Géothermie : un plan national pour doper une énergie renouvelable prometteuse, mais sous exploitée

Aujourd'hui, la géothermie ne représente que 5% de la chaleur renouvelable en France et qu'1% de la chaleur consommée. Son potentiel est pourtant considérable puisque sa production pourrait être multipliée par 20 à moyen terme. Décarbonée, continue, locale… Ses nombreux atouts attirent de plus en plus de collectivités locales, affectées par la flambée des prix du gaz et de l'électricité. Mais la filière souffre d'un manque d'incitations financières, de main d'œuvre et nécessitent des cartographies plus précises. Etat des lieux.
Juliette Raynal
(Crédits : iStock)

La géothermie est la grande oubliée du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables. Dans le texte publié vendredi dernier par la Commission mixte paritaire du Parlement, cette technique, qui permet d'exploiter l'énergie contenue dans le sous-sol de la Terre afin de fournir de la chaleur et du froid de manière décarbonée, n'est mentionnée qu'une seule fois. Et pour cause, « un plan d'action national dédié sera annoncé par la ministre de la Transition énergétique le 2 février », explique Virginie Schmidlé-Bloch, secrétaire générale de l'Association française des professionnels de la géothermie (AFPG). Ce que nous confirme l'entourage d'Agnès Pannier-Runacher.

Dans les grandes lignes, ce plan devrait présenter des mesures de simplification administrative, d'incitations financières mais aussi des leviers pour favoriser la formation et la structuration de la filière ainsi qu'une meilleure cartographie des sous-sols français. Ce plan est particulièrement attendu, alors que la géothermie semble aujourd'hui largement sous-exploitée. « Selon le Bureau de recherches géologiques et minières [BRGM, ndlr], la géothermie peut atteindre une production de 100 Térawattheure (TWh) dans les quinze à vingt prochaines années, contre environ 5 TWh actuellement, » pointe Sylvie Jéhanno, la PDG de Dalkia, une filiale d'EDF active dans ce domaine. Autrement dit, sa production pourrait être multipliée par près de 20 dans un laps de temps relativement restreint.

On distingue deux types de géothermie. La géothermie de surface s'appuie sur des forages de profondeur inférieure à 200 mètres. Elle repose sur l'utilisation d'une pompe à chaleur géothermique qui valorise la chaleur prélevée dans le sol. « Très concrètement, c'est un petit tuyau d'eau qui va chercher les calories de la Terre et qui circule ensuite dans le bâtiment », illustre Sylvie Jéhanno. A cette profondeur, la température est d'environ 14 degrés toute l'année. La géothermie de surface peut être déployée pour des bâtiments tertiaires, des logements collectifs ou des petits réseaux de chaleur, à l'échelle d'un quartier par exemple. En 2020, sa production s'élevait à 4,7 TWh et ne représentait que 3% de la chaleur renouvelable en France, selon les dernières données disponibles.

A peine 5% de la chaleur renouvelable

La géothermie profonde représente, elle, une production de 2 TWh. Elle repose sur des forages situés entre 200 et 5.000 mètres de profondeur, qui exploitent de l'eau géothermale à une température généralement comprise entre 30 et 90 degrés. Elle permet d'alimenter de vastes réseaux de chaleur. Dalkia, qui détient 30% des parts de ce marché, opère notamment un forage situé à 1.200 mètres de profondeur à Cachan (Val de Marne) où se trouve une eau à environ 70 degrés. En Alsace, certains forages s'effectuent, eux, à 3.000 mètres de profondeur. Fin 2020, un projet de géothermie très profonde, situé près de la préfecture du Bas-Rhin, avait généré une série de phénomènes sismiques. « L'enquête a démontré que ces événements étaient liés au manque de précautions prises par l'opérateur et non à la technologie en elle-même, » précise Virginie Schmidlé-Bloch.

