Après le choc Lubrizol, peut-on fermer les sites Seveso  ?

L’incendie de l’usine Lubrizol, à Rouen, a relancé le débat sur les sites industriels à risques. Mais les emplois qu’ils génèrent les rendent souvent indispensables pour l’économie locale.
En France, 1 379 installations sont classées Seveso
En France, 1 379 installations sont classées Seveso (Crédits : Social Media)

« Un écoquartier calme et vivant. » À 300 mètres à peine de l'usine Lubrizol, touchée par un incendie jeudi 26 septembre, ce slogan est désormais lourd de sens. Ici, au bord de la Seine et sur 90 hectares, la Métropole Rouen Normandie ambitionne de transformer des friches industrielles et portuaires en une nouvelle zone résidentielle, pouvant accueillir jusqu'à 15 000 habitants. C'est l'un des grands projets de développement des élus locaux. Mais sa réalisation est aujourd'hui remise en question.

Les origines de l'incendie ne sont toujours pas établies. Ni les conséquences sanitaires et environnementales des plus de 5 000 tonnes de produits chimiques partis en fumée. Mais, dix-huit ans après l'explosion de l'usine d'engrais AZF à Toulouse, qui avait fait 31 morts, cet incident relance la question de l'avenir des sites Seveso, les sites industriels présentant des risques d'accidents majeurs, à proximité des zones urbaines. Un sujet complexe entre inquiétudes des riverains et préservation du tissu industriel et de l'emploi.

Lire aussi : Lubrizol : début de l'enquête sur le terrain pour identifier l'origine de l'incendie

En France, 1 379 installations sont classées Seveso, du nom d'une petite ville italienne, théâtre d'une catastrophe écologique et sanitaire en 1976, qui a découlé sur plusieurs directives européennes encadrant les usines à risques. Parmi elles, 744 relèvent du « seuil haut », dont celle de Lubrizol à Rouen. Ce sont les sites les plus dangereux, notamment parce qu'ils stockent une quantité importante de produits chimiques. Ils sont principalement localisés dans la vallée du Rhône, dans l'Est ou encore en Normandie. En raison de l'urbanisation, plus d'un million de Français vivent désormais à moins d'un kilomètre d'un site répertorié en « seuil haut ».

Infographie sites Seveso en France

(Source : ministère de la Transition écologique, sept. 2019)

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La chimie, un tiers des usines à risques

Depuis vingt ans, une vingtaine d'incidents graves ont eu lieu dans ces usines. De quoi susciter des craintes. Après l'incendie de Rouen, plusieurs communes de l'Essonne ont ainsi réclamé la fermeture de deux sites Seveso, les invitant à s'installer dans des zones moins peuplées. Mais leur demande a été rejetée par la préfecture, qui a proposé à la place un plan « alternatif ». Car les enjeux économiques sont importants.

Lire aussi : Affaire Lubrizol : la polémique monte sur la présence de sites Seveso près des villes

Illustration avec le secteur de la chimie, qui représente à lui seul près d'un tiers des usines à risques. En France, il emploie plus de 230 000 personnes. L'an passé, son chiffre d'affaires s'est élevé à 75 milliards de d'euros, dont 61 milliards à l'export. C'est davantage que l'aéronautique et l'automobile. Il est difficile de mesurer le poids économique global des usines Seveso - à Bercy, les services du ministère de l'Économie ne sont d'ailleurs pas en mesure de fournir des chiffres sur le nombre d'emplois qu'elles génèrent. Mais des exemples permettent de mieux se rendre compte de leur importance au niveau local.

À Rouen, l'usine Lubrizol compte 420 salariés, dont le sort est désormais lié à une hypothétique réouverture. « Il est trop tôt pour se prononcer sur cette question », assure Yvon Robert, le maire de la capitale normande. Pas plus de commentaires du côté de l'entreprise chimique américaine détenue par Berkshire Hathaway, la holding du milliardaire Warren Buffett. En attendant, l'impact de la suspension d'activité se fait déjà ressentir chez les sous-traitants, menaçant environ 300 emplois supplémentaires. Et devrait aussi amputer les re­cet­tes des collectivités territoriales.Dans la vallée de la chimie, au sud de Lyon, les risques sont bien connus. En 1966, un incendie a ravagé la raffinerie Elf de Feyzin, faisant 18 morts. Sur cette bande d'une dizaine de kilomètres, le long du Rhône, les sites Seveso font travailler plus de 10 000 personnes. « Trois fois plus si on compte les emplois indirects, souligne Julien Lahaie, directeur de la Mission vallée de la chimie. Socialement, ce serait très difficile de les fermer. »

Lire aussi : Lubrizol: les salariés sortent du silence

Certaines régions sont encore plus dépendantes. C'est le cas, par exemple, de la ville de Dunkerque, qui compte neuf sites Seveso de « seuil haut », dans la sidérurgie, la métallurgie ou le raffinage. En tout, 15 000 emplois directs, selon l'économiste Jean-François Vereecke, directeur-adjoint de l'agence d'urbanisme. Et 5 000 de plus chez les sous-traitants. Cela représente plus de 20 % des emplois de la ville. Et ce chiffre ne prend pas en compte tous les secteurs qui profitent aussi de la présence de ces sites industriels. « Si on ferme les Seveso, trois quarts des emplois disparaissent », avance Jean-François Vereecke.

Indépendance nationale

Au-delà des aspects économiques, fermer les usines poserait par ailleurs la question de l'indépendance nationale, prévient Hubert Wulfranc, député communiste de la 3e circonscription de la Seine-Maritime. « Quand Petroplus [une ancienne raffinerie située dans la banlieue de Rouen, ndlr] a fermé, les salariés m'ont alerté sur le fait que la France perdait une partie de sa capacité à fabriquer du bitume. Ils avaient raison », indique l'élu.

