font confiance à ce système, et que sur l'ensemble des secteurs d'évaluation de la performance des soins apportés cela donne une opinion très positive. Le seul obstacle est l'accès aux soins qui est le seul point sur lequel les citoyens français estiment que le système de santé est perfectible. Et les demandes des patients sont encore plus intéressantes puisque leur envie est de voir que le gouvernement permet le recrutement d'un « plus grand nombre de personnels soignants » et aussi de « fluidifier les relations entre les différentes spécialités ». De même, la grève des médecins a été largement soutenue par les patients. Certains étaient même en marge du cortège du 14 février. « Je suis là pour soutenir mon généraliste dans son combat. Avoir déshabillé complètement cette densité médicale qui faisait l'une des spécificités du système de santé hexagonal est une erreur grossière qui est imputable à de nombreux gouvernements », regrette Josiane, 64 ans. Et d'ajouter : « Mes enfants habitent à la campagne dans un désert médical. Ils sont obligés de venir à Paris pour avoir un médecin traitant. Ce n'est pas normal. »

Ainsi, le mouvement est plus large qu'une simple revendication autour de l'augmentation du prix des consultations. Il s'agit de l'essence même du métier de généraliste. « En décidant de pallier le manque par un détricotage de ce qui constitue le cœur même du métier de généraliste, c'est-à-dire le suivi des maladies chroniques, la prescription et l'inscription dans un temps long de la relation au patient, le gouvernement prépare la durabilité de la pénurie. Aujourd'hui, il n'y a pas assez de médecins généralistes car ils n'ont pas eu le courage d'augmenter le numerus clausus il y a dix ou quinze ans. Demain, non seulement ce problème demeurera, mais en plus les étudiants ne voudront plus devenir généralistes car le métier aura été complètement vidé de sa substance. Les Français doivent prendre conscience que nous sommes en train de changer le paradigme de leur système de santé », analyse ainsi le docteur Nogrette.

Une impression confirmée par les deux autres généralistes que la Revue T a interrogés (voir pages 96 et 97) : le docteur Émilie Ferrat, installée dans une maison de santé pluridisciplinaire à Saint-Maur-des-Fossés dans le 94, et le docteur Mathilde Lacourcelle, exerçant dans une maison de santé dans un village de Corrèze (19).

Dans ces mots, les maux de la médecine d'aujourd'hui. Les maux d'une profession exercée par des passionnés au bout du rouleau qui ont l'impression désagréable d'être montrés du doigt comme étant les responsables de la crise alors qu'ils font tout ce qui est en leur pouvoir pour faire en sorte que les soins, et leur continuité soient assurés. « Il faudrait une politique d'incitation plutôt que des contraintes. Mais malheureusement, ce n'est pas la logique actuelle », regrette le docteur Ferrat. Et d'ajouter : « Les étudiants que je côtoie chaque semaine le ressentent aussi. La médecine générale va perdre de son intérêt à leurs yeux. Et dans dix ans, il sera trop tard pour changer les choses. Il y a urgence », prévient-elle.

T14

Docteur Jean-Christophe Nogrette : « J'aime toujours la médecine »

 Syndiqué chez MG France, Jean-Christophe Nogrette (60 ans) est installé à 10 km à l'est de Limoges et a pratiqué plusieurs types de médecine. En association avec un collègue, seul depuis trente ans, et il est en train de créer une maison de santé pluridisciplinaire afin de « préparer la suite ». Son constat sur l'état de la médecine générale en France est terrible. Pourtant, il n'a jamais été déçu par ce métier « magique ».

Quelle est la situation de votre territoire ?

J'exerce dans un territoire d'environ 7 000 habitants. Nous étions six médecins généralistes. Deux sont partis à la retraite fin 2022, sans successeur, un autre partira d'ici le mois de juin 2023. Nous ne serons plus que trois avec des besoins de santé similaires. La situation est donc extrêmement tendue. Nous sommes assaillis de demandes de soins chaque jour par des patients qui parfois n'ont plus de médecin traitant depuis plusieurs mois. Je suis en colère et j'éprouve un sentiment de désarroi vis-à-vis de ces gouvernements successifs qui étaient prévenus du problème et qui n'ont rien fait.

Comment vivez-vous la crise et la pénurie de médecins qui touche l'ensemble de la France ?

