Climat : à Bruxelles, Paris fait barrage à un texte clé du Pacte vert pour mieux défendre le nucléaire

Mercredi, les ambassadeurs européens devaient valider le projet de directive révisée sur les énergies renouvelables. Le texte avait déjà fait l'objet d'un accord provisoire le 30 mars dernier après de longs mois de négociations. Mais la France n'est plus satisfaite de la version finale. Au cœur de ce bras de fer : le rôle du nucléaire dans la production d'hydrogène propre, indispensable pour la décarbonation de l'industrie.
Juliette Raynal
(Crédits : DR)

Les Vingt-Sept vont-ils réussir à s'accorder sur la révision de la directive relative aux énergies renouvelables (RED 3), pilier du Pacte vert européen, qui vise à réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre de l'UE à l'horizon 2030 ? Rien n'est moins sûr... Mercredi 17 mai, le texte devait enfin être validé par les ambassadeurs européens lors d'une réunion technique, étape indispensable avant son adoption par le conseil, puis par le parlement. Cette validation devait être une simple formalité puisqu'à ce stade du processus législatif européen, le texte ne fait habituellement plus l'objet de modifications. C'était sans compter un énième rebondissement.

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A la dernière minute, la Suède, qui assure la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne, a décidé de retirer ces discussions de l'ordre du jour, craignant que Paris ne fasse échouer les négociations. La France a, en effet, jugé nécessaire un travail supplémentaire sur ce texte, qui vise à rehausser significativement l'objectif de déploiement des énergies renouvelables pour le porter à 42,5 % de la consommation totale d'énergie en 2030, contre environ 22% actuellement.

Bras de fer sur le rôle du nucléaire dans l'hydrogène

Ironie du sort, le point de blocage ne concerne pas directement les énergies renouvelables, mais le rôle du nucléaire dans la production d'hydrogène propre, un levier crucial pour décarboner les processus industriels ne pouvant être électrifiés.

La directive révisée fixe ainsi des objectifs en matière d'hydrogène « renouvelable ». Or, la France militait depuis de longs mois pour obtenir une égalité de traitement entre l'hydrogène renouvelable, c'est-à-dire produit à partir d'électricité issue de fermes solaires ou éoliennes, et l'hydrogène dit « bas carbone », produit à partir du nucléaire.

A l'issue d'âpres négociations, les représentants du Parlement, du Conseil et de la Commission étaient parvenus, le 30 mai dernier au petit matin, à un accord provisoire sur ce texte. De nombreux observateurs s'étaient alors réjoui « d'un petit miracle », tant les crispations étaient fortes entre les partisans de l'atome civil, emmenés par Paris qui a formé une alliance de 14 pays, et ses détracteurs, Berlin en tête.

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Lors de cette réunion informelle, la France avait alors obtenu au forceps la reconnaissance du nucléaire à travers l'article 22B. Lequel permet aux Etats membres disposant d'une part importante d'hydrogène bas carbone de limiter la part exigée d'hydrogène renouvelable.

La France pas satisfaite du texte final

Le texte final n'était toutefois pas définitivement arrêté et les paramètres de ce fameux article 22B devaient encore passer au crible des experts juridiques des différents Etats membres. Visiblement, la version finale ne satisfait pas Paris.

« La France souhaite préciser les modifications apportées par la Belgique et les Pays-Bas sur la mise en œuvre des objectifs hydrogène », rapporte une source française proche du dossier. « Elle souhaite également plus largement obtenir des garanties sur les moyens mis en œuvre au niveau européen pour atteindre les cibles de la directive RED3 », poursuit cette même source.

Selon certains diplomates, la France demanderait que sa production industrielle d'ammoniac soit partiellement exemptée de l'obligation d'atteindre les objectifs en matière d'hydrogène vert, rapporte le site Politico.

Nos objectifs énergétiques et climatiques doivent « prendre en compte les réalités industrielles des sites engagés dans des investissements lourds de décarbonation. La transition doit être une opportunité pour la réindustrialisation de l'Europe. Elle ne doit pas conduire à la délocalisation vers des sites dans des pays plus émetteurs et moins exigeants d'un point de vue environnemental », indique, pour sa part, une source parisienne.

