Quand les étudiants en médecine n’y croient (presque) plus

Crise de vocation ou crise du système ? Quand les études de médecine se transforment en parcours du combattant, c’est tout le système qui est remis en cause. ( Cet article est issu de T La revue n°14 - Santé : un équilibre en jeu, actuellement en kiosque).
(Crédits : Mulyiadi - unsplash)

Déserts médicaux, grève des médecins généralistes, fermetures récurrentes de maternités et services des urgences dans le rouge... L'hôpital est en crise et notre système de santé menace de vaciller. En 2023, les maux révélés par la crise du Covid-19 n'ont pas disparu, d'aucuns estiment qu'ils se seraient même accentués. Dans ce contexte morose, comment réagissent les étudiants en médecine ? Comment se forment les vocations et comment s'entretient la flamme de la motivation tout au long d'études réputées fastidieuses et difficiles ? Pour le savoir, nous avons donné la parole à plusieurs étudiants. Ceux-ci nous ont raconté leur quotidien, leurs attentes et leurs désillusions, sans détour.

Travailler d'arrache-pied

En France, une trentaine d'universités proposent un cursus en médecine sur tout le territoire. Si elles sont ouvertes à tous via la plateforme Parcoursup, leur accès est souvent conditionné à un passage coûteux (plus de 10 000 euros) en « prépa » et à des études secondaires en filière scientifique au préalable. C'est à ce stade justement, en amont du passage à la vie estudiantine et avant même l'obtention du baccalauréat, que se forment généralement les vocations. « Autour de moi, dans la famille et parmi les amis, il y avait plusieurs généralistes et spécialistes. J'ai grandi avec leurs histoires, cette ambiance bien particulière et le récit des cas complexes sur lesquels ils pouvaient tomber. Cela a aiguisé mon intérêt pour le milieu médical ! » explique Gabriel. Quant à Sandra, c'est d'abord son « envie d'être utile à la société » qui l'a conduite en médecine : « Très tôt je me suis rendu compte que j'avais beaucoup de sang-froid, que je réagissais bien aux situations d'urgence, que je n'avais pas peur du sang. J'ai voulu miser sur ces points forts, les transformer en horizon professionnel. » Pour parvenir au diplôme, deux parcours sont proposés : le PASS, ou parcours d'accès spécifique santé, ainsi qu'une licence avec option accès santé. L'admission en deuxième année s'effectue à partir des résultats obtenus lors d'un concours et éventuellement d'épreuves complémentaires. C'est alors le début du premier cycle qui dure deux ans, avant un deuxième cycle de trois ans. Vient ensuite le moment de l'internat, consistant en une application pratique de la théorie apprise qui durera trois ans pour les médecins généralistes et de quatre à six ans pour les autres, en fonction de leur spécialité. Formation longue et hypersélective par excellence, la fac de médecine obéit à une règle simple : « Beaucoup d'appelés, mais peu d'élus ! » Dans les faits, il faut 9 ans d'études à l'université pour devenir généraliste et 10 à 12 ans pour les spécialistes (chirurgiens, pédiatres...). Cela sans compter les éventuels contretemps, réorientations et redoublements... C'est ainsi qu'en entrant en première année, Sandra avait prévenu ses amis : elle s'attendait à vivre une période « compliquée ». La jeune femme poursuit : « J'avais fait une prérentrée en écourtant mes vacances, refusé chaque sollicitation, je m'étais projetée à vivre l'année la plus éprouvante de ma vie. J'avais un stock de motivation que personne n'aurait pu me retirer. J'ai commencé les cours avec la rage d'avoir mon année. J'ai appris à travailler, parce que je n'avais jamais vraiment appris au lycée. J'ai tout essayé, fait toutes les méthodes d'apprentissage. Je pensais ne jamais réussir. Je suis arrivée 170e à mon premier concours blanc. Là, j'ai compris que c'était possible : j'étais peut-être capable d'avoir mon année ! Alors je n'ai rien lâché. Je n'ai pas craqué pendant 4 mois, à ne pas sortir, rentrer de la fac à 23 heures, en gardant le sourire et en continuant d'être motivée. Même avec des angoisses qui me bouffaient, j'ai continué. Et j'ai passé les premiers concours. » Ne pas voir le jour, bûcher du matin au soir dans l'optique d'obtenir le précieux sésame. Sandra nous raconte comment elle s'est volontairement mise à l'écart de la société en ne voyant plus personne et en arrêtant même les réseaux sociaux, pour ne pas céder à des divertissements qui auraient pu l'éloigner de son objectif. Une discipline de fer que nous raconte également Gabriel : « C'est clairement un parcours du combattant, dès la première année. Dans ma fac, il y avait 300 retenus sur 3 000. C'est comme une arène dans laquelle on est jeté ! On a parfois l'impression de se diriger dans la gueule du loup ! C'est une course au travail, une course contre la montre. Et des heures de travail et de bibliothèque. Je dirais que c'est du sacrifice. Il y a des codes qu'il faut connaître. Comme il s'agit d'une compétition, les gens ne partagent pas les informations... »