Nous tentons de trouver des solutions. Mais la réalité est qu'aujourd'hui la façon dont la médecine générale est traitée par le gouvernement est une honte. Le détricotage de notre métier est en cours. Faire des diagnostics, assurer le suivi des maladies chroniques, cela nécessite d'avoir un recul et une vision globale de la pathologie et de l'historique du patient. Cela ne peut pas s'effectuer sur un coin de table à la va-vite. Bientôt, plus personne ne voudra devenir généraliste si l'on continue sur cette voie.

Quel espoir pour la médecine générale demain ?

La médecine générale est un métier magique. J'aime ce métier, profondément. Le problème est que l'on a décidé de changer le paradigme du parcours de soins français dans lequel le généraliste est au centre. Cela sans débat et sans concertation. Je crois que l'essor des maisons de santé pluridisciplinaires est l'une des voies d'avenir intéressantes.

T14

Docteur Émilie Ferrat : « Le médecin généraliste est le pivot du système de santé »

 Depuis l'âge de 5 ans, Émilie Ferrat (39 ans) voulait devenir médecin généraliste. « Une vocation lointaine », confie-t-elle. « Ce que je fais aujourd'hui, c'est de la médecine générale dans laquelle le médecin généraliste est l'interlocuteur central du parcours de soins », analyse-t-elle. Installée dans une maison de santé pluridisciplinaire à Saint-Maur-des-Fossés dans le 94, Émilie Ferrat redoute une « dilution du rôle du généraliste » et s'étonne « du peu de cas qui est fait d'une profession essentielle » dans l'architecture du système de santé français.

Quelles sont les caractéristiques de votre pratique quotidienne ?

La médecine générale actuelle, que ce soit à Paris, en banlieue ou en région, est une médecine sous tension du fait de la pénurie de soignants. Cela dit, la médecine générale telle que je la conçois est une médecine dans laquelle nous pratiquons une approche globale du soin avec de l'urgence et de l'accompagnement au quotidien des patients. Je pratique aussi une activité universitaire en parallèle du cabinet pour assurer une transmission des savoirs.

Quelles sont les difficultés actuelles du médecin généraliste que vous êtes ?

Les difficultés sont de plusieurs ordres. L'une des plus importantes est la tension permanente que nous subissons pour prendre toujours plus de patients en charge du fait du manque de médecins. L'autre est cette façon de considérer le médecin généraliste comme étant le problème alors qu'il est au contraire au cœur de la solution pour inventer les parcours de soins de demain. Mon inquiétude est que nous limitions l'accès direct au médecin traitant en déléguant les soins à d'autres.

Quel espoir pour la médecine générale demain ?

Nous aurons toujours besoin de médecins généralistes. Le médecin généraliste est celui qui coordonne les parcours de soins, et qui est le pivot de notre système de santé. Cela d'autant plus que les maladies deviennent de plus en plus complexes, que la vie s'allonge et que le besoin de suivi global s'accroît. La médecine générale est une partie de l'avenir et de la solution de la profession médicale !

T14

Docteur Mathilde Lacourcelle : « Nous nous battons en permanence contre des vents contraires »

Après avoir étudié à Poitiers, Mathilde Lacourcelle (41 ans) s'est mariée à un apiculteur et a décidé de s'installer à ses côtés, en Corrèze, dans un petit village. Elle anime aujourd'hui une maison de santé où se trouvent 2 médecins généralistes, 10 infirmières et 2 kinésithérapeutes. Elle confie avoir l'impression de se « battre en permanence » contre des vents contraires.

Quelles sont les caractéristiques de votre pratique quotidienne ?

Nous nous battons en permanence contre l'inanité du système actuel et contre des vents contraires. La pression ne fait qu'augmenter et nous sommes contraints de dire tous les jours « non » à des patients qui ont vraiment besoin d'un médecin traitant. J'ai actuellement une liste d'attente de cent patients. Cette situation ubuesque pèse sur notre pratique quotidienne car les patients ont l'impression que nous les abandonnons alors que nous faisons déjà des journées très longues et que le soin nécessite une attention que même avec la meilleure volonté du monde nous ne pourrions pas leur donner si nous devenions leur médecin traitant. Tout cela crée une façon de travailler qui manque de sérénité.

Quelles sont les difficultés du médecin généralistes que vous êtes ?