Les diplomates s'agacent de Paris et Berlin

En coulisse, on estime surtout que la France utilise ce délai supplémentaire pour tenter de gagner davantage de soutien sur la question nucléaire.« La décision de la présidence de reporter [la directive sur les énergies renouvelables] semble être liée aux réserves de certains Etats "nucléaristes" menés par la France, qui auraient cherché à obtenir une plus grande reconnaissance de l'énergie d'origine nucléaire dans la RED », a précisé un diplomate au média spécialisé Euractiv.

Quoi qu'il en soit, ce blocage provoque la colère de nombreux diplomates, dont certains dénoncent une « prise en otage » du texte, quand d'autres accusent Paris de « jouer les durs » pour obtenir des concessions.

Mais si la demande française provoque tant d'agacements, c'est qu'elle rappelle le très récent épisode allemand. En mars dernier, Berlin, lui aussi, était revenu après coup sur l'accord trouvé à Bruxelles concernant la fin de la vente des véhicules thermiques en 2035. « Ils sont censés être les leaders sur ces questions », déplore un diplomate auprès du Financial Times« Les tentatives des deux pays de renégocier les politiques pourraient avoir un effet négatif sur les objectifs globaux en matière d'émissions », en alerte un autre.

Un autre texte paralysé

Par ailleurs, ce contretemps paralyse l'adoption d'un autre texte législatif étroitement lié à la directive RED 3 : ReFuelEU concernant le déploiement des carburants de synthèse dans l'aviation, les fameux SAF (pour Sustainable Aviation Fuels).

« L'impasse actuelle entre la France et l'Allemagne, cette fois autour du rôle du nucléaire dans la directive sur les énergies renouvelables, est en train de torpiller la législation sur le mandat SAF de l'UE », dénonce ainsi Laurent Donceel, DG par intérim du lobby aérien Airlines for Europe.

La France, elle, assure vouloir conclure le texte très rapidement, « sous présidence suédoise », c'est-à-dire avant le 30 juin prochain, avec « ces ajustements ». « Nous sommes actuellement en discussion avec la Présidence, nos partenaires et avec la Commission pour prendre en compte ces éléments qui doivent bénéficier à toute l'industrie européenne », assure une source à Paris, tout en précisant que d'autres Etats membres ont demandé un travail supplémentaire.

Juliette Raynal

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Commentaires 8
à écrit le 20/05/2023 à 18:33
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Il reste plus qu'à trouver des soudeurs.

le 20/05/2023 à 21:09
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Oui, il va falloir se retrousser les manches pour que l’ensemble fonctionne! Mais que ça fait plaisir! En y mettant l’énergie nécessaire et en se rassemblant, c’est un peu de nous mêmes que l’on va retrouver. C’est parfait! Le gouvernement français...

à écrit le 20/05/2023 à 8:35
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Que défend t-on le Nucléaire, l'Hydrogène.. Pour mémoire il existe actuellement trois filières de production d'H2: le Reformage par injection de vapeur surchauffée sur du méthane (ou dérivé carboné) c'est de loin la plis importante elle relâche quant...

à écrit le 19/05/2023 à 22:42
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C'est la connivence entre l'UE et la McKronie pour nous faire avaler "des couleuvres" ! La com. toujours la com. ! ;-)

à écrit le 19/05/2023 à 18:24
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L'hydrogène nucléaire est possible à un prix de 6-7€ par kg. En cause, l'utilisation d'électrolyseurs alors que la chaleur pourrait multiplier le rendement par 4. Hélas, les réacteurs de génération actuelle, issus de la licence Westinghouse, sont con...

le 19/05/2023 à 21:00
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Je pense que vous n'avez peut-être pas tenu compte de tous les paramètres. Il me semble que le dihydrogène issue du nucléaire serait produit lorsque les centrales nucléaires, qui ne peuvent que très peu moduler leur puissance, ne pourront vendre leur...

le 20/05/2023 à 2:39
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je suis d accord avec vous. Pour maintenir en vie, une filiere nucleaire non competitive, il y a surement beaucoup de choses non-dites. Peut-etre d ordre militaire simplement.

le 20/05/2023 à 15:00
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Dans ce cas, de quoi avez-vous peur? Il me semble que la productivité des renouvelables n’est pas si bonne une fois que tous les paramètres sont pris en compte. Sinon, ce débat n’aurait pas lieu d’être. On peut tout de même préciser à minima que la p...

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