Des années « traumatiques »

Dans ce contexte, la précarité étudiante qui, selon les dernières études, s'accroît, renforçant le découragement. Sophie-Hélène Zaimi, interne en radiologie officiant sur Instagram sous l'alias @thefrench.radiologist.intern, le raconte avec force : « Il faut avoir une grande détermination pour se lancer dans cette aventure qui n'est pas sans obstacles et galères. Et ce n'est pas facile financièrement quand on est externe car on n'est pas beaucoup payé par l'hôpital. Les livres, le transport, le logement, la nourriture : tout ça représente un coût. Je connais des étudiants qui enchaînaient hôpital et boulot à côté pour pouvoir poursuivre leurs études. Pour moi, ce sont des combattants de la méritocratie ! Personnellement, j'ai eu la chance d'avoir mes parents qui m'ont beaucoup aidée, qui ont financé la prépa en première année, qui ont payé l'inscription à la fac, les livres. J'étais logée et nourrie chez eux, j'avais une certaine qualité de vie et je réalise que j'ai eu beaucoup de chance car cela m'a permis d'être dans des bonnes conditions. » Un cadre familial et un entourage d'autant plus importants que la rudesse des études en médecine concerne aussi ce que Gabriel appelle « une insécurité mentale de tous les instants ». « Cette boule au ventre qui surgit à intervalles réguliers tout au long de vos études, à la fin ça mine », confie l'étudiant. Sandra confirme, sans mâcher ses mots : « On peut véritablement parler de blues étudiant. Il n'y a pas beaucoup d'humanité dans le processus, on est seulement considéré comme des numéros. La première année est vraiment traumatique ! On se dit alors qu'après, ça s'arrangera mais en fait non, je vous mets au défi de trouver un étudiant en médecine qui vous dit qu'il va bien psychologiquement et moralement... C'est problématique car un soignant qui va mal est forcément un soignant qui ne soignera pas bien... »

Un détail qui n'en est pas un : de peur de représailles de leur faculté ou de leur hiérarchie, la plupart des interrogés ont demandé à témoigner dans cet article de manière anonyme. « On ne saurait risquer de perdre le bénéfice de plusieurs années d'études en témoignant à visage découvert. Il y a trop à perdre... » Sophie-Hélène rebondit : « Les gens ne se rendent pas compte de l'investissement personnel que cela demande... Je n'ai presque pas eu de vie sociale en 1re et 6e année, il faut vraiment avoir un moral d'acier pour rester motivé et focus sur son objectif : réussir le concours de première année et l'internat. À titre d'exemple, dans mon stage, quand je suis de garde le samedi ou le dimanche je fais 24 heures. Quand je suis de garde en semaine, je suis postée la journée (scanner/IRM) et j'enchaîne avec la nuit pour finir le lendemain matin... donc ça fait 24 heures qu'on bosse, non-stop. » Le rythme est harassant, les internes sont mal payés. Reste la perspective - encore lointaine - de gagner un salaire confortable une fois en poste. Et quelques raisons de garder le moral, tout de même... Pour « relâcher la pression » et propager les bonnes pratiques, Sophie-Hélène s'est lancée sur les réseaux sociaux. Ouvert en 2018, à la fin de sa première année d'internat, son compte servait au début à poster des cas cliniques pour constituer une bibliothèque. « Un jour, j'expliquais un cas à un élève, ce dernier a partagé le compte à quelques amis et de fil en aiguille, je me suis retrouvée le lendemain avec 300 abonnés. Et ça s'est propagé comme ça. » À l'origine anonyme et confidentiel, le compte de Sophie-Hélène comptabilise à ce jour 80 000 followers. On y trouve de l'humeur, de l'humour, des conseils à destination des étudiants et des vidéos pédagogiques sur la médecine en général et la radiologie en particulier. « C'est une forme d'exutoire ! Ça me permet de prendre de la hauteur par rapport à des situations que j'ai pu vivre au cours de mes études, de remettre de l'humain dans le rapport à la médecine, de montrer la vie réelle des soignants. » Une solution pour tenir bon avant d'obtenir son fameux diplôme.

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Commentaires 4
à écrit le 15/05/2023 à 10:12
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Relativisons cet article. 1- les études de santé ne sont pas définies par l'administration Mais par des médecins (professeur, universitaires et soignant dans les Chu) NB: et certains s'inquiète de la baisse de (niveau) de leurs étudiants. 2- n'ou...

à écrit le 15/05/2023 à 1:29
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Tant que les gouvernants ne comprendront pas qu'on ne peut pas avoir un système de santé de qualité en ne se basant que sur des critères économiques et statistiques, nous irons droit dans le mur (ou plutôt au fond du ravin)

à écrit le 14/05/2023 à 17:19
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Ils feraient mieux de partir dans le privé à l'étranger. Les hôpitaux français prendront des africains pour les exploiter et les sous payer. Ils veulent juste faire des économies au profit de l'administration tentaculaire

à écrit le 14/05/2023 à 13:28
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Tant que les français voudront se faire soigner gratuitement, cela ne marchera pas

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