Veolia accroît sa pression sur Suez et sur ses actionnaires

Le leader mondial du traitement de l'eau et des déchets promet de lancer une OPA à 18 euros par action dès que le conseil d'administration de Suez aura adopté un "accord de rapprochement", en espérant ainsi mobiliser les actionnaires. Il menace également d'agir en justice.
Giulietta Gamberini
Suez appelle à une OPA ferme de Veolia, mais tout est fait pour qu'elle ne puisse pas avoir lieu, dénonce le PDG de Veolia, Antoine Frérot.
"Suez appelle à une OPA ferme de Veolia, mais tout est fait pour qu'elle ne puisse pas avoir lieu", dénonce le PDG de Veolia, Antoine Frérot. (Crédits : Reuters)

Les "péripéties" qui semblent s'opposer à son projet d'acquisition de Suez n'affectent en rien la détermination de Veolia. Le leader mondial du traitement de l'eau et des déchets veut au contraire accélérer son offensive sur son rival, en accroissant sa pression sur Suez sur plusieurs fronts, a annoncé son PDG Antoine Frérot mardi.

Pour faire plier Suez, dont le conseil d'administration et le conseil social et économique (CSE) s'opposent farouchement à la fusion, considérée comme "funeste", Veolia renforce sa pression sur les actionnaires de sa cible.

Le groupe s'engage désormais "à déposer une offre publique d'acquisition au prix de 18 euros par action (coupon attaché) pour l'ensemble du capital de Suez dès que le conseil d'administration de Suez aura émis un avis favorable sur ce projet et aura désactivé le dispositif visant à organiser l'inaliénabilité de l'activité de l'eau en France", a-t-il déclaré  par communiqué.

Une telle décision du conseil d'administration est donc désormais "la seule chose qui s'oppose à une OPA", sécurisant l'offre comme son prix, a souligné maître Pierre-Yves Chabert, avocat de Veolia. Il a ajouté que cette décision devra être matérialisée par la conclusion d'un "accord de rapprochement" contenant des engagements précis, incluant la non cession d'actifs stratégiques.

Les actionnaires appâtés par le prix

Veolia avait initialement prévu d'attendre 12 à 18 avant le lancement de son OPA: le temps nécessaire pour obtenir les autorisations des autorités de la concurrence à son projet de fusion. Incité par le gouvernement à obtenir un accord amiable, il s'était également engagé à ne pas lancer d'OPA avant d'avoir obtenu un avis favorable de la part du conseil d'administration de Suez. L'objectif du changement de stratégie annoncé mardi est de mobiliser les actionnaires, attirés par le prix qui leur est promis de 18 euros par action. Un prix atteint "seulement quelques jours depuis 2018", et représentant une "prime de 75% par rapport au cours des actions de Suez" avant qu'Engie annonce fin juillet son intention de céder sa participation majoritaire, rappelle Veolia.

Plusieurs actionnaires minoritaires de Suez ont d'ailleurs déjà exprimé publiquement leur soutien au projet de Veolia. Veolia les incite à continuer, voire à "faire pression" sur le conseil d'administration pour la conclusion de l'"accord de rapprochement".

"Dans tous les cas, une assemblée générale (prévue au printemps, NDLR) aura lieu avant la fin de la procédure d'antitrust", a rappelé Antoine Frérot, se disant donc "confiant qu'une OPA pourra être présentée au plus tard après la prochaine AG".

Veolia se réserve en outre la possibilité de demander aux autorités de la concurrence d'exercer son droit de vote en AG avant l'obtention des autorisations à la fusion dans le cas où ses intérêts patrimoniaux risquaient d'être lésés.

Veolia n'annonce rien de nouveau par rapport à ce qui avait déjà été proposé aux actionnaires le 5 octobre, "avec les mêmes bémols", notamment la nécessité d'un accord avec le conseil d'administration de Suez, a toutefois nuancé dans l'après-midi le président de Suez Philippe Varin devant le Sénat.