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Au total, la géothermie, qu'elle soit de surface ou profonde, ne représente aujourd'hui que 1% de la chaleur consommée en France et à peine 5% de la chaleur renouvelable. « C'est encore très faible et on peut évidemment aller plus loin », commente Sylvie Jéhanno.

D'autant que la géothermie semble multiplier les atouts. « C'est une énergie locale, bas carbone, dont l'empreinte écologique est très faible, et qui n'est pas intermittente. Cela signifie qu'elle permet de produire de la chaleur en continu », fait valoir la dirigeante. « La géothermie émet entre 10 et 30 grammes de CO2 par kilowattheure et n'utilise pas de matériaux critiques », complète Alexandre Joly, responsable du pôle Energie chez Carbone 4 et auteur d'une étude sur la chaleur renouvelable.  « La géothermie de surface présente également un rendement énergétique supérieur à 4 alors qu'il est inférieur à 1 pour une chaudière à gaz ou au fioul [c'est-à-dire qu'il faut un kilowattheure de gaz naturel pour produire un peu moins d'un kilowattheure de chaleur, ndlr]. Et les pompes à chaleur géothermiques consomment 30% d'électricité de moins que les pompes à chaleur classiques », poursuit Sylvie Jéhanno.

Une énergie locale, décarbonée et continue

Autre avantage : la géothermie permet aussi de produire du froid lorsqu'on renvoie les calories dans le sol. « C'est un atout qui peut devenir de plus en plus prégnant avec le changement climatique et l'accélération des épisodes de canicule », anticipe Sylvie Jéhanno. Selon Virginie Schmidlé-Bloch, cette caractéristique attire notamment les collectivités locales, dont les demandes se sont multipliées ces derniers mois alors que la crise énergétique a entraîné une flambée du prix du gaz et une très grande volatilité des cours. « Le geocooling [la géothermie utilisée pour la production de froid, ndlr] permet aussi de rétrécir le temps de retour sur investissement pour un particulier, qui aujourd'hui est estimé en moyenne entre 10 et 15 ans », note la secrétaire générale de l'AFPG.

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Reste que la filière ne peut aujourd'hui absorber ces nouvelles demandes. « Il y a un vrai manque de main d'œuvre. Aujourd'hui, on dénombre seulement une soixantaine d'entreprises de forage sur l'ensemble du territoire français. Il faut plus de foreurs qualifiés en géothermie », estime Virginie Schmidlé-Bloch. « Il faut accompagner la croissance de la filière en termes de compétences », abonde la PDG de Dalkia.

Mais c'est sans doute le coût qui représente le plus grand frein au déploiement de cette filière, et notamment aux projets de géothermie de surface. « Une pompe à chaleur géothermique coûte entre 15 et 20.000 euros », pointe Alexandre Joly. Selon lui, les aides existantes demeurent bien trop faibles. « Il faudrait rehausser les aides d'un facteur dix. Les euros c'est le nerf de la guerre », insiste-t-il.

L'expert rappelle qu'aujourd'hui seules 10% des aides dédiées aux énergies renouvelables sont fléchées vers la chaleur, qui représente 45% de notre consommation énergétique finale. Tandis que 90% des aides dédiées aux renouvelables sont affectées à l'électricité, qui représente, elle, 25% de notre consommation énergétique finale.

Manque de main d'œuvre et de cartographies

Par ailleurs, de nouvelles campagnes d'explorations s'avèrent nécessaires. En effet, en matière de géothermie profonde, le bassin parisien, situé sur la nappe du Dogger, est très bien pourvu. L'Ile-de-France est même, selon le rapport Geothermal Country Report 2020, « la région présentant la plus grande densité d'opérations de géothermie profonde au monde ». Environ un million de personnes y sont déjà chauffées par géothermie grâce à une cinquantaine de réseaux de chaleur. « L'idée, c'est de sortir de cette zone très connue et d'aller sur de nouveaux bassins », pointe justement la secrétaire générale de l'AFPG.