Au-delà de la pression déjà mentionnée, il y a cette volonté de toujours rabaisser la profession en prévoyant de lui retirer tout un pan de ses attributions, et en ne la valorisant pas à sa juste valeur avec l'augmentation du prix de la consultation. L'autre complexité de notre métier actuel ce sont tous ces actes que l'on nous impose de faire alors que cela ne nécessite pas théoriquement notre intervention. Les certificats ou les arrêts de travail courts, par exemple. Tout cela dilue la spécificité de la médecine générale qui consiste à avoir une approche globale du patient et à coordonner les soins.

Quel espoir pour la médecine générale demain ?

Je crois que le travail en collectif au sein de maisons de santé pluridisciplinaires sera un levier important pour attirer les médecins dans les déserts médicaux.

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T14

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Commentaires 13
à écrit le 15/05/2023 à 16:57
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Eelle va direct dans le MUR: si aucune solution ne se dessine d'ici les congés d'été, où les futurs retraités ne trouveront pas de remplaçants (ce qui est déjà majoritairement le cas) où ils vont vont se SE COINVENTIONNER, ce qui sera le plus probabl...

à écrit le 15/05/2023 à 11:10
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ils devraient se mettre en greve illimitee, comme a la cgt sncf, histoire de faire de la prise d'otage bienveillante car de gauche....ca mettrrait un peu d'ambiance, et le gvt pourrait resoudre le pb en distribuant des diplomes de medecin a des illet...

à écrit le 14/05/2023 à 22:28
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Heureusement qu'il y a pays qui exportent des cardiologues, des chirurgiens, des dentistes, des ophtalmologues, des ... et des ....; nous, nous avons des ministres, des députés, des sénateurs dont nous ne savons que faire; sous la troisième républiqu...

à écrit le 14/05/2023 à 21:34
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Quand on a plus de medecin référent, on fait comment quand aucun autre medecin ne veut prendre de nouveaux patients ?Si des auxiliaires de santé peuvent aider, c'est toujours mieux que rien et si la pénurie s'installe durablement il faudra encore é...

à écrit le 14/05/2023 à 20:47
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Les déserts médicaux explosent sur le territoire et la casse du système hospitalier s’est aggravée pendant la crise. En vingt ans nous sommes passés, dans toutes les enquêtes internationales, du premier rang mondial pour la qualité du système d...

à écrit le 14/05/2023 à 19:47
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A chaque consultation avec mon médecin, me donne l'honte de payer 25 Euros. J'ai déjà voyagé pour tout le monde. Aucun pays J'ai payé moins de 100 Dólares pour une consultation . Vachement honteux

le 14/05/2023 à 23:01
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Si vous preniez un peu la peine de chercher plus avant, vous sauriez que le tarif de 25 euros est le prix d'une consultation de base (13 minutes). Alors que d'autres "forfaits cachés" se rajoutent à ce tarif en le poussant plutôt vers les 35 euros en...

à écrit le 14/05/2023 à 18:29
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La "franchouillardise" s'interroge et se plaint des phénomènes de société qui gangrènent le pays depuis des décennies, alors qu'en parallèle, elle embrassa sur la même période le corporatisme et les syndicats, à l'instar de la Confédération des Syndi...

à écrit le 14/05/2023 à 17:10
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A moins que ce soit déjà le cas, le numerus clausus devrait être établi sur une notion de "temps complet", un pédiatre à 3j sur 5, doit compter pour 0,6 et non pour 1. La situation est tellement tendue (sauf dans PACA), que les entreprises sont sous...

à écrit le 14/05/2023 à 16:23
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Bonjour, L'ons constate une fatigue générale du système de santé.. du fait des fermetures des systèmes d'urgence... La réduction de place de lit a l'hôpital , qui oblige la population a reste chez elle . ensuites, ils y a beaucoup d'acte médical qui...

à écrit le 14/05/2023 à 13:26
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En France, les gens se sont ancrés au mythe de la santé gratuite : Cela ne marche pas : Pour se soigner correctement, il faut payer. Le personnel de santé ne vis pas d'amour et d'eau fraiche

à écrit le 14/05/2023 à 13:13
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Il y a vraiment quelque chose qui cloche dans notre système libéral de santé. Dès qu'un gouvernement, qu'il soit de gauche ou de droite, tente de mieux organiser l'accès aux soins, il est accusé d'être un ennemi de la liberté. Comprenez liberté d'ins...

à écrit le 14/05/2023 à 12:05
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Quand on se pose la question c'est qu'il est déjà trop tard, depuis qu'ils veulent construire leur "Europe" dogmatique, ils détruisent pour uniformiser ! ;-)

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