La fondation et les administrateurs de Suez dans le collimateur

Veolia promet également d'accentuer sa pression sur Suez par la voie judiciaire, en demandant l'annulation de la fondation de droit néerlandais créée par Suez afin de rendre inaliénable sa filiale Suez Eau France, qui constitue un obstacle au projet de Veolia. Un "institut de droit étranger" qui viole "les principes essentiels du droit des sociétés français", notamment la distribution des pouvoirs entre le conseil d'administration et l'assemblée générale, selon le professeur Xavier Boucobza, conseil juridique de Veolia. Une action en nullité sera engagée devant le tribunal de commerce de Nanterre (où Suez a son siège) dès que Veolia aura obtenu les documents d'information nécessaires, promet le groupe.

Lire: Pourquoi la fondation créée par Suez reste le casse-tête principal de Veolia

Les administrateurs de Suez ayant participé à la décision de créer cette fondation sont d'ailleurs également dans le collimateur. Puisqu'une clause de cette fondation permet seulement au conseil d'administration actuel de la désactiver, Veolia les accuse d'avoir remis en cause le principe de leur révocabilité, et de s'être ainsi constitué un "golden parachute", leur permanence dans le conseil d'administration devenant une condition à la disponibilité de centaines de millions d'euros d'actifs. Leur responsabilité civile voire pénale pourrait être engagée face à cette "destruction de valeur", met aussi en garde le professeur Boucobza.

Suez accusé de tenir un "double discours"

Veolia pointe le "refus du dialogue", imputant l'accélération de son offensive à Suez accusé de mener un "double discours" qui viserait à cacher l'intérêt de l'offre de Veolia. A ses sollicitations répétées, l'acheteur aurait reçu une "fin de non recevoir systématique", affirme Antoine Frérot.

"Suez appelle à une OPA ferme de Veolia, mais tout est fait pour qu'elle ne puisse pas avoir lieu", estime le PDG.

Or, le conseil d'administration de Suez n'a jamais reçu de document formalisant l'offre et expliquant le projet industriel de Veolia, au-delà des communiqués de presse: et sans cela, "on ne peut pas avancer", a expliqué mardi après-midi Philippe Varin devant les sénateurs.

Lire: Bertrand Camus (Suez): "Il n'y a pas de dialogue avec Veolia"

Le groupe se dit d'ailleurs prêt à exécuter l'ordonnance du tribunal judiciaire de Paris qui le 9 octobre lui a intimé de fournir à Suez les éléments nécessaires afin d'informer pleinement de son projet de fusion le CSE de Suez. Tous les documents qui en septembre avaient déjà été fournis aux représentants du personnel de Veolia - un dossier "de 129 pages" - ont été transmis aussi à Suez dès le 12 octobre, soutient Veolia. Le groupe regrette avoir reçu en retour seulement des demandes d'informations supplémentaires, et évoque une "collusion" entre Suez et son CSE afin de bloquer l'opération.

"Pas une minute de retard"

Entretemps, Veolia souligne avoir néanmoins avancé dans son projet dès la cession des parts d'Engie à Suez, sans avoir pris "une minute de retard". Les 3,4 milliards d'euros dus à Engie ont été payés dans la foulée. Les démarches auprès des diverses autorités de la concurrence concernées (une vingtaine) ont été entamées. Veolia répète sa certitude que l'opération sera approuvée, probablement dans les 12 mois, puisqu'une analyse préalable effectuée "sur la base de données publiques" n'a fait émerger que quelques difficultés "mineures" dans un ou deux pays.

Deux milliards de dette hybride ont aussi été émis dès le 14 octobre, "non pas pour des besoins de trésorerie" mais afin de profiter de "bonnes conditions du marché", explique Veolia. Le groupe a également sécurisé l'ensemble du montant de l'opération, avec le soutien de quatre banques, et prévoit une augmentation de capital de quelque 2 milliards d'euros "maximum".

Quant au contentieux social en cours, sur lequel une audience devant la Cour d'appel de Paris est prévue jeudi et une décision devrait être rendue avant la fin du mois, il ne remet pas en cause le projet, ni la volonté de l'accélérer, assure Veolia. Le groupe espère d'ailleurs que la Cour d'appel annulera l'ordonnance en référé rendue le 9 octobre, et fixera un calendrier précis obligeant Suez à consulter son CSE, souligne maître Aurélien Boulanger, avocat de Veolia.

Lire aussi : Suez-Veolia : les (trop) nombreux obstacles d'une loi anti-OPA hostiles

Giulietta Gamberini

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Commentaire 1
à écrit le 05/11/2020 à 9:26
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Que d'angoisse dans ces yeux ! -_-

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