La Normandie, une région à forte empreinte Seveso

La catastrophe de Lubrizol a brutalement rappelé aux Normands qu'ils vivent sur un territoire à risques. Un héritage de l'histoire.
(Crédits : Reuters)

C'est à Rouen, à quelques centaines de mètres du site de Lubrizol, qu'a vu le jour la première usine chimique française : une unité de production d'acide sulfurique construite en 1769 pour les besoins des manufactures du textile qui assurent la prospérité de la ville. Les drapiers viennent alors de découvrir les vertus de ce que l'on appelait le vitriol pour blanchir les tissus et traiter les colorants. Deux siècles et demi plus tard, le textile a périclité mais l'industrie, et singulièrement l'industrie chimique, continue de marquer cette partie de la vallée de Seine de son empreinte.

Grâce à ses infrastructures portuaires et fluviales et à la proximité du plus grand bassin de consommation européen, la Normandie est aujourd'hui le premier producteur européen de fertilisants et elle fournit 80 % des huiles et des additifs (la spécialité de Lubrizol) fabriqués dans l'Hexagone. Elle est aussi le siège de la plus grande raffinerie d'Europe. Malgré des fermetures retentissantes comme celle de Petroplus en 2013, le secteur reste florissant mais la médaille a son revers.

Ces activités valent à la région d'abriter l'une des plus fortes concentrations françaises de sites Seveso. On en dénombre 86 dont plus de la moitié (49) classés seuil haut, la plupart localisés le long du fleuve cher aux impressionnistes, depuis l'amont de Rouen jusqu'à l'aval du Havre. La seule métropole rouennaise en compte 24 dont 14 de seuil haut.

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Inquiétude légitime

Cette omniprésence n'est pas sans conséquence en termes de risques. En 2018, la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de Normandie a décompté un incident ou accident par jour, dont la moitié dans des installations Seveso. Ce nombre peut légitimement inquiéter d'autant que ces usines construites à la périphérie des agglomérations à la faveur de la seconde révolution industrielle ont vu leur environnement se modifier profondément au cours des dernières décennies. Beaucoup d'entre elles se retrouvent enchâssées dans un tissu résidentiel de plus en plus dense.

Lire aussi : Faut-il avoir peur des sites industriels classés Seveso en zone urbaine ?

En témoignent les difficultés des entreprises et les administrations pour élaborer les 24 plans de prévention des risques technologiques (PPRT) imposés aux industriels normands après la catastrophe d'AZF dans l'espoir de circonscrire des accidents majeurs. La préfecture a coutume de rappeler que « trois des PPRT les plus compliqués de France sont localisés en vallée de Seine ». Il aura ainsi fallu six ans avant que celui du Havre ne soit adopté. À Rouen, le délai d'instruction de celui de Lubrizol a été prorogé à trois reprises avant d'être approuvé en 2014. Malgré cela, l'accident survenu le 26 septembre démontre que toutes les hypothèses n'avaient pas été envisagées.

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ENCADRÉ

3 questions à... Julien Lahaie, directeur de la mission Vallée de la chimie.

Théâtre de l'un des premiers incidents technologiques, la ville de Feyzin, dans la Vallée de la chimie, a mis en place en 2009 une Conférence riveraine.

LA TRIBUNE - Quel est l'objectif de la Conférence riveraine ? Comment fonctionne-t-elle ?

JULIEN LAHAIE - Elle permet de répondre aux questionnements des riverains, d'expliquer comment les industriels travaillent, à quoi correspondent les dégagements de fumée par exemple. Dans ce cadre, des visites d'usines sont organisées. On peut y poser n'importe quel type de questions, la médiation est assurée par une personne neutre, qui assure le bon respect du dialogue. Ce dispositif permet la transparence. C'est un outil intéressant pour travailler la question de l'alerte. La conférence nous permet de détailler et de sensibiliser les habitants aux risques mais aussi de leur expliquer à quoi ils doivent s'attendre. Elle mobilise en moyenne 30 personnes, deux à trois fois par an. Le public change en fonction de l'ordre du jour.

L'outil est-il efficace ?

Nous estimons que oui. L'évaluation de ce dispositif montre que cela a bien fonctionné, que les riverains sont mieux formés aux risques. Cela ne veut pas forcément dire qu'ils sont moins inquiets, mais qu'ils savent où obtenir des réponses. Ils sont plus concernés par les risques. Chaque premier mercredi, les gens savent que les sirènes sont testées. Cela vient leur rappeler où ils vivent. D'ailleurs, nous réfléchissons à étendre cette conférence à d'autres communes et de lancer une conférence dans la vallée de la chimie.

Comment faire cohabiter industrie à risque et habitation ?

Je crois au « en même temps » : contenir le risque industriel tout en poursuivant la médiation. Les industriels de la Vallée ont consacré 500 millions d'euros en dix ans à cette question. Sur cette période, la Métropole de Lyon a par ailleurs consacré 40 millions d'euros aux aides à la mise en sécurité des logements. L'autre voie, c'est d'accompagner la transformation progressive du secteur, vers une industrie chimique plus vertueuse, éco-efficace. Par exemple, nous travaillons sur des solutions de recyclage du plastique à l'infini. Nous favorisons également de nouvelles installations en instaurant une cohabitation entre tous.

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