Les opérations de forage profondes demeurent toutefois risquées si le niveau de température, la quantité d'eau ou le débit escompté par l'opérateur n'est pas au rendez-vous. Pour limiter cette prise de risque, la France a mis en place un fonds de garantie dédié. « C'est une forme d'assurance et très peu de pays en disposent », souligne Virginie Schmidlé-Bloch.

Des objectifs ambitieux... et des petites graines

Un outil d'autant plus précieux que la filière française de la géothermie est essentiellement composée de petites entreprises, en dehors de Dalkia, d'Engie et d'entreprises de l'univers du pétrole, comme Schlumberger.

Toutefois, le plan qui sera présenté jeudi par la ministre de la Transition énergétique, aux côtés de François Bayrou, Haut-commissaire au Plan, devra apporter plus d'éléments sécurisants si la filière veut tenir les objectifs inscrits dans la Programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Celle-ci prévoit, pour la géothermie profonde, une production de 5,2 TWh en 2028, puis entre 5,8 et 10 TWh en 2035. Tandis que pour la géothermie de surface, l'objectif est fixé à 7 TWh en 2028 et entre 8,5 et 15 TWh en 2035.

Alexandre Joly n'est pas optimiste et redoute que les annonces du gouvernement ne seront pas à la hauteur. « Cela va être des petites graines », anticipe-t-il

La Suède, championne de la géothermie de surface

Paradoxalement, c'est dans les pays nordiques que la géothermie de surface, qui consiste à exploiter la chaleur de la Terre, est la plus développée. En Suède, quelque 600.000 pompes à chaleur géothermiques ont déjà été déployées, contre 200.000 en France. Plus largement, la Suède est très en avance en matière de chaleur renouvelable. Les énergies fossiles ne représentent plus que 10% de la consommation énergétique des bâtiments. Trois habitants sur quatre sont connectés à un réseau de chaleur.

Juliette Raynal

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Commentaires 7
à écrit le 02/02/2023 à 6:46
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Bonjour, La géothermique est les pompe a chaleur (echange eau.eau ) donne de tres bon résultats... mais la réalisation des puits (deux puits de 70 metres ) pour faire circuler le liquide primaire dans une boucles d'eaux, coût particulièrement chèr...

à écrit le 01/02/2023 à 20:02
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Le chauffage urbain par géothermie existe déjà en région parisienne et des projets sont en cours .Les copropriétés peuvent s'y raccorder .

à écrit le 01/02/2023 à 18:34
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Si il y a des possibilités, ce qu'il faut, ce n'est pas tant d'incitations financières mais de compétences et d'allègement administratifs.pour aider à ne pas faire si la solution n'est pas viable ou à accompagner, former et faire un vrai point compt...

à écrit le 01/02/2023 à 10:21
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Certes il existe de la chaleur profonde à récupérer et c'est techniquement réalisable mais ne sous-estimons pas les effets pervers. La France est un pays moyen occupé par une belle densité de population hors exploiter cette chaleur c'est courir le ri...

à écrit le 01/02/2023 à 10:01
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La géothermie c'est la même chanson comme les charbons tous les resourses géothermiques en Europe sont en Alsace et c'est evident que la nouvelle fuere entre France et Allemagne se prepare pour eux.

à écrit le 01/02/2023 à 9:55
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Il existe une immense nappe aquifère sur 80.000 km2 dans le bassin parisien, la nappe de l'Albien avec 700 milliards de m3 soit 700 Km3 d'eau d'excellente qualité et faiblement minéralisée. Cela en ferait un lac plus grand que le Léman avec 5 fois p...

à écrit le 01/02/2023 à 9:32
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"généré une série de phénomènes sismiques" le cas en Suisse, un puits avait été rebouché avant d'être terminé, ça générait des micro-séismes. Parfois le sous-sol nous trahit avec sa structure géologique (voir le gaz de schiste en Pologne, y en aurait...

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