Une solution moins radicale consisterait à déplacer les sites Seveso vers des zones moins peuplées. « Une vision peu solidaire qui reviendrait à exonérer les industriels de leurs responsabilités », rétorque Hubert Wulfranc. Sans parler du coût, cette option serait également dangereuse. « Déplacer des produits à risques comporte un danger plus important que si on les laisse sur place, estime Julien Lahaie. En voulant déplacer le risque, on l'augmenterait. » Sans compter que ces zones rurales pourraient à leur tour s'urbaniser. On n'aurait alors que déplacé le problème.

Lire aussi : Lubrizol: le gouvernement veut la vérification de tous les sites Seveso de France

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ZOOM

Usines : le gouvernement veut assouplir les règles environnementales

Après des années de désindustrialisation à marche ­forcée, le gouvernement veut accélérer les projets d'implantation des usines. Lors d'une réunion du Conseil national de l'industrie fin septembre, le député LREM d'Eure-et-Loir Guillaume Kasbarian est venu présenter les conclusions de son rapport au Premier ministre, Édouard Philippe. Parmi les pistes présentées, Matignon a décidé de retenir cinq mesures visant notamment à simplifier les procédures administratives et raccourcir les délais. L'une d'elles donne la possibilité au préfet, « après consultation du public et sans attendre l'autorisation environnementale finale, d'autoriser le démarrage d'une partie des travaux lorsque ceux-ci ne requièrent pas d'autorisation spécifique (dérogation aux espèces protégées, zones Natura 2 000) ». Les préfets pourront également « décider si on peut, dans certains cas, se passer d'une enquête publique, lorsqu'il n'y a pas besoin d'étude d'impact environnemental ». Certaines de ces solutions appelleront des « modifications législatives » qui seront examinées « début 2020 ».

Cette stratégie s'inscrit dans une logique plus large d'assouplissement des règles à l'égard de l'environnement. Déjà en juin 2018, l'exécutif avait publié un décret limitant le nombre de projets soumis à une étude environnementale. Par exemple, les sites Seveso ne font plus aujourd'hui l'objet d'une évaluation systématique lorsqu'ils demandent un agrandissement. En outre, l'entrée en vigueur de la Loi Essoc en août 2018 (Loi pour un État au service d'une société de confiance) a confié au préfet cette mission d'examen, alors qu'elle était auparavant effectuée par une autorité environnementale indépendante. Au cours du premier semestre 2019, le préfet a ainsi autorisé l'usine de Lubrizol à augmenter ses capacités de stockage de substances dangereuses à deux reprises sans évaluation environnementale. Grégoire Normand

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Commentaires 12
à écrit le 13/10/2019 à 17:18
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LUBRIZOL sous les projecteurs… Mais qu’en est-il des autres entreprises, et leur sécurité… Voilà une liste de produit hautement dangereux non exhaustive que nous pouvons trouver dans l’usine(dont je ne siterai pas le nom publiquement) située en...

à écrit le 13/10/2019 à 10:16
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Les fermer bien sûr que non, il suffit juste de les contrôler mais les contrôles imposent aux propriétaires d'investir dans leurs outils de production plutôt que d'entasser leur pognon dans les paradis fiscaux et investir et ne pas s'évader fiscaleme...

à écrit le 13/10/2019 à 9:49
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Et raser toutes les cathédrales au cas où?

à écrit le 13/10/2019 à 9:24
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Pas les fermer quoi-que, par contre les surveiller comme l'huile sur le feu et à mon avis il serait recevable de créer une Autorité de Sureté Chimique clonée sur l'ASN disposant d'une certaine indépendance et de grosses compétences dans une domaine h...

à écrit le 13/10/2019 à 8:17
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Il faut de toute urgence fermer toutes les usines françaises pour sauver la Planète. Les aéroports pourraient ainsi être transformés en terrains de golf ou en parc Disney land pour le bonheur des générations futures .

le 14/10/2019 à 9:36
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Un golf ou un DisneyLand sans aéroport à proximité... vous n'y pensez pas ?

à écrit le 12/10/2019 à 19:24
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Fermer (tous) les sites SEVESO reviendrait à saborder l'industrie française. Ca n'a aucun sens. En fermer certains relèverait surement d'un principe de précaution bien compris parce que le risque encouru est devenu trop élevé eu égard à la proximi...

à écrit le 12/10/2019 à 14:01
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Obligatoirement pour les installations classées soumises à servitudes, le chef d'établissement doit établir un Plan d’Opération Interne ou POI . Dans ce POI le chef d'établissement définit les méthodes d'organisation, les méthodes d'intervention et ...

le 13/10/2019 à 9:28
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Dans ce domaine je ne crois pas trop à un autocontrôle, en outre après l'explosion de l'usine que devient le POI.

à écrit le 12/10/2019 à 13:13
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La question est posée. Mais à chaque fois; s'est le résidentiel qui est venu autour du site industriel, jamais le contraire. L'histoire est toujours la même, une usine est créé dans un zone déserte de toute habitation, les collectivités leurs font de...

à écrit le 12/10/2019 à 13:07
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Après le choc Lubrizol, peut-on fermer les sites Seveso  ? il convient de faire le constat de ce que les administrateurs et les cadres dirigeants des groupes et de leurs sites industriels sont irresponsables au regard de leurs actes de gestion ; ...

le 14/10/2019 à 9:47
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"A Séveso, les dirigeants ont été arrêtés très rapidement," A Seveso les conséquences sanitaires ont été évidentes de même que la négligence à l'origine de la catastrophe rapidement identifiée... bien que finalement la seule victime humaine fut le d...

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